Entretien avec Joss RANDALL – Partie 1

La chronique de Joss Randall - Source Peuple Vert

Si vous êtes supporters des verts, vous êtes déjà probablement tombé sur les analyses ou chroniques de notre invité. En effet, le cowboy Joss Randall dégaine ses chroniques sur le site Peuple Vert depuis 2015, participe à l’émission hebdomadaire stéphanoise Sainté Night Club et intervient régulièrement sur RMC dans l’After Foot pour partager son regard sur l’actualité verte. Pour notre plus grand plaisir, ce spécialiste du bon mot et de la phrase a accepté un long entretien autour du football. Dans cette première partie de l’entretien, Joss dépoussière des vieux souvenirs et nous livre son regard, sans concession, sur ses débuts sur internet et l’évolution sociale du ballon rond.

Bonjour Joss. Avant d’aborder votre parcours et votre activité sur internet, évoquons un peu votre enfance. Dans quel contexte social avez-vous grandi ?

J’ai grandi dans un milieu tout à fait modeste. Papa ouvrier, maman qui a fait plusieurs métiers mais qui a terminé sa vie comme ASH dans un EHPAD. J’ai vécu une enfance extrêmement heureuse, positive, au calme dans un milieu social stable dans un petit village qui s’appelle Saint-Héand. C’est un village situé à 15 kilomètres de Saint-Etienne, au-dessus de l’Etrat où vit notre ami Loïc Perrin aujourd’hui et où vivaient beaucoup d’anciens joueurs comme Patrick Guillou entre autres.

Mes parents très attentionnés, m’ont permis de faire plein de choses, m’ont incité à faire de la musique. J’ai grandi dans des conditions idéales, avec plein de potes, avec un frère et des sœurs plus grands, qui ne m’ont pas forcément vu grandir mais avec qui j’ai toujours eu de très bons rapports. J’ai fait mes études à Saint-Héand jusqu’au collège, puis au Lycée à Saint-Etienne, de même que ma prépa Ecole de Commerce à Claude Fauriel avant de partir pour quasiment vingt ans loin des terres stéphanoises. Tout cela a construit ce que je suis aujourd’hui, en jetant des bases relativement saines, du moins c’est l’impression que j’en ai, à 52 balais.

Quelles sont les personnes, connues ou moins connues, qui vous ont inspiré dans votre jeunesse ?

Rah putain, ça c’est une question (il réfléchit). La première partie de ma vie a été rythmée par la musique. Je faisais de la musique matin midi et soir, j’avais des groupes et je jouais beaucoup les week-ends. Mes premiers modèles ont donc été des musiciens, de différentes générations : Je pense à Stan Getz, Michael Brecker, Miles Davis, Branford Marsalis. Je les admirais par rapport à ce qu’ils ont apporté à la musique, parce qu’ils étaient des modèles vers lesquels j’essayais de tendre.

Plus tard sont venus des modèles dans d’autres domaine de la vie : beaucoup d’auteurs dans différents styles littéraires. Ça va de Victor Hugo à Frédéric Dard par exemple. Ça peut être des gens de cinémas, que je trouve inspirants comme Lino Ventura, Michel Audiard, Louis de Funès, qui pour moi sont de grands messieurs.

A partir des années 80, on retrouve pas mal de gens de foot. Michel Platini a été longtemps une idole, beaucoup plus que Zidane, qui ne l’a jamais été pour moi. C’est un formidable joueur de foot mais il n’avait pas cette dimension d’idole, aussi parce que je n’avais pas le même âge et les mêmes attentes de la vie. Platini quand il vient à Sainté, j’ai neuf ans. Je le vois comme un monstre. Le mec part à la Juve après, il est plusieurs fois Ballon d’Or. Il y avait une espèce d’appropriation à un moment, de se dire « ce mec-là, il était chez nous », avec beaucoup de fierté associée à cela.

Là je parle des modèles connus, mais il y a aussi des gens moins ou pas connus. D’abord, il y a eu mon frère, qui m’a beaucoup inspiré quand j’étais petit. C’est marrant parce que quand je vois la relation que j’ai avec lui aujourd’hui, c’est devenu complètement autre chose (rires). Puis il y a eu des rencontres avec des gens qui sont extrêmement inspirants pour moi. Je pense notamment à quelqu’un qui s’appelle Pierre et qui m’a beaucoup marqué. Professionnellement, c’est le premier mec qui m’a donné une chance de faire ce pour quoi je pense que j’étais fait, à savoir des métiers de management. Je n’étais pas dans cette voie au départ, c’était un risque pour lui de me donner cette chance. Il a pris ce risque et ce mec-là m’a beaucoup inspiré dans le reste de ma vie. C’est d’ailleurs aujourd’hui un de mes supers potes.

Platini quand il vient à Sainté, j’ai neuf ans. Je le vois comme un monstre. Le mec part à la Juve après, il est plusieurs fois Ballon d’Or. Il y avait une espèce d’appropriation à un moment, de se dire « ce mec-là, il était chez nous », avec beaucoup de fierté associée à cela.

Comment avez-vous découvert le foot ? Votre famille était-elle fan de football et de l’ASSE ?

Quand je te disais que mon frère a beaucoup construit et a posé des jalons de ce que je voudrais devenir, même si je m’en suis fortement éloigné après, je faisais référence à mon attirance pour le foot. C’est aussi à lui que je dois ce surnom de Joss Randall. Le vrai fan de Josh Randall c’était plutôt lui, et comme il ne pouvait pas s’auto affubler de ce surnom, il l’a collé à son petit frère, qui n’a évidemment pas gueulé vu qu’il était en admiration devant son grand frère. Aujourd’hui, à Saint-Héand, mes potes de la petite enfance m’appellent encore comme ça quand ils me croisent. Je dois aussi à mon frangin mon attrait pour le foot car il jouait à un niveau amateur. Et à l’époque, quand tu as dix ans, tout ce que faisait mon frère était forcément bien. Ainsi, on parlait beaucoup de foot à la maison, beaucoup de Saint-Etienne et des Verts. Mon père était fan de foot et allait au stade quand il était jeune. Je suis né en 70 et j’ai suivi l’épopée de 76 de manière un peu indirecte, par la télé et à travers ce que m’en disaient mes parents.

Quels sont vos premiers souvenirs de football au stade ?

Quand je commence à être en âge de m’intéresser fortement au foot à la fin des années 70, début 80, mon père n’allait plus au stade. Ma connexion au foot de façon plus intime mais surtout plus concrète, vient un peu plus tardivement et je m’en souviens parfaitement. La première fois que je mets les pieds à Geoffroy-Guichard, j’ai 14 ans. C’est pour le troisième match de poule de l’euro 84, France – Yougoslavie, 3/2 avec les trois buts de Platini. Pour une première fois, c’est plutôt sympa. Le stade est plein comme un œuf. J’étais dans la tribune Charles Paret complètement à gauche quand on regarde la tribune. Il y avait tellement de monde que je ne voyais rien. J’étais avec un copain de mon frère, qui m’a dit « Ecoute, monte sur le muret ». Et j’ai passé toute la première mi-temps comme ça, sur le muret qui est la limite de la tribune. C’était un match formidable : les trois buts de Platini, le médecin de l’équipe Yougoslave qui fait un arrêt cardiaque sur la pelouse. Il me reste énormément de souvenirs de cela.

