Entretien avec un ancien collaborateur d’agent

Ancien collaborateur d’agent, Franck a sillonné les terrains de niveau Régional et National de sa région, à la rencontre de joueurs sans agent. L’objectif : Découvrir des joueurs intéressants qui méritaient selon lui, d’évoluer à un meilleur niveau, et d’être réorientés vers des clubs semi pros, en N2 la plupart du temps. Mais Franck va découvrir le milieu du foot si particulier et ses à-côtés : les directeurs sportifs, les agents, les parents et les joueurs. Un monde qu’il qualifie de « malade et vivant hors sol », dont il a fini par être dégouté et qu’il a laissé tomber en Juin 2022.

Bonjour Franck et merci d’avoir accepté notre sollicitation. Vous avez joué le rôle de collaborateur d’agent pendant quelques années. Êtes-vous issu du milieu professionnel ? Comment tout a commencé et quels souvenir en gardez-vous ?

Non, pas du tout. Je ne suis pas issu du monde du football. J’y ai joué mais je n’ai pas fait de centre de formation. Dès que j’ai eu le permis, j’ai toujours aimé voir des matchs de football professionnel en Ligue 1 ou Ligue 2, mais également de niveau inférieur notamment en N1, N2, N3. C’était le moyen de voir des matchs à 5 euros l’entrée, avec des professionnels, soit suspendus avec l’équipe pro, soit en reprise après une grosse blessure.

C’est comme ça que j’ai croisé Nassim Akrour qui jouait à Grenoble. Il est resté au club en fin de carrière quand le club s’est cassé la gueule. Akrour a 47/48 ans maintenant et joue toujours en 5ème division à Chambéry et il tient sa place. J’ai pu voir Dominique Gourville qui est passé par Sedan, qui jouait à Grenoble et qui a décidé de rester, le jeune gardien Brice Maubleu, qui aurait pu signer à Auxerre de mémoire mais qui a décidé de rester car il venait d’avoir un enfant et sa femme était du coin. Grâce à ces joueurs d’expériences, le club est remonté assez vite. Je me souviens aussi de Chambéry coaché par David Guion, l’entraîneur de Bordeaux. Ils avaient éliminé trois clubs pros en coupe de France 2011 (Monaco, Brest et Sochaux). Un gars de mon village jouait à Chambéry puis est parti jouer à Grenoble en Ligue 2. Comme je le connaissais, je le suivais, j’allais le voir jouer et je trainais derrière la main-courante.

Comment est née cette opportunité de devenir collaborateur d’agent ?

Certains anciens pros montent des structures, ou des pseudos écoles d’agent. Moi je n’ai rien fait de tout ça. Je me suis fait à l’école de la vie, sur le terrain. Le football semi pro est un petit monde. A force d’être à la main-courante, de donner son avis sur le match ou les joueurs, je me suis fait des connaissances, rencontré des directeurs sportifs, des « pseudos agents », des vrais agents aussi. C’est comme ça que j’ai connu Bruno Luzi, l’ancien entraîneur de Chambly pendant 30 ans.

Bruno Luzi – Source Aisnenouvelle

A force de parler de foot, de transfert et de jeu, quelqu’un d’une agence connue et reconnue m’a contacté pour me signifier qu’il cherchait quelqu’un comme moi. Il était intéressé par des gens passionnés, qui avait un avis pertinent. Cela m’a permis de rentrer dans ce monde-là, et c’est comme ça que tout a commencé.

Qu’est-ce qui vous attirait dans ce rôle ?

Cette opportunité est née d’une frustration. J’ai longtemps joué au foot. Je me suis arrêté à la Division d’Honneur Régionale, ce qu’on appelle les régionales (1,2,3) juste avant les championnats nationaux. Je n’ai pas réussi à aller plus haut. Toute jeune, j’ai joué en sélection départementale quelques fois en équipe Rhône-Alpes, avec des gamins de Lyon, de Saint-Etienne et de Grenoble. J’ai clairement vu que je n’avais pas le niveau et qu’il y avait un univers d’écart entre eux et moi. La plupart des joueurs de centres de formation de l’époque ne sont pas passés pros, ce qui te laisse imaginer le niveau pour être professionnel.

En revanche, je comprenais la tactique et ce qu’on me demandait de faire, mais je n’arrivais pas à le faire car j’étais limité techniquement. Et c’est une vraie frustration quand tu es jeune homme en 1998. Si j’avais eu 20% de leur talent, j’aurais été pro, sans parler d’équipe de France. Juste pro, même en deuxième division. Mais je n’avais pas le niveau technique. Moi ce qui m’intéressait, c’était la progression des jeunes, qui eux avaient ce que je n’ai jamais eu, à savoir la technique et la possibilité de franchir un autre niveau. J’avais envie d’être celui qui pouvait leur faire passer le cap. Mener des jeunes là où moi je n’ai pas pu aller, c’est ce qui m’animait.

