Entretien de Joss Randall – Partie 2

Suite de la première partie de notre entretien avec Joss Randall, auteur de chroniques sur le site Peuple Vert depuis 2015, participant à l’émission hebdomadaire stéphanoise Sainté Night Club et intervenant régulièrement sur RMC dans l’After Foot.

Le football a beaucoup évolué dans sa diffusion. On se souvient des retransmissions de la Coupe d’europe sur TF1 avec Roger Zabel. Aujourd’hui, les matchs sont tous retransmis ou presque, moyennant abonnements de plus en plus onéreux. Est-ce que vous prenez autant de plaisir ? Avez-vous observé une évolution dans votre manière de suivre un match ?

Il y a un phénomène factuel et indiscutable. Le nombre de matchs diffusés a explosé. L’offre de foot, par rapport à l’époque à laquelle tu fais allusion, a été multipliée par trois ou quatre. Moi, je suis un assez gros consommateur, et j’y prends quand même plaisir. Mais je commence déjà à trier par crainte de l’overdose tout simplement.

Je ne cache pas qu’il y a quelque chose qui m’a un peu chagriné à un moment, c’est l’inclusion des réseaux sociaux pendant que tu regardes un match. C’est-à-dire les commentaires avec les potes, etc… J’ai un peu arrêté, du moins je le fais beaucoup moins, parce que je me suis aperçu que je voyais plus les matchs (rires). Non mais franchement, chacun commence à commenter sur WhatsApp. Quand tu prends dix secondes pour écrire un truc, tu n’es plus dans le match. Et puis, de cette pratique découle un travers. Tu te mets à décrire toutes les actions les unes à la suite des autres. C’est un mécanisme un peu pervers et perturbant, parce que tu envoies « Tiens, Nadé c’est une chèvre », « Ah tiens, tu as vu la passe de Giraudon », « Neyou, quelle feigne ! ». En fait, tu en viens à découper le match en tranches, et à la fin tu n’en fais rien. C’est comme un saucisson que tu as coupé trop finement, il te reste que dalle. Parmi, l’évolution de ma façon de consommer le foot, il y a eu ça. Là je me suis dit stop et je me suis pris en mains. Désormais au stade, avant la rencontre, je fais deux trois photos pour les potes, on échange quelques bricoles et ensuite, je mets mon portable dans la poche parce que sinon je ne vois plus le match et ne profite plus de l’expérience du stade.

Quand tu prends dix secondes pour écrire un truc, tu n’es plus dans le match. Et puis, de cette pratique découle un travers. Tu te mets à décrire toutes les actions les unes à la suite des autres. Tu en viens à découper le match en tranches, et à la fin tu n’en fais rien. C’est comme un saucisson que tu as coupé trop finement, il te reste que dalle.

A peine 30% des 18-24 ans disent être fan de foot, d’après une étude de l’association européenne des clubs réalisée dans sept pays dont la France. A quoi attribuez-vous ce désamour des jeunes pour le football ?

J’avais lu une autre étude récemment qui tiraient des conclusions un peu différentes. Il faudrait que je retrouve la source. Je ne sais pas si c’est vrai… Il y a des études qui ont l’air de montrer effectivement que les jeunes ont plus de mal aujourd’hui à rester concentrés 90 minutes. J’aurais tendance à penser que c’est possible, dans le sens où cela accompagne une consommation de la société qui tend vers ça. On retombe sur les réseaux sociaux, les jeunes qui vivent beaucoup à travers le High light en fait, par les mini stories, les machins comme ça. Je reconnais très honnêtement que pour un jeune qui a l’habitude d’être sur son téléphone toute la journée, de naviguer à travers différentes applis…se poser devant un match de foot, où parfois il ne se passe pas grand-chose, cela peut être dur, il faut le reconnaitre. Certains matchs sont lents, ça circule derrière… je comprends que ça puisse paraître gonflant. C’est pour cela que j’accorde du crédit à ces études qui reflètent quelque chose de probablement vrai. Après, moi ce n’est pas mon cas, je ne suis pas un jeune qui a découvert le foot il y a deux jours.

L’impact des réseaux sur le foot – Source Site

Ce constat va même au-delà du football. C’est un vrai problème d’éducation, où les enfants doivent être stimulés, perdent le goût à l’ennui qui est capitale pour le développement de l’imaginaire…

Le paramètre overdose, et la suroffre peut contribuer à cela. Trop de foot tue le foot en fait. C’était plus facile d’avoir une tension autour d’un match, et d’avoir cet intérêt à le suivre de façon très précise quand il y avait moins de foot et que c’était rare. Gamin, il fallait parfois s’organiser pour arriver à trouver quelqu’un qui avait la chaine qui le diffuse. Il y avait une forme de tension qui se créait autour de l’événement. Maintenant c’est disponible partout. Il y en a beaucoup des matchs : Entre la L1, L2, Coupes d’Europe, championnats européens de sélection, Coupe du monde de sélection. Au bout d’un moment, je peux comprendre qu’il puisse y avoir un intérêt différent pour les jeunes. Et je répète, ils ont, de leur côté, développé d’autres habitudes.