A partir de là, il y a un truc qui a fait « clic ». Je commence à lire tout ce qui s’écrit sur l’ASSE. Il faut se rappeler d’un monde qu’on a presque oublié aujourd’hui. Il n’y avait pas de réseaux sociaux, il n’y avait pas internet. 1984, l’ASSE, tu avais les articles dans Le Progrès, France foot le mardi et l’Equipe.

Mon attirance pour le stade est née là, le 19 juin 1984 : la passion dans le stade, le bruit, les couleurs, les chants. Je me suis dit « Il faut revenir ». Ainsi, j’ai commencé à aller au stade de manière très régulière. Je n’étais pas abonné mais j’y allais très souvent, notamment en Kop Nord. A l’époque, on pouvait changer de tribune à la mi-temps. J’allais Kop Nord, et à la mi-temps, je passais Kop Sud, car je voulais être toujours du côté où l’ASSE attaquait. C’est drôle, on déterre des souvenirs qui nous font dire « Putain mais c’est vrai que c’était comme ça ».

Le 12 juillet 1998 reste un moment irréel, une nuit complètement sauvage, un truc un peu hors du temps. Il n’y a plus rien qui comptait, tout était suspendu, les gens étaient différents. J’ai rarement vécu un moment de bonheur collectif aussi clair, aussi direct et limpide.

Quelles sont vos trois plus grosses émotions liées au football ?

C’est marrant parce que sur les trois émotions, il y en a deux qui ne concernent pas l’ASSE. La première est celle que je viens de citer : France / Yougoslavie 1984 parce que c’était la première. La deuxième est la montée en Ligue 1 en 2004, avec la volée de Bridonneau. Et la troisième, c’est quand même le 12 juillet 1998. La première coupe du Monde, un moment irréel, une nuit complètement sauvage. C’était tellement sauvage, qu’il y a des morceaux de la nuit dont je ne me souviens plus. C’était un truc un peu hors du temps. Il n’y a plus rien qui comptait, tout était suspendu, les gens étaient différents. C’était une espèce de parenthèse dans la vie d’une société. Ce soir-là, j’ai mesuré la puissance du foot sur les gens. Je me suis dit que ça peut tout changer. Ça m’a vraiment marqué. Et aujourd’hui, on s’aperçoit que c’est toujours vrai, et malheureusement pas toujours dans le bon sens. Le foot peut rendre les gens complètement débiles, y compris des gens parfaitement bien câblés. Mais 1998, c’était l’extrême positif, tout le monde était heureux. J’ai rarement vécu un moment de bonheur collectif aussi clair, aussi direct et limpide. 1998 est beaucoup fort que 2018. En 2018, j’étais heureux, mais ça ne m’a pas transporté de la même façon, sans doute parce que je n’ai pas le même âge et que ce n’est plus la première fois, et ça ne sera jamais plus la première fois. Qu’on le veuille ou non, cette émotion et France 98 l’a bien compris, elle restera unique parce que c’était la première fois.

Beaucoup de gens se définissent supporters de leur club avant d’être amateur de foot. Est-ce votre cas ?

Ces deux choses sont pour moi liées et indissociables. C’est un tout. Pour essayer de répondre à ta question de manière différente, si pour une raison ou pour une autre, le club de l’ASSE disparaissait, je crois que je continuerais à regarder du foot parce que j’aime ça, que c’est un sport qui me plait. Après, je ne cache pas que je regarderais certainement différemment et peut être un peu moins. Maintenant, l’année qui s’ouvre va être un bon test. L’ASSE n’est plus dans la cour des grands ni en première division, je vais me laisser découvrir si je vais continuer à suivre la ligue 1 par exemple, regarder les matchs, si je vais continuer à trouver de l’intérêt dans le suspense du championnat… ou pas. Si je n’en trouve pas, c’est que ma connexion au foot est très clairement liée à l’ASSE. Mais je ne crois pas. Je crois que je reste un amateur de foot au sens large, qui cultive une vraie passion pour l’ASSE en parallèle. Pour moi, ce n’est pas incompatible et on n’a pas forcément ni à associer, ni à dissocier les deux.

En revanche, je conçois qu’on puisse être uniquement l’un ou uniquement l’autre. Je connais des gens qui aiment le foot, mais n’ont pas d’équipes fétiches. Ils aiment le foot parce qu’ils aiment le foot. Il y a plusieurs équipes qu’ils aiment bien, mais ils peuvent changer d’une année à l’autre. Ils peuvent être suiveur d’une équipe en particulier parce qu’elle les fait triper. Je connais des mecs qui se sont un peu enthousiasmés par ce qu’il s’est passé à Rennes sur les deux dernières années alors qu’ils ne sont pas du tout supporters Rennais et ne suivaient pas Rennes avant. Si cette année, c’est plutôt Lens ou Lille et Marseille, ils suivront ces équipes car ils sont à la recherche d’émotions footballistiques.

On peut imaginer l’inverse et j’en connais aussi. Dans mon Gang des Binouzes (groupes de potes avec lesquels on se retrouve avant les matchs à Sainté, j’en connais plusieurs qui ne s’intéressent pas à ce qui se passe par ailleurs. Ils ne s’intéressent aux autres résultats que dans la mesure où ils ont un impact sur l’ASSE, donc ceux qui sont la même division. Mais ils sont passionnés des Verts et de l’univers autour de l’ASSE.

Quels sont les joueurs qui vous ont marqué à l’ASSE ? et Pourquoi ?

Dans ceux que j’ai vus, Moravcik, sans l’ombre d’un doute. D’abord c’était un super joueur. Et j’en avais entendu parler avant la Coupe du monde 1990, parce que l’ASSE s’intéressait à lui. Et comme il n’y avait pas la France à cette édition, je cherchais mes centres d’intérêt. J’avais regardé tous les matchs de l’équipe Tchécoslovaque juste pour voir ce joueur qui arrivait en août chez nous. Et je l’avais trouvé super bon. J’ai eu une attention particulière pour ce joueur, et il représentait tout ce que j’aime dans le foot : Créativité, engagement. Il m’a vraiment marqué.

Ensuite, Zokora pour des raisons purement footballistiques. Et pourtant, il n’est pas resté longtemps, mais Zokora était absolument exceptionnel. Comme beaucoup de joueurs qui ont un talent autre, il n’a pas fait la carrière qu’il aurait pu mériter. Je pense que footballistiquement, il avait tout pour faire une carrière à Chelsea ou à Manchester. Attention, il a fait une belle carrière, mais je pense qu’il pouvait faire plus.