Chambéry après l’exploit en coupe de France 2011 – Source Le JDD

Travailliez-vous avec un ou plusieurs agents ?

J’ai toujours travaillé avec la même agence, qui ont des joueurs en L1, en L2, qui jouent la Ligue des Champions ou en Equipe de France dans l’Agence. Moi j’étais collaborateur d’agents pour une agence, dans la région Rhône Alpes.

Moi ce qui m’intéressait, c’était la progression des jeunes. J’avais envie d’être celui qui pouvait leur faire passer le cap. Mener des jeunes là où moi je n’ai pas pu aller, c’est ce qui m’animait.

Quelles sont les qualités pour effectuer cette activité ?

D’abord, il faut avoir la connaissance des joueurs et des clubs. Quand tu sais de quoi tu parles, tu es crédible. Mais cette connaissance vient avec le fait de voir un grand nombre de matchs. Dans le milieu semi pro, tu as des bouchers/charcutiers qui côtoient des anciens pros, et tu vois rapidement la différence de niveau. Par ailleurs, l’âge joue souvent un rôle important : Si tu vois un très jeune joueur arrivé, tu te dis qu’il est surclassé et tu vas être attentif. Un mec qui a 25/26 ans qui est encore en N3, c’est souvent fini pour lui. A moins que son club monte de deux divisions en deux ans, il va végéter et il y a un plafond de verre qu’il n’arrivera pas à percer

Ensuite, Il faut être avenant, ne pas hésiter à engager la discussion. Tu as beau être là à chaque match, si tu n’engages pas la conversation, les gars ne te regardent pas, ne te connaissent pas et ne te parlent pas. Moi comme j’ai la tchatche, je me suis fait un petit réseau de relations. Quand je voyais un agent de L1 qui était là, j’allais engager la conversation avec lui, comme avec Christophe Hutteau, ex agent de Matthieu Valbuena. Enfin, une fois que ton joueur a rejoint l’agence, il faut être disponible pour le joueur, parfois au-delà du raisonnable.

Etiez-vous spécialisé sur un poste en particulier ?

Je n’avais pas de poste particulier. C’est plus facile pour les joueurs de champs que pour les gardiens, qui est un poste particulier. A mon sens, je pense que pour détecter un bon gardien, il faut avoir été gardien soi-même. Concernant les autres postes, je fonctionne au feeling et m’appuie sur quelques codes. Pour un défenseur, je suis également attentif à son habilité technique, tactique même si c’est souvent une question de physique. S’il s’impose dans les duels physiquement, ça sera plus facile pour aller voir au-dessus, niveau qui demandera plus de tactique et de technique. S’il arrive à l’acquérir ou qu’il l’a déjà mais ne l’exprime pas parce que c’est un niveau trop faible pour lui, il fera une super saison derrière.

Pour les milieux, je m’intéresse à ce que j’appelle le « milieu de terrain à l’italienne ». Le mec court peu, n’a pas besoin de couvrir du terrain car il est toujours bien placé et va chercher le ballon où il se trouve. C’est une science du placement que je recherche, et le joueur qui voit avant les autres

Pour les milieux de terrain, je m’intéresse à ce que j’appelle le « milieu de terrain à l’italienne ». Le mec court peu, n’a pas besoin de couvrir du terrain car il est toujours bien placé et va chercher le ballon où il se trouve. C’est une science du placement que je recherche, et le joueur qui voit avant les autres, un peu comme Verratti. Bien sûr, les mecs à Chambéry en N3 n’ont pas le niveau du milieu du PSG, tu te doutes bien. Les buteurs, c’est assez simple : Si le buteur enquille trois buts tous les week-ends, c’est clairement qu’il est au-dessus du niveau et généralement il ne reste pas longtemps.

Une fois la détecte, si le jeune a la tête sur les épaules, ne se la raconte pas joueur bling bling tatoué partout et à la mode, tu peux envisager de l’emmener à un échelon supérieur. Je me souviens d’un joueur qui jouait à Gaillard en N2 avec Pascal Dupraz, ailier gauche avec une patte incroyable. Il est parti au Puy en Velay et il est resté. L’objectif pour moi, en N1, N2 c’est qu’il soit repéré par une L2. Dans le monde pro, c’est l’agent qui prend le relai, le collaborateur d’agent n’intervient plus car c’est interdit.

Comment vous êtes-vous rendu compte que vous aviez l’œil ? Vous rappelez vous d’ un des premiers joueurs qui vous a marqué ?