Est-ce qu’on tend vers une génération de consommateurs de football, plus que de supporters ? C’est peut-être le souhait les grands patrons du foot ?

Je ne sais pas. Le risque existe évidemment. A choisir, les financiers du foot préfèrent des consommateurs à des supporters. Mais dans l’absolu, ils préfèreraient avoir les deux parce que les supporters sont quand même ceux qui rendent le produit attrayant. Le jour où tu as dans les stades uniquement de consommateurs qui ne manifestent rien, ton produit va se dévaloriser aussi. Donc les diffuseurs seront moins là. Moi, si demain j’investis dans le foot, évidemment que je chercherais le consommateur mais j’aimerais qu’il reste supporter quand même.

Être supporter (comme être membre d’une nation), c’est selon moi, faire corps avec l’histoire de son club et les choses parfois peu glorieuses du passé, comme la caisse noire ou le dopage à l’ASSE. Comment le vivez-vous à titre personnel ?

Je compare la relation d’un supporter avec son club aux liens du mariage. Je ne vais pas parler ici de la pertinence du lien du mariage, mais c’est juste pour symboliquement parler du meilleur et du pire. Quand tu es supporter d’une équipe, il faut l’être pour le meilleur et pour le pire, et le pire, il faut l’accepter. Cela m’a fait sourire de voir les gens le soir de la descente dire « ah ils font trop chier, j’arrête ». Pour certains d’entre eux, je les connaissais et je savais que c’étaient des vrais supporters et qu’ils n’arrêteraient pas. Cette descente, il faut qu’on l’assume en fait. Cela fait partie de notre histoire. La caisse noire, j’étais jeune, mais je sais que ça fait partie de l’histoire, et des darksides de la vie de l’ASSE. C’est trop facile de ne garder que les bons côtés. Tu ne peux pas. Il y a une chanson d’Aerosmith que j’adore qui s’appelle Dream ON, une espèce de chef d’œuvre, où il dit « You got to lose to know how to win ». Pour savoir comment gagner, il faut savoir perdre et également accepter l’idée que l’histoire n’est pas linéaire et n’est pas faite que de bons moments. L’histoire est une histoire d’hommes et comme dans toutes histoires d’hommes, il y a des perversités, des erreurs, et il faut l’accepter. Ou alors c’est que tu n’as pas cette relation de supporter. La relation de supporter est difficile à définir mais c’est un truc qui dépasse le rationnel et de l’ordre du passionnel. Si c’était du rationnel, on ne serait plus là car ça fait longtemps que c’est la dérive à l’AS Saint-Etienne. On ne serait pas là à échanger sur notre groupe WhatsApp commun toute la semaine pour savoir si c’est Charbonnier, Touzghar ou Wadji qui va signer à l’ASSE. On ne serait pas là à en faire des sujets. Aujourd’hui ce sont des sujets de discorde. Ça veut donc dire qu’on est des supporters, et que L1 ou L2, on est toujours là à supporter et avoir un intérêt pour le club.

Il y a une chanson d’Aerosmith que j’adore qui s’appelle Dream ON, une espèce de chef d’œuvre, où il dit « You got to lose to know how to win ». Pour savoir comment gagner, il faut savoir perdre et également accepter l’idée que l’histoire n’est pas linéaire et n’est pas faite que de bons moments.

On peut reprocher beaucoup de choses aux supporters marseillais, mais certainement pas la passion, la fidélité. Comment expliquez-vous qu’une partie des supporters n’arrivent pas à avouer les travers de leur club, le dopage et la corruption à l’époque de Tapie ?

D’une certaine manière, je les comprends. Mon cerveau ne les comprend pas, mais mes tripes les comprennent. Je pense qu’ils savent mais il y a une forme de honte. La caisse noire à l’ASSE n’est pas un épisode glorieux, et pourtant on sait que c’est grâce à cela qu’on a gagné des titres. On aimerait bien ne retenir que les titres et dire « ouai mais la caisse noire, ce n’était pas vraiment ça… ». Les deux font parties de l’histoire.

Parfois, je me balade dans des émissions autour de l’OM et je note qu’il y a de plus en plus de gens qui disent « Oui, le match contre Valenciennes a été acheté, c’est comme ça » et qui maintenant se battent contre l’idée que la finale contre Milan a été achetée. Ce n’est pas facile à accepter pour un supporter. Mais je pense qu’il faut savoir l’accepter, c’est indissociable de l’histoire du club.