Et enfin je citerais Pascal Feindouno parce que c’est un footballeur d’une autre dimension en fait. C’est le genre de footballeur qui était capable de faire des trucs que très peu de joueurs savaient faire. Et surtout, frappé au sceau de l’insouciance, c’est-à-dire un mec dont le foot était la passion mais n’était pas la priorité. Il avait une légèreté vis-à-vis de cela, un recul par rapport aux performances qui faisait qu’il pouvait être transparent parfois, mais absolument génial d’autres fois. Je trouve que ce profil manque aujourd’hui, cette espèce de magicien qui peut sur une, deux ou trois actions, te faire basculer un match dans une autre dimension.

Pascal Feindouno était un footballeur d’une autre dimension en fait, capable de faire des trucs que très peu de joueurs savaient faire. Et surtout, frappé au sceau de l’insouciance, c’est-à-dire un mec dont le foot était la passion mais n’était pas la priorité.

Vous évoquiez auparavant vos grands souvenirs de football avec cette montée en L1 en 2004. Quelles sont les autres grandes émotions, négatives associées à l’ASSE ?

Comme tu es un lecteur assidu de mes chroniques, tu sais que je dis souvent que la tristesse est une émotion. On l’oublie souvent. L’émotion n’est pas forcément positive et la tristesse fait partie de la valise des émotions. En disant ça, je ne dis pas que j’aime ça ou que je pourrais vivre uniquement avec cette émotion là, mais c’est une émotion.

Mais l’émotion Top 1 la plus négative que j’ai vécue dans un stade de foot et qui n’est pas près d’être rejointe, est sans conteste le 5 novembre 2017. La défaite 5/0 dans le derby Saint-Etienne /Lyon, avec Fekir qui montre son maillot. C’était un match pourri avant qu’il n’ait commencé. Dans les rues, je sentais une catastrophe arriver et je ne sais pas tellement l’expliquer. On s’était donné rendez-vous comme d’habitude avec mon gang des binouzes avant le match. Il y avait de l’électricité dans l’air. On entendait des mecs qui couraient, des sirènes de flics, des pétards. Une heure et demie avant le match, j’étais avec mes potes et je disais « je ne sais pas, il y a un truc qui ne va pas ». Et j’en garde un souvenir froid, sombre. Après le match, certains mecs du gang des binouzes n’étaient pas loin de pleurer. Je me souviens d’un mec qui est devenu hystérique. Je parlais des mecs câblés tout à l’heure qui deviennent débiles à cause du foot. Lui c’était son cas, il voulait tuer tout le monde, il voulait tuer Fekir. Je suis rentré chez moi et je me suis dit « il ne faut pas que ça se reproduise en fait ».

Ce match aurait pu être de nature à me faire dire « Ok je rends tout, J’arrête, parce que je ne veux pas de ça dans ma vie, je ne veux pas de ce genre d’émotions ». Ce n’est même pas une émotion, c’était au-delà d’un match de foot. C’était la guerre. Pour moi, ça restera marqué et Top 1 pendant longtemps. Ce 5 novembre 2017 est bien aussi marquant que le 12 juillet 1998, pour des raisons très opposées. Je pense que je n’oublierai jamais, ni l’un ni l’’autre. Cela fait partie de mon patrimoine émotionnel maintenant.

Le 29 mai 2022 et cette descente arrive sur le podium quand même. J’ai pris un coup sur la tête parce que j’étais persuadé que ça allait passer, et je me suis rendu compte dans le match que ça ne passerait pas, parce que les mecs ne mettaient pas ce qu’il fallait mettre. Cette espèce de sentiment insidieux qui se construit petit à petit où tu te dis « Bon ça va aller, ça va aller », et puis plus le match avance et tu te dis « Non en fait, il va se passer quelque chose de pas drôle ».

L’émotion la plus négative que j’ai vécue dans un stade de foot est sans conteste la défaite 5/0 dans le derby Saint-Etienne Lyon. Ce n’est même pas une émotion, c’était au-delà d’un match de foot. C’était la guerre. Ce 5 novembre 2017 est bien aussi marquant que le 12 juillet 1998.

Saint-Etienne a déjà connu la relégation à plusieurs reprises (1984, 1996, 2001 et 2022). En quoi, cette descente vous semble plus marquante ?

La dernière descente en 2001 était particulière avec un contexte différent, l’affaire des faux passeports. Celle en 1984 j’étais au début de ma connexion avec le foot, avec des histoires de caisse noire. J’étais plus jeune et n’avait pas trop creusé ce sujet.

Celle-ci me marque plus puisque depuis 2010, je suis davantage connecté au foot et impliqué dans l’ASSE à travers plein d’activités. Et aussi parce que j’ai ce sentiment d’être sûr qu’on allait se sauver, je ne me souviens pas l’avoir eu dans les précédentes relégations. J’étais investi et convaincu de cela. J’ai découvert que non. On parlait tout à l’heure de l’émotion négative. Dans la série des souvenirs qui me feront garder en mémoire cette soirée, il y a l’envahissement de terrain, les tirs de fumigènes dans la foule. Tu connais mon opinion là-dessus, on en a déjà parlé plein de fois, mais la fin est triste. C’est moins fort que ce derby de 2017, mais quand même. Je me suis dit « Pourquoi on est là ? ».

Venons-en à ce personnage de Joss Randall que vous incarnez sur internet et le site Peuple Vert depuis 2015. Comment est née l’idée ?

La première chronique est publiée le 29 août 2015. Mais le personnage Joss Randall est né il y a bien longtemps, sauf qu’il a dormi pendant pas mal d’années. En fait, quand j’ai commencé à bosser en 1996, je sortais d’une école de commerce et j’avais pas mal de potes très branchés foot. On venait tous d’un peu partout en France, on avait tous nos clubs de cœur. Et j’ai un copain qui s’appelle Nicolas, qui est breton, fan du Stade Rennais. Et on se charriait beaucoup à l’école sur les performances de nos clubs. Quand on a commencé à bosser chacun de notre côté, on avait commencé un petit jeu tous les deux. Pour rappel, on est en 1997, c’est le tout début des emails. Le lundi matin, on avait pris l’habitude de s’envoyer un mail un peu imagé, où chacun donnait sa vision des résultats de la journée de foot orientés sur la performance de son équipe et de l’équipe soutenue par le mec d’en face. Il y avait une espèce de ping-pong qui durait comme ça dans la journée, avec des jeux de mots, des trucs fleuris. On avait mis dans la liste de distribution tous nos potes de l’école qui aimaient le foot et ils adoraient ça. Ça les faisait triper, parce qu’on était évidemment dans le chambrage, mais du chambrage littéraire. Ça a duré un an, un an et demi, car Sainté est tombé en L2. Après qu’on a arrêté, des potes nous disaient que c’était con parce qu’ils se marraient bien et que c’était un vrai bon moment le lundi.

Le personnage Joss Randall est né il y a bien longtemps, sauf qu’il a dormi pendant pas mal d’années.

Comment vous décidez vous à relancer ce personnage ?