Il se trouve que mon avis était un peu pertinent. Je m’en suis rendu compte un jour : Je me souviens d’un jeune joueur au centre de formation de Grenoble, grand défenseur central rouquin, qui avait 16 ans et jouait en N3. Quand Grenoble s’est pété la gueule il y a 10 ans, le club a perdu sa structure pro. Néanmoins, le jeune a choisi de continuer ses études et de rester à Grenoble en réserve (régionale 1 aujourd’hui), tout en jouant N3. Mais en N3, tu as des anciens pros et des bouchers. Ça pique les yeux parfois et à côté tu as des mecs qui font des supers trucs. On voit très rapidement le coup de pattes de l’ancien pro et du joueur qui est au maximum de ce qu’il peut faire.

J’ai vu quelques matchs de ce jeune et j’avais remarqué qu’il avait un truc, notamment le fait qu’il savait se placer, faire de super relances. Puis un jour, ce gamin a disparu de Grenoble. J’ai appris plus tard qu’il avait signé pro au Servette de Genève, puis signé à Lausanne. Il doit avoir plus de 500 matchs en division suisse à ce jour. J’avais eu le coup d’œil. On m’a dit « Tu vois, tu as eu le coup d’œil. Si tu l’avais signé pro ce jour là où tu l’as repéré, tu serais son agent. ». C’est gratifiant de se dire qu’on a vu juste.

Un jour, ce jeune a disparu de Grenoble. J’ai appris plus tard qu’il avait signé pro au Servette de Genève, puis signé à Lausanne. Il doit avoir plus de 500 matchs en division suisse à ce jour.

Juridiquement ou administrativement, que dit la loi ?

La loi a changé récemment, notamment par rapport aux avocats spécialisés en Droit du Sport. Certains se disaient conseillers sportifs et piquaient le boulot des agents sans avoir l’accréditation de la FFF mais ils touchaient les commissions qu’ils appelaient honoraires pour être en accord avec la loi. Aujourd’hui, pour discuter d’un contrat, il faut être agent dans le milieu pro. Il m’est interdit de contacter un joueur pour lui dire « viens je te signe, je vais m’occuper de toi et tu vas jouer en L1 ou en L2 ». La loi est claire : tu ne peux pas être agent sans licence. En revanche, tu peux être collaborateur d’agent de monsieur X. Je travaille avec lui, je fais partie de son équipe, comme un député avec son équipe parlementaire.

Deux cas de figure se présentent si je détecte un joueur intéressant :

  • Si le joueur te signifie qu’il a un agent et que tout va bien, les discussions s’arrêtent là. Tu ne peux pas piquer un joueur à un agent.
  • S’il te dit qu’il est ouvert pour un changement et qu’il est intéressé, tu lui expliques que tu es collaborateur d’agent de monsieur X. Souvent, l’agent et moi-même rencontrions le joueur pour clarifier les choses, et le rôle de chacun. Une fois que la confiance est installée, l’agent peut vivre à Paris, Marseille ou à l’étranger, mais au moins il a un collaborateur d’agent au plus près du joueur dans la région Savoie, Haute Savoie, Ain, Isère, Bourg-en-Bresse, Lyon etc…

On imagine que c’est un poste prenant. Comment s’organise une semaine type ?

Sur le terrain, c’est surtout le week-end, ce qui me permet de bosser la semaine et m’occuper de ma famille. Concernant les relations avec les joueurs, c’est variable dans la semaine. L’arrivée des réseaux sociaux, et des téléphones fait qu’on est en contact permanent. Il n’y a plus besoin de se voir physiquement régulièrement.

Quelles étaient les rémunérations pour effectuer ce travail ?

L’agent prend entre 6 et 10% de ce que gagne le joueur à l’année. Et sur ces 10%, je prenais 70% en tant que collaborateur d’agent. Le jour de la signature du contrat, l’agent est là et c’est normal car c’est la loi. Si j’avais un joueur à Andrézieux, ou Lyon La Duchère qui nous rejoignait, on fixait un rendez-vous sur place. L’agent me présentait en tant que collaborateur d’agent, et la personne relai à contacter en cas de problème.

Si le joueur gagne 1 000 euros par mois sur un an, sans compter les primes de matchs ou de buts. 12 000 par an, 70% de 1 200, soit 900 euros. J’avais créé ma micro-entreprise, et je gagnais entre 4 000 et 5 000 euros par an.

L’agent prend entre 6 et 10% de ce que gagne le joueur à l’année. Et sur ces 10%, je prenais 70% en tant que collaborateur d’agent.