L’histoire du PSG a été marquée par ce rachat des Qataris en 2011, qui fait couler beaucoup d’encre. Qu’est-ce qui gène finalement beaucoup d’amateurs de football : les Qataris, le PSG, un peu des deux ?

Oui, je crois qu’il y a un vrai phénomène de fond contre le Qatar, à savoir le modèle. Moi, il me pose un problème ce modèle. Il ne faut pas oublier quand même que l’argent qu’a amené le Qatar à Paris, a profité à tout le monde. Quand même. Je ne sais pas où en seraient les droits télés sans le PSG aujourd’hui. Ce constat, on a un tout petit peu tendance à le mettre sous le tapis.

Après, je ne vais pas faire mon Tebas de base mais il y a un vrai sujet sur des clubs, propriétés d’états, qui n’ont aucune limite financière. Il y a une distorsion forte du modèle. Ça me dérange un peu. Le championnat de France, à deux exceptions près depuis 2011, c’est le PSG qui le gagne tout le temps avec des marges phénoménales. Quel est l’intérêt d’un championnat que tu démarres en te disant « De toute façon, je ne peux viser que la deuxième place ». Il y a un côté dans l’équité sportive qui me dérange. Moi je n’ai pas d’aversion particulière contre le PSG, si ce n’est que nous sommes touchés de près avec Sainté. Le PSG va exploser le nombre de titres de champions de France, record qui était détenu par l’ASSE. Alors tu vas me dire « Oui mais l’ASSE, quand elle a gagné ses titres, il y avait des malversations, la caisse noire etc… ». Mais ce n’est pas la même échelle en fait. Les titres de l’ASSE n’ont pas été gagnés avec autant d’avance. Aujourd’hui, c’est juste presque indécent.

Oui, sauf que la caisse noire était illégale, ce qui n’est pas le cas des pratiques du PSG aujourd’hui.

Non c’est vrai… Moi qui suis assez régalien, si c’est autorisé c’est autorisé. Dans mon esprit de suiveur du foot, ces pratiques créent une forme d’injustice. Je regrette qu’il n’y ait pas de règles en place pour limiter le surinvestissement que peuvent faire ces états par rapport aux autres. Cela fausse la compétition dans des proportions sans commune mesure avec ce que la caisse noire pouvait fausser dans la compétition de l’époque. On n’est pas sur la même échelle. Mais pour autant, je suis d’accord. Ce que l’ASSE faisait avec la caisse noire était illégal, ce que faisait Bez à Bordeaux c’était illégal, ce que faisait Tapie à Marseille c’était illégal. Mais moi, je n’ai pas de grief particulier à l’encontre du PSG si ce n’est sur le fait que le système autorise à dépenser autant et à distordre à ce point les compétitons. Mais à partir du moment où ils peuvent le faire, ils le font, et ils ont raison puisque c’est autorisé.

Saint-Etienne, Marseille ou Bordeaux sont des exemples qui prouvent que le football et la politique sont intimement liés. Pourquoi l’arrivée des Qataris à Paris en 2011 a semblé rappeler à tout le monde que le football était aussi politique et business ?

Oui, le football est un instrument politique majeur qui est utilisé, à bon ou mauvais escient d’ailleurs (Knysna) et à plus ou moins bon escient dans les relations géopolitiques avec le Moyen Orient, pour le Qatar qui dépasse très clairement le PSG. C’est aujourd’hui un véhicule de discussion géopolitique. Pour la partie business et argent, il faudrait être complètement débile pour réfuter l’idée que le foot est une question d’argent. Il suffit de regarder le classement et les budgets… Il y a toujours une exception qui confirme la règle, mais pour le reste. Evidemment, le foot est un sport capitalistique. Si tu regardes les quinze derniers vainqueurs de la ligue des champions, il n’y a pas un club qui a gagné la Ligue des Champions avec moins de 400 millions d’Euros de budget. C’est le « ticket d’entrée ». On en pense ce qu’on en veut mais le foot est organisé comme cela. Le jour où tu changes des règles et tu crées des ligues fermées, avec de salary cap, un système de draft où le dernier du classement peut être le premier à choisir les rookies comme cela se fait en NBA, les choses seront peut-être différentes. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le foot est un système très ouvert capitalistiquement, et tant qu’il sera comme cela, c’est un triste constat, parce que je pense que l’ASSE n’a plus du tout sa place dans ce football là. Est-ce qu’il peut durer longtemps comme cela ? Je pense qu’à termes, il peut exister un risque de désintérêt. Ça lime les dents de l’envie de compétitivité. Aujourd’hui tu es un club professionnel en France, tu commences ton championnat en sachant que la meilleure place possible est la deuxième place. Ça coupe les ailes de la compétition et de l’investissement. Et ça, ça peut créer un désintérêt. Quand je dis à termes, ça peut être sur trente ans, si c’est toujours le PSG qui est premier avec vingt points d’avance.