Du temps a passé. Entre temps, il y a eu l’explosion des réseaux sociaux et puis en suiveur de l’ASSE, je lisais beaucoup ce qu’il se faisait sur tous les sites autour des Verts : Evect, Peuple Vert et d’autres. Et j’ai fait un constat. Je trouvais que ça manquait d’un regard un peu différent, un peu plus écrit, plus romancé. Tous les articles étaient très orientés Match, notes des joueurs ou alors Mercato. Mais je trouvais le même contenu partout, très informatif, peu travaillé en termes d’écriture. J’ai toujours aimé lire et du coup aimé écrire. Depuis tout petit, j’écrivais des poèmes à ma mère qu’elle a d’ailleurs conservés. Voyant tout cela, je me suis dit « Merde, il y a de la place pour écrire autrement sur le foot ».

Comment rejoignez-vous au final Peuple Vert ?

Un jour de printemps 2015, un site qui s’appelait Diable Vert (qui n’existe plus aujourd’hui je crois) lance un appel à candidature afin de trouver des chroniqueurs pour amener un peu de contenu. L’histoire est amusante : Je lui envoie un mail en lui disant que ça m’intéresse. Il me propose d’écrire un bout de truc pour voir mon style. Je chiade une chronique un peu travaillée sur le match d’avant. Le mec ne me répondait pas trop, puis un jour me répond et me dit « Putain c’est vachement bien ce que tu fais, mais je suis désolé, j’ai pris quelqu’un entre temps ». J’avais un peu les boules. Peu de temps après, Alex de Peuple Vert, publie le même appel à candidature. Je me dis « merde j’ai déjà écrit un truc, je vais en profiter et proposer le papier ». J’écris à Alex qui me répond de suite qu’il trouve ça génial, qu’il adore et qu’on commence quand je veux. On a commencé le début de la saison prochaine et la première chronique était sur un match de barrage d’Europa League.

La chronique de Joss Randall – Source Peuple Vert

Avez-vous des consignes du site ou êtes-vous libre d’écrire sur le fond et la forme ?

Justement, il y a une anecdote savoureuse à ce sujet-là, que j’aime bien ressortir de temps en temps à Alex pour le faire chier. Dans le deal de départ, j’avais dit à Alex « Moi ce qui m’intéresse, c’est d’écrire mais je veux être absolument libre. Je ne veux pas que tu commences à me dire que ça, ce n’est pas bien, ou ça c’est à corriger. Moi ça ne m’intéresse pas. Si j’écris, j’écris. Tu prends et tu publies ». Il m’avait dit « Ok pas de problème ». La première chronique que j’envoie, j’avais choisi un titre que j’ai oublié d’ailleurs, et Alex a décidé de le changer pour un titre que j’ai trouvé nul (rires) : « Picoti-picota, les poules d’Europa sont là » car après ce match-là, on avait franchi le barrage et accédé aux poules d’Europa League. J’avais trouvé ça à chier (rires). Je l’ai contacté immédiatement et lui ai dit « ça c’est la dernière fois. Que tu me changes le titre, non. Dans l’absolu, si tu as des remarques, tu m’en parles. Mais tu ne changes pas un titre sans me prévenir ». Il ne l’a plus jamais refait et ça a touché une seule chronique sur 228 à ce jour.

Vos papiers sont des billets d’humeur avec de l’humour, des références culturelles. Comment qualifieriez-vous vos chroniques ?

C’est le regard d’un supporter qui n’a pas plus d’expertise qu’un autre supporter en manière tactique et footballistique. Je donne un avis qu’on est des dizaines de milliers à pouvoir donner. C’est mon ressenti, qui la plupart du temps rejoint le ressenti de plein de gens, car je vois les mêmes matchs que les autres. Après j’ai mon ressenti, des joueurs que j’apprécie moins. Il m’est arrivé qu’on m’ait dit que j’ai été dur sur tel ou tel joueur. Très bien. Mais c’est mon ressenti et je ne revendique rien, et je ne revendique surtout pas d’expertise, et encore moins l’expertise que plein de gens me donnent.

C’est-à-dire ?

L’effet secondaire de mes chroniques, c’est qu’énormément de gens s’adressent à moi comme si je vivais dans le club, comme si j’avais une espèce de science infuse, comme si j’étais un spécialiste de la tactique. Ça, c’est un effet secondaire assez curieux mais bon. Mais je qualifierais mes chroniques comme un regard, qui a la particularité d’être rédigé avec les codes d’un univers assez particulier, qui est issu de Frédéric Dard, de Michel Audiard, de ma culture cinématographique, de ma culture littéraire, de plein de choses qui m’inspirent. Mais il s’agit d’un regard rédigé. Je prends du temps pour la rédaction.

Mes chroniques sont issues de mon ressenti. Je ne revendique rien, et je ne revendique surtout pas d’expertise, et encore moins l’expertise que plein de gens me donnent.

Vous évoquiez les critiques. Vous en récoltez souvent ?

Oui et je revendique aux gens le droit de ne pas être d’accord avec moi. Ce que je n’accepte pas, ce sont les insultes. Globalement, mes chroniques font plutôt rire les gens, mais plein n’aiment pas du tout ce que je fais, trouvent ça nul et me l’ont dit. Que je puisse déformer le nom des joueurs, ça leur hérisse le poil. Récemment, il y a un gars qui m’a dit « Ça ne me fait pas rire ton truc, ce n’est pas drôle, c’est complètement débile de déformer les noms des mecs ». Il m’a dit ça très calmement sans être insultant. Je lui ai répondu « c’est ton avis, je le respecte ». Après, évidemment que tu ne peux pas plaire à tout le monde.

Sur certaines prises de positions que j’ai pu avoir et qui ne vont pas trop dans le sens des Ultras, j’ai eu deux ou trois « Sainté c’est nous » qui m’ont dit que j’étais un « suceur de Romeyer ». Ça je bloque assez vite. Sur la forme, certaines personnes me disent aussi que c’est trop long, les gens ont perdu l’habitude de lire.

Et sur le fond ?

Oui, je reçois des critiques. Mais chose curieuse, énormément de gens et je le sais car ils me l’ont avoué après, critiquent le titre mais sans avoir lu le papier. Ils s’arrêtent à la publication d’Alex, qui reprend souvent un extrait de la chronique, et font une vingtaine de messages pour t’expliquer que tu n’as rien compris. C’est étonnant. Je finis toujours en disant « Ouvre la chronique, lis et on en reparle ».

On m’a reproché de faire quelques fixettes (Nordin en, particulier) à une époque et de ne plus voir quand les joueurs faisaient un bon match. Et j’admets que c’est peut-être le cas. Ce joueur m’insupportait tellement que tout était prétexte à le charrier. On m’a également reproché d’avoir taillé Saidou Sow après ses deux premiers matchs en pro J’avais dit « Ce mec-là a des boites à chaussures, ce ne sera jamais un joueur de foot ». Sylvain du compte Green Prospect, avec qui je m’entends très bien, le suit depuis les U12 ou U14 et m’avait dit que j’avais été super dur et qu’il valait mieux que ça. Effectivement, j’avais peut-être été un peu dur. Ça reste un avis et mon avis, je ne suis pas un expert, je n’ai pas de formation et je n’ai jamais travaillé dans le foot.