Dans un des intérêts que je voyais en L2, c’est que le championnat était plus homogène. Et je me disais que Sainté n’ était plus dans cette compète avec deux matchs où tu sais d’avance que tu vas en prendre 5 à l’aller et 5 au retour. Au moins avec la L2, il n’y a pas de poids lourds, de disparités aussi importantes en termes de budget ou d’effectifs. C’est un peu plus égalitaire, avec une place au mérite sportif et l’implication. Pour l’instant, dans cette compétition, on n’est pas plus brillant que ce qu’on était dans l’autre (rires). Mais il n’empêche que je trouve ça intellectuellement plus stimulant.

Passer à un truc compétemment fermé à l’américaine, je n’y crois pas. Je ne suis pas pour l’export de modèle culturel aussi marqué et je pense que ça ne prendrait pas en France. C’est un peu comme les socios. On n’a pas cette culture et je ne vois pas comment on pourrait la créer en claquant des doigts.

Vous parliez de ligue fermée, de modèle à l’américaine. Seriez-vous favorable à ce genre de modèle ?

Je suis partagé. D’abord il y a un problème de culture. Nous ne sommes pas faits pour ça nous culturellement. Je crains qu’à l’inverse, ce système crée un lissage demi-molle, par le bas. Je ne suis pas sûr que le résultat ne soit pas au final, plus tiède qu’il n’est aujourd’hui. Je ne te cache pas que je suis pour l’introduction d’une dose de raison dans l’investissement capitalistique dans le foot français et européen et sur la façon dont les fonds sont utilisés. On voit arriver ce genre de mesure en Espagne, avec la nouvelle règle sur la masse salariale Vs le budget. D’immenses clubs historiques comme le Barça sont obligés de trouver des artifices, de vendre des actifs pour permettre d’inscrire des joueurs comme Lewandowski dans la saison. Ce n’est pas rien. Les choses évoluent et j’y suis favorable.

Maintenant, passer à un truc complétement fermé à l’américaine, je n’y crois pas. Je ne suis pas pour l’export de modèle culturel aussi marqué et je pense que ça ne prendrait pas en France. C’est un peu comme les socios. On n’a pas cette culture et je ne vois pas comment on pourrait la créer en claquant des doigts.

On peut reprocher beaucoup de choses au modèle américain. Comment parler de sport à partir du moment où il n’y a plus montée ni descente ? Vous arrivez à des trucs absurdes où vous avez intérêt à être dernier pour être avantagé à la draft. Et puis qui décide que tel club est dans la ligue fermée et qui ne l’est pas. C’était aussi le problème de la Super League imaginée un temps en Europe ?

Oui, on est dans de l’entertainment. On crée les conditions pour avoir tout le temps le truc le plus spectaculaire. Et effectivement, je crois à la vertu de l’ascenseur. Je pense que c’est bien qu’il y ait des descentes et des montées, cela crée des tensions, un suspense, une forme de méritocratie. Et dans la ligue fermée, si tu as mal travaillé et que tu es dernier, tu es presque récompensé parce que tu es premier à la draft.

Equipe de Saint-Etienne 1976 : Curkovic, Janvion, Farison, Piazza, Lopez, Bathenay, Synaeghel. Rocheteau, Larqué, Hervé Revelli, Patrick Revelli. Source – JDD

Les supporters ont aussi cette vision nostalgique du football qui n’était pas « business ». Or, beaucoup de supporters stéphanois oublient que le club était le plus riche de France, et que les joueurs comme Herbin ne venaient pas pour les beaux yeux de Pierre Garonnaire ou l’attrait de la ville. L’argent comme la politique a toujours fait partie du foot non ?

Oui, mais les gens ont la mémoire sélective. Tu as raison, mais une fois encore c’est une question d’échelle. L’échelle n’était pas aussi grande. Les disparités de moyens entre l’ASSE et les autres clubs étaient plus faibles que celles entre le PSG et Monaco, Lyon ou Marseille. Ça choquait moins. Et puis, l’ASSE n’était pas dans cette logique de super stars internationales. Pour beaucoup, les joueurs qui venaient au départ, étaient des inconnus. Ils sont devenus ce qu’ils sont devenus à l’ASSE : Lopez, Janvion… ils n’étaient pas des supers stars.

Ça a d’ailleurs merdé à l’ASSE quand le club a changé de politique et pris des « stars ».

Exactement. C’est là où je rejoins les nostalgiques, j’ai l’âge pour, probablement. Dans l’état d’esprit, les joueurs étaient un peu différents. Il n’y avait pas l’arrêt Bosman, il n’y avait pas les flux de joueurs, l’organisation business du foot était différente et a beaucoup changé avec la libre circulation et le fait que tu puisses acheter le nombre de joueurs que tu veux. A l’époque, tu avais le droit à deux ou trois recrues. Les gens bougeaient moins, les carrières étaient plus longues dans le même club et l’attachement était différent, qu’on le veuille ou non. La structure étant différente, tu travaillais plus longtemps avec les mêmes joueurs et ton projet sportif était travaillé sur 4/5 ans et des automatismes se créaient.

De nos jours, un joueur est un an là, deux ans ici. Et donc tu as perdu la connexion entre les joueurs et leur club. La relation entre les joueurs et leur public est drastiquement différente. Aujourd’hui, ton effectif est renouvelé à 40% tous les ans, et tu as quinze jours ou trois semaines l’été pour trouver la bonne formule.

Je garde une tendresse pour le football d’avant. Mais, je reste très pragmatique. Le foot est comme cela, et ça ne sert à rien de répéter que c’était mieux avant. De toute façon, on ne reviendra pas en arrière.

Banderoles stéphanoises – Source Nouvel Obs

Dans les stades, on a souvent vu des banderoles Anti-Qatar, comme à Saint-Etienne, Marseille. Selon vous, s’agit-il d’une profonde aversion pour la politique du PSG ?

Je ne t’apprendrai rien en disant que culturellement, le Français n’aime pas beaucoup le vainqueur. En dehors du fait que tu as un conflit Province/Paris qui existait bien avant les Qataris, ce qui cristallise les critiques contre le PSG, c’est le pognon. C’est cette avalanche de pognon, et ce sentiment que c’est un puits sans fond et l’impression de ne pas jouer avec les mêmes règles.

La géopolitique, vous pensez que les supporters s’en foutent ? C’est davantage une jalousie d’un tel projet, surtout quand les rumeurs de projet en Arabie Saoudite excitent pas mal de gens à Marseille ?

Oui c’est de la jalousie. Pour revenir à notre club, j’ai effectivement vu plein de fois tous les allumés de supporters, les fameux « Sainté c’est nous » dire que jamais ils n’accepteraient un tel projet dans leur club. Si le sultanat Brunei, petit sultanat mais qui a beaucoup d’argent, décide de se payer une danseuse et de monter une équipe à 500 millions d’Euros de budget à l’ASSE, j’attends de voir si les « Sainté c’est nous » vont dire longtemps que c’est honteux. Quand ils vont voir débarouler des Lewandowski, des Tchouameni, des mecs comme cela, je ne suis pas sûr que la vertu tienne très longtemps.

Je ne vois pas dans les contestations autour du PSG comme critiques majeures, l’inclusion géopolitique et les tractations sous-marines. Je vois « PSG Enculé » parce que vous pouvez dépenser ce que vous voulez. L’aspect très géopolitique des choses, ce que cela a permis à la France de faire au Qatar par ailleurs sous Sarkozy, je crois que les gens s’en foutent. Il ne faut pas se leurrer. Les associations de groupes de supporters qui gueulent contre la façon dont les stades ont été construits et les mecs qui sont morts sur les chantiers, c’est de la poudre aux yeux. Tout le monde s’en fout en fait, et tout le monde regardera la Coupe du monde ou presque. Il faut se parer d’une petite robe de vertu, mais je pense que les gens s’en foutent.

Je crois que c’est Daniel Riolo qui disait cela et il a raison sur ce point : on veut bien entendre les mecs qui veulent boycotter la Coupe du monde au Qatar, qu’on limite le pouvoir des Qataris au PSG mais à ce moment-là, il faut accepter que la France ne fasse plus de business au Qatar, que le Qatar décide de ne plus laisser Total investir là-bas. Mais, c’est ce que j’appelle la vertu à géométrie variable. La vertu, on sélectionne ce que l’on considère comme vertueux en décidant de ce qu’on peut laisser sous le tapis. Si on faisait un sondage en demandant aux gens sur l’aspect purement géopolitique et Human Rights : « Êtes-vous prêts à ce que la France n’aille pas à la Coupe du monde », je crois que beaucoup de gens diront « Non, c’est vrai que ce n’est pas bien ce qui se passe, mais la France a gagné la Coupe du monde et doit défendre son titre ».

Surtout quand on est allé en Russie en 2018…

Totalement

Est-ce que votre vision politique interfère dans votre vision de voir le football ?