Autant je revendique un regard très tranché et personnel, mais je réfute l’idée d’être un expert. J’ai conscience que c’est mon regard, tu as le droit d’avoir un regard différent, et tu as le droit de prendre ta plume et d’écrire aussi. Le site Horsjeu.net était un portail qui reprenait les sites décalés autour de tous les clubs et mettait en avant le travail de Forez Académie, réalisé par Roland Gromerdier. J’aimais beaucoup mais il a malheureusement arrêté son activité. Aujourd’hui, je suis le seul à faire ça. Je pensais que l’exercice de style allait donner des idées et susciter des vocations. Et en fait, pas du tout. Pourtant je suis persuadé que les gens ont des idées mais ils sont un peu fainéants.

En assumant votre côté tranché, vous prenez le parti inverse de l’analyse froide, du recul, de la mesure…

Oui, j’enrobe ce parti pris dans un verbe amusant avec beaucoup d’anecdotes, de métaphores et de jeux de mots. Ça passe mieux… et d’un autre côté, je pense que les amateurs de foot peuvent parfois en avoir un peu marre des robinets d’eau tiède qu’on entend y compris dans les communications institutionnalisées des clubs « On avait à cœur de bien faire, on a pris une branlée mais on va travailler cette semaine et on va se dire les choses ». Je pense que les gens en ont assez et veulent entendre ce que les gens ont à dire. C’est aussi pour cela que la communication de Batllès passe très bien. Tu le sens que le gars est sincère quand il dit « bah ouai, les mecs ne courent pas, donc on ne gagne pas ». Moi je me rapproche plutôt de cela.

Est-ce que vous savez si le club lit vos chroniques ?

C’est une question qu’on me pose souvent. J’ai eu l’info que Frédéric Emile, l’intendant de l’ASSE, lisait quasiment toutes les chroniques, les imprimait et les mettait dans un classeur. Ça m’a fait plaisir. J’ai également su que Romain Hamouma lisait les chroniques et a dit à une connaissance commune « Ah c’est lui, Joss Randall, qui m’appelle Mollet de Poule ». Apparemment ça le faisait beaucoup rire, et j’ai appris que ça circulait un peu dans le vestiaire.

Vous n’avez jamais eu un appel du club suite à une chronique un peu acerbe ?

Une seule fois. On est dans la période Gasset-Printant, saison 2018/2019. Alex de Peuple Vert m’appelle en me disant « Putain, Ghislain Printant veut absolument avoir ton numéro de portable, il veut te parler, ça le chagrine un peu la dernière chronique ». Il m’a appelé, ça a été assez particulier. On a échangé une trentaine de minutes. Il était tombé sur la chronique et ne se remettait pas que j’appelle Hamouma, Mollets de Poule. « Oui, vous comprenez, c’est quand même un être humain, il a des gamins, les autres à l’école se foutent de la gueule de leurs fils »

Alex de Peuple Vert m’appelle en me disant « Putain, Ghislain Printant veut absolument avoir ton numéro de portable, il veut te parler, ça le chagrine un peu la dernière chronique »

Vous avez répondu quoi ?

« Ouai Ghislain, OK, mais c’est du second degré. On aime ou on n’aime pas. ». J’ai revendiqué ma liberté d’expression. On n’a pas trouvé d’accord là-dessus. Après on a discuté sur plein de sujets, c’était super intéressant. C’est quelqu’un d’intelligent Ghislain, loin de l’image bas de plafond que beaucoup veulent lui coller. Au passage, la seule fois où on m’a fait des reproches sur un pseudo que j’avais donné et où j’en ai tenu compte, c’était à l’époque où j’appelais Ruffier, l’Autiste Basque. Plein de gens m’ont dit que ce n’était pas bien car c’est une maladie et que des personnes en souffraient. J’estime que quand tu es un personnage public, tu dois pouvoir entendre ce genre de propos. Mais effectivement, ce n’était pas que le joueur que j’atteignais, mais des familles aussi qui pouvaient se sentir blessées. J’ai donc arrêté.

Abordons maintenant votre chronique et la construction du papier. Est-ce que vous reregardez les matchs ?

Non, jamais sauf le match contre Nîmes pour des raisons particulières que tu connais. J’ai eu des interruptions d’antenne. Mais non, je ne revisionne pas les matchs. Peut-être que j’y gagnerais en analyse, mais ça ne m’intéresse pas. Des gens qui font des analyses, il y en a beaucoup et qui sont bien meilleurs que moi sur le sujet. Moi, je veux que le papier reste de l’ordre du ressenti, presque du « j’aime, je n’aime pas ». C’est la raison pour laquelle je ne revisionne pas les matchs.

Globalement, comment se construit une chronique ?

Concernant la construction, c’est difficile de répondre simplement à cette question. J’ai connu différentes situations. La construction de la structure de la chronique peut parfois venir très vite. Certaines fois, même pendant le match, il y a des choses que je vois et je sais que je vais en parler. D’autres fois, je sors du match et j’ai déjà mon plan dans la tête, et je sais comment je vais structurer mon papier. Mais de temps en temps, c’est plus compliqué et je dois chercher plus longtemps, soit parce que j’ai des idées contradictoires, soit parce que l’inspiration est moins directe ou le match moins inspirant. Si tu as un match où un joueur ressort, qui est au-dessus ou au-dessous du lot, si tu as des faits de matchs, un manque flagrant d’implication de l’équipe…c’est relativement facile parce que tout ce que tu vois structure ta pensée. Il y a des matchs un peu middle où tu ne trouves rien à dire. Et là c’est un peu plus compliqué, il faut travailler un peu plus. En général, je travaille encore plus la forme. Et puis, il y a des chroniques où il y a tellement d’idées qui viennent sur le fond, que je n’ai pas tant besoin que cela de travailler la forme

Est-ce que vous avez vu une différence dans l’exercice selon si vous regardez le match au stade ou à la télé ? Une manière différente d’appréhender la rencontre ?

Le stade est une expérience de vie. Je suis au stade avec mes potes, on parle en même temps. Ça va plus vite, tu n’as pas les ralentis. On est beaucoup plus dans la consommation immédiate et le ressenti. Quand tu regardes le match sur Amazon ou BeIn, tu as un recul qui est différent, des images qui repassent plusieurs fois. Tu vois beaucoup plus précisément les choses. Un match vu à la télé est plus analytique, moins dans l’émotion. Lors d’un match au stade, tu as l’émotion du stade, qui qu’on le veuille ou non, influe sur ta lecture du match.

Un match vu à la télé est plus analytique, moins dans l’émotion. Lors d’un match au stade, tu as l’émotion du stade, qui qu’on le veuille ou non, influe sur ta lecture du match.

Les chroniques ont été un succès immédiat dès le début ?