Non, c’est hermétique. C’est difficile à expliquer. Si je devais faire péter les frontière hermétiques, ma conception du business international et d’une certaine partie des droits de l’Homme devraient me conduire à ne plus regarder aucun match du PSG. Or, je ne le fais pas. Je suis arrivé à rendre cela hermétique, et je ne sais pas expliquer pourquoi. Je reconnais que je ne vais pas au bout de mes idées là-dessus. Mes idées politiques pourraient m’amener à te dire que je trouverais normal que le foot soit mieux encadré financièrement, quitte à mettre des contraintes et des règles. Or, je continue à regarder un football qui est organisé en capitalisme sauvage qui est quelque chose que je combats. Si ma vision politique avait dû interférer dans ma vision du foot, je crois que je ne regarderais plus ce sport tel qu’il est devenu.

Banderoles lyonnaises – Source Sports

Sur le plan international, certaines rencontres de football ne peuvent avoir lieu (Gibraltar-Espagne, Ukraine-Russie, Arménie-Azerbaïdjan) en raison des conflits géopolitiques. Mais seuls les joueurs ne semblent pas pouvoir s’exprimer sur ces sujets puisque la FIFA interdit les messages politiques des joueurs sous les maillots. Qu’en pensez-vous ?

Oui il y a une incohérence et une hypocrisie. Mais avec la FIFA on n’est plus à une près. Je ne sais pas si le grand public est prêt à ce que les footballeurs s’expriment sur les sujets politiques. Exemple : cette espèce de polémique qu’a créé l’article d’Mbappé dans le New York Times. Je ne sais pas si tu la lue. Mbappé s’exprime sur tout et on peut considérer que dans certains domaines, il va un peu loin, le côté un peu gilet jaune, « Je veux être la voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer ». Tu peux te dire : est-ce qu’il ne va pas un peu loin le garçon ? Mais d’un autre côté, moi j’aime bien. On reproche tellement aux footballeurs de ne jamais s’exprimer sur rien, alors qu’ils font partie d’un ensemble. On a un sport éminemment politique. On n’arrête pas de dire que les footballeurs ne sont pas près de trouver un vaccin, et que tout ce qu’ils savent dire c’est « on a à cœur de … et on va se dire les choses et machin ». Pour une fois qu’il y en a un qui s’exprime sur autre chose, putain laissons-le faire.

Je suis d’accord, et le mettre en face de ses contradictions ou incohérences non ?

Oui, tu as le droit de le renvoyer à ses incohérences. Il y en a plein. Forcément, il va se placer en garçon vertueux sociétalement parlant, il fait beaucoup d’actions caritatives et reverse beaucoup de ses primes à plein d’associations. En revanche, il n’évoque jamais le sujet du Qatar. Il bosse pour un club dont le propriétaire est un pays, où le moins que l’on puisse dire est que sa relation aux droits de l’Homme est particulière, il va faire une Coupe du monde où on sait tous qu’il y a eu énormément de morts sur les chantiers. Mais ça il n’en parle pas. Pour quelqu’un qui veut s’exprimer pour les minorités, c’est une première contradiction.

Deuxième contraction, Mbappé veut parler des ghettos du 93. Mais Mbappé n’est pas du tout né dans ce milieu-là en fait. Il est né dans un milieu tout à fait favorisé, dans un milieu cadré. Il est plein d’incohérences, mais putain, laissons-le s’exprimer.

Pour élargir un peu au champ international, je trouve que ça aurait été bien qu’on entende plus de footballeurs russes ou ukrainiens s’exprimer ces derniers mois, il y en a malheureusement eu très peu. Mais la FIFA joue un rôle malsain dans cette histoire. Dès que c’est assimilé à des revendications politiques, il y a tout de suite des sanctions et il n’y a pas de mesure. Il n’y a pas d’étude au cas par cas du type de message. Elle préfère fermer le robinet et taper tout de suite quand il y a quelque chose qui sort, ça coupe 90% des velléités des joueurs. Or, on vit dans une société globalement démocratique (tout dépend des pays), où le droit à la parole est libre et devrait toucher tout le monde. Pourquoi les footballeurs seraient un microcosme qui n’a pas le droit de s’exprimer ? Parce qu’ils sont trop cons ? Ok, mais ils ne sont peut-être pas tous trop cons et ont leur sensibilité.

Les joueurs allemands avant leur match face à l’Islande – Source France24

Malgré l’interdiction de la FIFA des messages politiques sous les maillots, la FIFA n’a pas sanctionné l’action de la Mannschaft pour son message politique avant la rencontre face à l’Islande. Etrange non ?

La défense des droits de l’Homme à quelques mois de la Coupe du monde, je crois que tout le monde a compris le message. C’est curieux que la FIFA ait laissé passer. Après, je te renvoie à la Fable de la Fontaine, tu n’as pas affaire à un pégreleux mais à un mec qui a lu beaucoup (rires). Les animaux malades de la Peste, cette fable marche à peu près dans tous les domaines de la société. La FIFA ne tape pas sur l’Allemagne parce qu’ils ne peuvent pas taper sur l’Allemagne. C’est une des plus grosses nations mondiales dans le foot, qui fait que la Coupe du monde se vend. Après, elle aurait pu faire une petite tape sur les doigts comme elle fait de temps en temps « Messieurs les Schpountz, il ne faut pas le faire ». Elle l’a peut-être fait de manière non officielle en écrivant à la fédé. Mais ça reste curieux car cela peut faire jurisprudence. La prochaine fois qu’un joueur individuellement soulèvera son maillot avec « Human Rights » écrit dessus, et qu’ils veulent le sanctionner, il pourra s’appuyer sur cette histoire.

La FIFA autorise le port du voile sur les terrains de football alors que la loi 4 du règlement de la FIFA impose de n’arborer « aucun message politique, religieux ou personnel ». Pourquoi cette contradiction ? Êtes-vous d’accord avec la FIFA ?

Les joueuses qui portent le voile ont dû mettre la FIFA dans une situation délicate. La FIFA se sent supranationale et veut édicter des règles qu’elle aimerait voir appliquer partout de la même façon. Au départ, la FIFA voulait imposer que personne ne soit voilé, à cause de loi 4 « aucun message politique, religieux ou personnel ». J’ai cru comprendre qu’ils ont obtenu un compromis pour que toutes les femmes des sélections dont la religion impose le port du voile, puissent jouer voilées. C’est ce qu’on appelle un compromis géopolitique. Je pense qu’il y en a eu aussi pour la Coupe du monde au Qatar, où le gouvernement qatarien a décidé d’appliquer les lois du pays, avec quelques aménagements sur l’alcool mais très peu. En gros, le message c’est « vous venez chez nous, mais vous ferez comme chez nous ». Il en est de même concernant l’homosexualité. Après, à partir du moment où tu vas dans un pays, c’est vrai pour toi comme pour moi, tu te conformes aux lois et aux règles du pays.

La FFF a indiqué qu’elle n’autoriserait pas les joueuses à porter le voile en sélection nationale ou dans ses propres compétitions. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Si la compétition a lieu en France, les équipes qui veulent porter le voile, soit elles se plient à cette règle en France, soit elles ne viennent pas.

Que pensez-vous de l’attribution de la Coupe du monde au Qatar ?

Il ne faut pas jouer les vierges effarouchées. Il n’y a pas de différence de nature entre l’attribution de cette Coupe du monde et les autres, il y a peut-être juste une différence de degré. Toutes les Coupes du monde sont attribuées sur des jeux politiques, des luttes d’influence, de la corruption. Pour celle-ci au Qatar, c’est juste la taille des valises qui est plus épaisse.

En dehors de la question « Qui a payé le plus pour l’avoir ? », on peut effectivement se poser la question de l’aspect climatique et écologique de ce mondial. Cette Coupe du monde va être d’une gourmandise de dingue en termes énergétique. On est obligé de mettre en place des artifices extrêmement gourmands en ressources, en énergies, des climatisations au stade. C’est complètement ahurissant.

On peut ajouter la question de l’impact environnemental dans cette Coupe du monde ?

En dehors de la question « Qui a payé le plus pour l’avoir ? », on peut effectivement se poser la question de l’aspect climatique et écologique de ce mondial. Cette Coupe du monde va être d’une gourmandise de dingue en termes énergétique. En étant un peu brutal, on peut dire que ce pays n’est pas fait pour accueillir une compétition de foot à cause du climat. On est obligé de mettre en place des artifices extrêmement gourmands en ressources, en énergies, des climatisations au stade… C’est complètement ahurissant. Dans le même temps, j’ai lu dans la presse que le gouvernement français collait des amendes de 200 Euros aux commerçants qui laissent la porte ouverte alors que leur climatisation fonctionne. On en est là. Et on va mettre des climatisations dans des stades de 60 000 personnes. On marche sur la tête en réalité. C’est une hérésie de plus, mais on en n’est plus à une près.

Après, la FIFA souhaite aussi démocratiser le foot partout dans le monde. C’est aussi le but d’une Coupe du monde je présume ?

Oui, il y a cette volonté panthéiste de façade que se donne la FIFA de démocratiser le foot partout dans le monde. Quand Platini le disait, je pense que c’était sincère. Quand Infantino le fait, c’est surtout pour être sûr de pouvoir s’en mettre plein les poches. Mais il y a cette espèce de Mojo à la FIFA de se dire que le football est un sport mondial, on doit pouvoir le jouer partout et tous les pays doivent pouvoir accueillir une Coupe du monde. Si tu sors de cette vision-là, que tu ne choisis que les pays dont les climats permettent de jouer une Coupe du monde dans de bonnes conditions, tu vas toujours tourner sur les mêmes pays. Je comprends que la FIFA veuille ouvrir, mais d’un autre côté, je pense qu’il devrait y avoir une liste rouge de pays où ce n’est pas possible pour des raisons climatiques. L’investissement et le coût énergétique sont trop démentiels. 