Oui, cela a pris assez rapidement. Mais il y a eu un effet accélérateur que je reconnais bien volontiers, c’est mon arrivée sur les réseaux sociaux en 2016. Mon meilleur pote Olivier, un de mes premiers lecteurs de la bande de potes de l’école de commerce qui suivait nos échanges de mails football vingt années auparavant, m’a tanné pendant un an pour que je rejoigne Twitter. Ce n’était vraiment pas mon truc à l’époque, je n’avais pas envie de me faire chier avec cela. Mais effectivement, à partir du moment où j’ai rejoint Twitter en 2016 et où j’ai eu accès à plein d’autres personnes, l’audience a grimpé en flèche. Twitter a eu un effet boost important. La première année, les chroniques faisaient entre 2 000 et 3 000 lecteurs. Après 2016 et mon arrivée sur Twitter, on est passé sur une moyenne de 7 000, et on est monté jusqu’à 41 000 après la Coupe de France contre le PSG.

J’imagine que vos interventions à la radio dans l’After Foot a aussi développé les chroniques. Comment êtes-vous passé de l’écrit chez Peuple Vert à la Radio chez RMC ?

Oui, RMC a été un deuxième accélérateur très fort de notoriété et c’est ça qui a fait exploser mes followers sur Twitter. Mes passages sur RMC ont commencé grâce à Edward Jay. C’est rigolo parce que j’avais tenté en vain de contacter RMC car la radio venait de lancer des podcast After Sainté (After Lyon, After Marseille, etc.). Sur les trois premiers After Sainté, ils avaient travaillé uniquement avec Poteaux Carrés. C’est un très bon site, mais je trouvais cela dommage parce qu’il y a d’autres sites qui travaillent bien autour de l’actualité verte. Je n’avais jamais eu de réponse de RMC. En 2017, je suis contacté par Edward Jay un vendredi après-midi. Il m’envoie un message privé sur Twitter : « J’adore ce que tu écris ». On échange un peu et au bout de trois minutes, il me dit « Tiens mon numéro de portable, il faut qu’on parle ». J’étais sur un nuage. Je l’appelle, on discute une heure et demie : de tout, de foot, de Lyon de Sainté, de sa philosophie du journalisme etc…La connexion s’est faite tout de suite. Et à la toute fin de la conversation, je lui dis « Tiens maintenant qu’on se connait un peu, cela fait plusieurs fois que j’essaie de suggérer à Gilbert Brisbois de faire tourner la parole dans les podcasts After Sainté mais je n’arrive pas à le joindre ». Il me dit « T’inquiète pas, je vais m’en occuper ». Il a appelé directement Jérôme Thomas, le producteur de l’émission, qui m’a contacté dix minutes après et qui me dit « Ecoute, tu fais l’After Sainté, lundi. On va enregistrer à 18h. Tiens-toi prêt à 17h45. On évoquera trois thèmes, ça, ça et ça. 15 minutes, 5 minutes par thème ». C’est comme ça que j’ai fait mon premier After Sainté.

After Saint-Etienne – Source RMC

C’est une activité qui vous plait ?

J’ai adoré cet exercice. J’en ai fait 15 ou 16, on alternait avec Timothée Maymon, une fois lui, une fois moi. Et j’ai acquis cette espèce de notoriété, même si je n’aime pas ce terme car cela veut tout dire et rien dire. Mais j’ai commencé à être connu. J’étais identifié et l’After m’appelait très souvent pour des sujets et dossiers autour de l’ASSE. J’ai fait des quizz avec Tim. Ça a donné un sacré coup d’accélérateurs à mes abonnés Twitter. Je réfléchis à l’idée de reproduire ce type de podcast Sainté par moi-même. Je muris l’idée pour le moment.

En un rien de temps, vous passez de supporter lambda à quelqu’un d’influent, lu et reconnu. Cela vous est tombé un peu dessus par hasard ?

Ah oui, c’est complètement par hasard. D’abord, ce n’est pas un truc que j’ai cherché particulièrement. Alex m’a demandé combien de temps je voulais écrire. Je ferai ça tant que ça m’amusera en fait. Maintenant, je sais que c’est un rendez-vous qui est attendu par pas mal de gens mais je le fais très égoïstement d’abord pour moi, parce que ça m’éclate. L’objectif de départ c’était ça. Proposer autre chose, pour que ça plaise à un maximum de gens bien sûr, mais parce que ça me plaisait qu’il y ait quelque chose de différent écrit sur l’ASSE.

Mais je n’étais programmé pour être un succès comme cela. Ça m’est tombé un peu dessus par hasard. En revanche, je me suis pris au jeu parce que j’aime ça. L’espèce d’accélération de notoriété qui a eu derrière a juste servi à ce que la chronique soit plus lue, plus connue, plus diffusée, c’est tout.

Comment gérer cette situation sans péter les plombs, prendre la grosse tête ou vriller ?

Personne n’est à l’abris d’un excès d’ego. Ça c’est clair. Maintenant, j’ai 52 balais, j’ai un peu d’expérience derrière moi et je sais avoir le recul qu’il faut sur les choses. On parle souvent tous les deux de ce qui s’est passé pour certains comptes sur les réseaux sociaux, à qui une notoriété fulgurante (en termes Twitter) a fait qu’ils ont un peu perdus les pédales à un certain moment. Je crois que je n’ai jamais été touché par cela, parce que j’ai suffisamment de bouteille pour me protéger contre ce travers.

Au début, j’ai eu du mal à gérer Twitter également car quand tu commences à mettre le bras dedans, si tu veux jouer au jeu malsain auquel jouent beaucoup de gens, tu peux y passer tes nuits et tes jours.

Quels impacts les réseaux sociaux ont-ils sur votre vie ?

La seule vraie problématique que m’a posée cette montée de « notoriété », c’est la gestion du temps. Entre la chronique, RMC, maintenant il y a Sainté Night-club, qui est un bon projet auquel je participe, toutes ces activités sont chronophages. J’ai aussi une vie, un métier qui est assez prenant. Au début, j’ai eu du mal à gérer Twitter également car quand tu commences à mettre le bras dedans, si tu veux jouer au jeu malsain auquel jouent beaucoup de gens, tu peux y passer tes nuits et tes jours. Ça j’ai complètement arrêté. J’ai une consommation de Twitter beaucoup plus raisonnée et plus intelligente aujourd’hui.

Mais la gestion du temps est importante : Répondre à tout le monde, participer à des groupes de discussion, si tu ne fais pas gaffe, ça peut te prendre énormément de temps. Cela s’est stabilisé. J’ai fait du tri aussi et je suis arrivé à un point d’équilibre qui me convient.

Est-ce que les réseaux exercent une influence sur ton analyse ? et votre propre supporterisme ?

Je ne crois pas que cela ait modifié ma façon de voir le foot mais plutôt renforcé dans mes idées. Ça me fait un peu peur la façon dont les réseaux sociaux traitent le foot. En même temps, c’est une évolution sociétale qu’il faut accepter, ça fait partie de la vie.

Qu’est-ce que les réseaux sociaux ont modifié dans votre façon de voir le foot ?