Par ailleurs, c’est une Coupe du monde très particulière, qu’on va jouer en plein hiver, qui va bousculer tous les championnats européens. Ça va être une saison extrêmement étrange. On va jouer quinze matchs, puis le championnat va s’arrêter pendant un mois. Ça va reprendre, les joueurs qui ont fait le mondial vont revenir de la Coupe du monde, tu ne sais pas dans quel état ils seront. Ça va jouer entre Noël et le jour de l’An. Ça va être une saison super particulière. Pour toutes ces raisons, je pense que la Coupe du monde n’aurait jamais dû avoir lieu au Qatar.

Peut-être aussi qu’il n’y a pas tant de pays capables d’accueillir la Coupe du monde sans se mettre en difficultés. On l’a vu au Brésil l’impact de la Coupe du monde a été terrible, aussi bien économique qu’environnemental ?

Mais je vais te retourner la question. Comment tu vis le fait qu’il n’y ait jamais de Coupe du monde organisée en Afrique noire et sub-saharienne ? Le Maghreb est une région de foot incroyable et pourrait organiser un mondial alors certes dans des conditions chaudes mais pas autant que le Qatar. Et pourquoi on ne le fait pas ? Tout simplement parce que Le Maghreb n’est pas capable de remplir des valises aussi importantes que le Qatar. Et que pour tout un tas de raisons, le Qatar est un investisseur majeur de plein de pays occidentaux et donc quand il s’agit de recueillir les votes dans les fédérations, tout le monde préfère le Qatar. Ça crée du business. Le Qatar est l’un des plus gros clients de de la boite de BTP de Florentino Pérez. Tout ça est cousu de fil blanc.

Pour répondre à ta question : On pourrait organiser une Coupe du monde dans les pays nordiques, la Suède, ça date de 1958. On pourrait imaginer un mondial en Croatie, Serbie, Slovaquie ou en Amérique du Sud, Pérou et Chili. Sauf que, la FIFA n’a pas trop envie car les pays n’ont pas trop les moyens de financer les infrastructures, et elle serait obligée de mettre la main au bassinet au lieu de prendre le pognon. Je te fiche un billet que dans les vingt ans qui viennent tu auras une candidature de Coupe du monde en Arabie Saoudite ou Emirats Arabe Unis, sous le fallacieux prétexte de développement du foot dans les pays où le foot n’est pas majeur. Mais Infantino n’en a rien à carrer de développer le foot au Qatar, dans un pays grand comme l’Ile de France. C’est une affaire évidemment commerciale et encore plus financière.

En parlant de FIFA, je trouve ça dur ce qui est arrivé à Platini, il a été traité comme un pégreleux. Il n’a pas tout fait bien, mais il est quand même plus honnête que la majorité des mecs impliqués dans le dossier. C’est quelqu’un qui a toujours aimé le pognon Platini, il ne s’en est jamais caché mais je pense qu’il avait en plus de cela, l’envie d’aller vers un foot plus juste, plus équitable, plus étendu sur la planète, avec des développements de ressources pour des pays qui avaient besoin d’infrastructures. Il avait des idées qui n’étaient pas uniquement mercantiles.

Comment vis-tu le fait qu’il n’y ait jamais de Coupe du monde organisée en Afrique noire et sub-saharienne ? Le Maghreb est une région de foot incroyable et pourrait organiser un mondial. Et pourquoi on ne le fait pas ? Tout simplement parce que Le Maghreb n’est pas capable de remplir des valises aussi importantes que le Qatar.

Pourtant, la France a une vision très manichéenne de Platini. Certains l’adorent, d’autres le détestent. Comment l’analysez-vous ?

Je pense que c’est un problème générationnel. Tous les gens qui ont vu joué Platini le considèrent comme une icône et une légende du foot. C’était un joueur exceptionnel qui a marqué le foot. Il est le dernier dinosaure de ce foot des années 80 qui était beaucoup basé sur le talent et beaucoup moins sur les performances physico-sportives. Platini était un mec qui marchait sur un terrain. La génération d’après en a entendu un peu parler à partir du moment où il est devenu patron de l’UEFA, puis ils l’ont découvert depuis cinq ou six ans à travers les journaux ou les réseaux sociaux, à travers son procès. Il y a aussi un effet Zidane très fort, l’icone d’après, qui jouait au même poste. Tu ne peux pas avoir deux idoles pour le même poste. Le numéro 10 c’est Zidane pour les gamins de la génération 98. Mais pour moi, cela restera à jamais Platini.

Nous remercions chaleureusement Joss Randall et lui souhaitons une bonne continuation dans tous ses projets.

JM