Les réseaux sociaux ont mis en avant la culture de l’instant. Les mecs disent un truc un jour, puis le contraire le lendemain, et le surlendemain, ils sont passés à autre chose. Il faut être fort pour lutter contre cela, sinon on se laisse attirer vers cela et on devient soi-même extrêmement impatient. On le voit à l’heure actuelle sur le fait qu’on attend des recrues à l’ASSE en attaque. Tu as des milliers de gens qui vont poster un tweet « et alors il est où l’attaquant ? ». Ça devient une entropie croissante et si tu ne te blindes pas un peu, Twitter te déprime en fait. Les réseaux sociaux et Twitter en particulier sont une chambre d’écho de dingue pour la culture de l’instant. Et on doit tous lutter contre cela, parce que c’est aussi ce qui tue le foot en fait. En revanche, je ne crois pas qu’cela ait modifié quoi que ce soit dans ma vision du foot. C’est plutôt une réflexion par défaut : Cela me montre surtout vers quoi je n’ai pas envie d’aller.

J’imagine qu’il y a aussi des aspects moins sombres, avec la création de lien social, qui peut être complémentaire du lien social créé au stade ?

Absolument, et c’est pour ça que je ne veux pas être trop critique avec les réseaux sociaux. Il y a beaucoup de faces sombres sur Twitter, mais il y a aussi plein de gens bien sur ce réseau. Il y a eu un évènement particulier, avec la période Covid, où on ne pouvait plus aller voir les matchs au stade et les réseaux ont joué un rôle particulier. Avant le Covid, le foot a créé une communauté, le Gang des Binouzes dont je parle souvent, qui pour moi est une expérience de vie. C’est un groupe créé en 2014, que j’ai rejoint, mais qui a beaucoup évolué. Cette petite communauté fait qu’un match à Geoffroy Guichard, ce n’est pas que 90 minutes de foot. C’est un voyage. Avant, on boit des bières ensemble, on discute, on déconne, on tire des plans sur la comète. Ensuite on voit le match. Et après on partage nos ressentis. Et un match à Geoffroy Guichard, c’est tout ça. Il nous arrive maintenant sur un match à l’extérieur de se retrouver et de le regarder ensemble.

La période Covid a beaucoup accélérée la création de liens et de communautés. Je me suis fait plein de liens, plein de potes parce qu’on vivait tous cette expérience à distance et on avait besoin de retrouver cette communion qu’on n’avait plus au stade. Et pour moi, 2020/2021 a été une période très forte de renforcement de ces communautés et de ces liens. J’ai adoré, j’ai fait de très belles rencontres. Le groupe dans lequel on est tous les deux en est une. J’en ai quelques autres, et je trouve cela chouette. Et là, on ne parle pas juste de football mais juste de relations interpersonnelles. Evidemment que le terreau de base et le fil conducteur est le foot, mais cela a dépassé ce simple aspect. C’est une histoire d’amitié maintenant. Sans les réseaux sociaux, le groupe dans lequel on est tous les deux n’aurait pas vu le jour. Pourtant, on est dans le même stade à tous les matchs mais on n’aurait pas eu cette facilitation du contact et du lien. Il y a des côtés positifs aux réseaux sociaux, il ne faut pas toujours cracher dessus.

La création de « moments sociaux » autour du foot fait aussi mieux vivre les périodes sportives compliquées ?

Evidemment et c’est la première chose qu’on s’est dite quand on s’est retrouvé ensemble avec le Gang des Binouzes le soir de la descente. L’ambiance était certes un peu tristoune, on était loin des cotillons et langues de belle-mère. Mais on s’est tous dit finalement, heureusement qu’on vit ce moment ensemble. Sinon, on serait rentré chacun chez soi comme des pégreleux à ruminer le truc, à se dire « putain, fait chier cette équipe de merde ». Ça nous a permis d’expulser notre tristesse.

Les réseaux sociaux sont aussi malheureusement le théâtre de jugement hâtifs, de multiplication d’experts en tout genre. Comment réagissez-vous à cette tendance ?

Je suis effaré par l’aspect tribunal populaire des réseaux qui est dingue. Des jugements absolument brutaux pleuvent y compris sur des choses où il n’y a pas d’information. C’est devenu indécemment libre et les gens n’ont même pas ce recul sur leurs propres jugements. C’est tellement facile. Ça m’affole, car ça traduit forcément quelque chose d’un peu plus profond dans la société. Cela ne peut pas être uniquement lié à l’outil. L’outil est un peu la boite de pandore qui a libéré la pratique. Mais cette pratique traduit d’un point de vue sociétal, une mentalité collective qui est quand même effrayante. Cette capacité à juger à l’emporte-pièce sur tout, sur tous les sujets, d’avoir des jugements absolument tranchés et définitifs. Moi ça m’effraie.

Sur le deuxième aspect de la multiplication des experts, c’est également terrifiant. Cela m’a surtout marqué pendant la pandémie de COVID où on a vu beaucoup d’experts épidémiologistes qui savaient qu’on nous racontait n’importe quoi, ou qui était absolument certains que le gouvernement disait la vérité.

Je suis effaré par l’aspect tribunal populaire des réseaux qui est dingue. Des jugements absolument brutaux pleuvent y compris sur des choses où il n’y a pas d’information.

Que faire pour limiter cela ?

C’est évidemment merveilleux que tout le monde puisse s’exprimer, même si c’est en 280 caractères. C’est une richesse incroyable. Le travers c’est qu’il n’y a aucun contrôle, et cela renvoie à un constat : les gens n’exercent même pas eux même le contrôle sur eux même. C’est ça qui est plus intéressant sociologiquement. Rien n’empêcherait les gens de ne pas le faire. Ce n’est pas parce que tu as un outil que tu es obligé de l’utiliser n’importe comment. L’outil ne crée pas la réflexion. Et effectivement, parfois je coupe Twitter parce que cela me fait peur de voir certaines choses. Il y a un vrai danger un peu morbide. Je te parlais auparavant de mes premières expériences Twitter où je m’étais pris moi-même dans ce jeu malsain de vouloir évangéliser les gens, à entrer dans des discussions qui n’en finissent jamais. Ces mecs-là, j’ai l’impression qu’ils ne font que ça de leur vie. Je me rappelle un Week end où j’avais commencé à réagir à des trucs écrits que je trouvais dingues. Tu essaies de leur répondre sous un tweet, mais les mecs ne s’arrêtent jamais et ils sont très nombreux comme cela. Je me rappelle l’expérience, j’avais commencé à 10 heures du soir, à 2h du matin, j’y étais encore. Ce jour-là, je me suis dit qu’il fallait fuir ça.

Oui, reconnaitre son erreur est une faiblesse dans cette société. Les gens préfèrent persister dans un discours débile et faux ou alors s’amusent à ressortir des tweets de six ans décorrélées de la situation et le contexte aujourd’hui. Si tu as fait un tweet en 2018 sur Icardi en disant que c’était un super joueur, certains vont te le ressortir sous prétexte qu’aujourd’hui Icardi est l’ombre de lui-même…

Bien sûr. Mais on en revient sur la culture de l’instant. Sur Twitter, ce qui est écrit est vrai dix minutes. Ça ne gêne pas les gens et c’est ça qui me fait réfléchir. Les mecs disent un truc un jour, puis le contraire le lendemain, et le surlendemain, ils sont passés à autre chose. Ce n’est pas ma construction intellectuelle. Et puis derrière Twitter ou les réseaux sociaux, il y a un paramètre qui est fondamental et qu’il ne faut jamais oublier, c’est l’anonymat. C’est tellement simple et facile de balancer des agressions verbales quand tu t’appelles ASSE Turlututu et que tu es anonyme. Je connais un mec, il m’arrive très souvent sur Twitter de le trouver absolument insupportable, dans son côté je sais tout. Lui, c’est le très bon exemple : si tu t’amuses à entrer en discussion sur Twitter, tu as intérêt à avoir du temps devant toi. C’est la culture de celui qui aura le dernier tweet. Ce mec-là, si je le connaissais « que » de Twitter, je dirais que c’est un gros con. Sauf que le mec, je le connais dans la vraie vie et il est radicalement différent, super gentil, beaucoup plus posé dans ses réflexions. Je me suis aperçu que Twitter permet aux gens de s’inventer une deuxième personnalité en fait. Après, il faut creuser pour savoir pourquoi ils le font, et ce qu’ils vont chercher là-dedans. Mais je trouve cela très surprenant.

Ce mec-là, si je le connaissais « que » de Twitter, je dirais que c’est un gros con. Sauf que le mec, je le connais dans la vraie vie et il est radicalement différent. Je me suis aperçu que Twitter permet aux gens de s’inventer une deuxième personnalité en fait.

Êtes-vous favorable à la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux ? Et pourquoi n’avez-vous pas pris votre propre nom pour faire tes chroniques ?

Je ne suis pas à l’aise avec cette question sur l’anonymat. Je suis assez partagé. Je trouve que l’anonymat a ceci de bien, c’est qu’il libère la parole des plus timides. Le problème que j’y vois, c’est l’excès. Quand l’anonymat devient le prétexte à devenir violent gratuitement, je serais pour l’abandon de l’anonymat. Mais c’est comme avec les problèmes de violence dans les stades, je suis pour une action sévère et ciblée sur les fouteurs de merde, avec des IDS. C’est un peu pareil pour Twitter, il faut laisser le droit à l’anonymat à ceux qui savent s’en servir. Tous ceux qui sont violents, extrémistes, il faudrait les choper et les punir sévèrement. D’ailleurs, dans l’arsenal juridique, les services de police ont le droit de faire du Tracking avec adresse IP pour retrouver les mecs et leur faire sauter l’anonymat. Si tu déposes une plainte devant un tribunal contre un compte Twitter, la police a le droit de remonter jusqu’à l’identité du mec et de demander à l’exploitant du réseau social de donner les données personnelles.

Concernant mon compte, je fais vivre un personnage, le cowboy Joss Randall, qui fait partie d’un décor et d’un univers. C’est comme ça qu’il est identifié et c’est lui qui est derrière les chroniques et il représente quelques choses pour quelques lecteurs aujourd’hui. Le fait de savoir qu’il s’appelle Pierre Tartampion et qu’il dirige une boite d’éclairage, ça n’a pas d’intérêt pour moi.

Veretout, nouveau joueur de l’OM – Source footballclubdemarseille

L’affaire Veretout, récemment transféré à l’OM, montre que les clubs sont aussi impactés par les réseaux sociaux, les rumeurs ou mauvaises informations. Comment tu réagis à ça ? Les clubs ne semblent pas préparés aux réseaux sociaux ?

Les clubs progressent mais ne sont pas encore prêts à gérer les réseaux sociaux. Sur l’affaire Veretout que tu évoques, j’ai trouvé la réaction de Longoria très juste. Il a réagi comme il fallait. En gros, les propos de Langoria sont clairs : « Le mec est jugé par le tribunal populaire de Twitter alors qu’aujourd’hui il n’est accusé de rien. Nous on a décidé de l’embaucher parce que sportivement on considère que c’est une plus-value, et ce sera comme ça. Point. Que ça vous plaise ou non ».

Pour moi, l’affaire Mounier qui a touché Saint-Etienne, qui a joué à Lyon, qui n’est pas venu à Sainté pour ses paroles quatre ans plus tôt lorsqu’il jouait avec Nice, j’ai trouvé ça dingue. Je ne sais pas si c’était une bonne idée ou pas sportivement, peut-être pas d’ailleurs. Mais que le club recule et que le joueur recule à cause de la mobilisation sur les réseaux sociaux, je trouve ça dingue. Il y a une distorsion de la vie avec Twitter. Il suffit que quelques mecs relaient une info avec un hashtag, on a toute suite l’impression, par exemple dans le cas de l’affaire Veretout que c’est représentatif du Stade Vélodrome et des 60 000 supporters. Or ce n’est pas vrai. Sur Twitter, il y a une petite partie de la population et il faut avoir du recul pour se dire que ce n’est pas parce que trois mecs excités ont retweeté ou posté le même tweet que c’est une vérité. Ça, ça demande du recul. 

Et pour les clubs, c’est compliqué parce que, même si les joueurs ont beaucoup de formations et d’accompagnements, ils n’arrivent pas à gérer cet outil et ne comprennent toujours pas comment ça marche. Certains n’en ont même rien à carrer, clairement. Mais ça, c’est un vrai enjeu pour les clubs aujourd’hui sur lesquels ils devraient travailler plus, se structurer avec de vrais spécialistes pour arriver à maitriser cela, pour autant que ce soit maitrisable. Mais ça peut vite mettre le feu aux poudres. On l’a vu avec Mounier à Sainté, Veretout récemment à l’OM. C’est pour ça, que quel que soit ce qui se passe avec l’affaire Veretout, parce que moi je ne suis pas au cœur du dossier, je trouve cela bien que Longoria ait recruté le joueur. C’est un moyen de montrer un à tout le monde que le club ne change pas d’avis sur une décision parce qu’il y a quatre mecs qui aboient sur Twitter. D’autant plus qu’avec la culture de l’instant, le supporter de foot est versatile et tout le monde sait que Veretout va faire trois bons matchs et plus un mec dira « ouai mais attends, il aurait payé l’avocat de son beau-père ». Plus personne ne va en parler. Les mecs qui viennent jouer les vierges effarouchées en s’érigeant en modèle de vertu ou Veretout… je les attends quand Veretout aura fait trois bons matchs. A quoi cela sert de gueuler comme des putois, si tu n’as pas cette continuité et cohérence intellectuelle ?

Les mecs qui viennent jouer les vierges effarouchées en s’érigeant en modèle de vertu… je les attends quand Veretout aura fait trois bons matchs. A quoi cela sert de gueuler comme des putois, si tu n’as pas cette continuité et cohérence intellectuelle ?

D’autant plus quand certains supporters de l’OM soutenaient Brandao et sa présomption d’innocence, à juste titre, dans ses affaires judiciaires. On y voit clairement un manque de cohérence ?

Absolument. Mais Twitter a créé un univers où tout le monde se mêle de tout, y compris dans des zones, qui ne sont absolument pas leur zone d’expertise. Et ça c’est dangereux. On va voir comment cela va évoluer, mais si ça continue, je serai prêt à faire mon vieux réac et à dire « c’était mieux avant ».

A venir très prochainement la seconde partie de l’entretien.

JM