J’imagine qu’il vous est arrivé de vous tromper sur des joueurs

Oui et ça arrive, parce que le football n’est pas une science exacte. Mais les clubs ont misé de l’argent car les joueurs ont des salaires, certes pas mirobolant, mais quand même. Et pour une petite structure en N2, c’est un gros chèque. Quand tu donnes 1 000 euros par mois à un jeune de 18/20 ans et qu’il ne donne pas satisfaction, ça coûte cher. Souvent ce sont des contrats d’un an renouvelable. Pour un buteur, s’il atteint le nombre de buts déterminé par le contrat, ou qu’il fait 75% des matchs titulaire, le contrat est automatiquement reconduit, Mais quand tu signes un mec qui a fait 4 matchs dans la saison, dont 2 sur le banc, et tout le reste à la réserve, ça ne te fait pas une bonne pub. Et si tu as un joueur à placer, les clubs n’oublient pas et te disent « tu te souviens du joueur que tu m’as vendu l’année dernière, ce mec-là m’a coûté 1 000 euros pour jouer en réserve, en régionale ».

Vous avez fini par quitter ce rôle de collaborateur d’agent. Quelles sont les raisons de cette décision ?

Disons que c’est un tout. Cela fait 18 mois que je commençais à y aller en trainant des pieds. Les agents entre eux sont des requins et de plus en plus. Imaginons que je sois dans les bureaux à Grenoble, maintenant en L2, et qu’un agent me voit, tu peux être sûr que dans le quart d’heure qui suit, il y a une plainte de déposée au commissariat et une perquisition chez moi dans la foulée. Je n’avais pas envie de vivre dans ce monde-là. Et le comportement des joueurs a changé en une dizaine d’années, le foot bling bling s’est démocratisé un peu partout. Auparavant, le joueur qui était en Ligue 2 avait presque honte de dire qu’il jouait en L2, car ce n’était pas la L1. S’il pouvait dire qu’il faisait un autre métier, il pouvait mentir sur son job.

Aujourd’hui, la situation est différente ?

Absolument, un joueur de 18 ans en N3 veut un gros salaire alors qu’il n’est pas pro. Je ne veux pas faire le vieux, mais les joueurs de 18 ans, ont 20 piges de moins que moi et je pourrais être leur père. Un jeune papa, mais un papa quand même. Ils pensent qu’en jouant en National 2, tu peux leur payer une Porsche. Ils te regardent dans les yeux en te disant « Je viens d’avoir le permis, si je signe avec toi, je veux une Porsche ». Mais tu as 18 ans, achète toi une Twingo, ne t’emmerde pas la vie putain…

Entre le moment où ils sont nés, et le moment où ils sont devenus adultes, la France a été deux fois championne du monde. Il n’y a pas de culture Foot en France, je ne t’apprends rien. Moi je viens du Nord, à 50 Bornes de chez moi, tu es en Angleterre avec des clubs de National 1 ou National 2 qui ont des statuts pros. Les jeunes du Sud de l’Angleterre ne vont pas supporter Manchester ou Liverpool parce qu’ils cartonnent. Ils vont peut être apprécier le gros club de la région, mais ça n’ira pas plus loin, et ils aimeront le club de leur coin. Résultat, des clubs de 4ème division jouent devant 25 000 personnes. Mais les mecs ici jouent devant 150 personnes et demandent une Porsche. Les joueurs sont déconnectés et l’entourage devient hyper agressif.

Vous avez été témoin de comportement agressif ?

Tu es sur la main-courante, les parents t’interpellent en te disant « Tu as dit que mon fils était intéressant mais il joue toujours au même niveau ». Bah oui, mais ton fils a qu’à arrêter de se battre à tous les matchs aussi. Il s’agit d’un pourcentage faible de joueurs qui pensent ainsi même si ces dernières années le nombre ne fait que croître.

L’entourage est très compliqué à gérer j’imagine ?

Les parents s’imaginent qu’ils ont la poule aux œufs d’or et ont des demandes dingues. Leur fils est dans un club qui a 100 000 euros de budget. Il ne peut pas gagner 20 000 euros par mois, cela ne peut pas exister en 5ème division. Les réseaux sociaux ont aussi beaucoup changé la donne. Cela leur a donné de la visibilité, ils peuvent interagir avec quiconque depuis un téléphone. D’ailleurs, les jeunes veulent tous avoir la certification sur les réseaux sociaux, à côté de leur nom pour montrer qu’ils sont connus et reconnus.

Quand ils disent qu’ils ont 18 ans et sont footballeurs, tout le monde imagine qu’ils jouent en Ligue 1 ou Ligue 2. Mais en fait, personne ne les connait en N2 ou N3, à part les amateurs de foot. Sinon, ils sont inconnus du grand public. C’est une catastrophe dans les grandes villes. Ils sont jeunes, ils ont 18 ans, un peu d’argent, ils sortent. Enormément de jeunes auraient pu faire carrière mais ils se sont grillés les ailes : Les gonzesses, les sorties, les boîtes de nuit… Le peu qu’ils gagnaient en un mois, ils le dépensaient en un week-end. Ils se retrouvaient dans la merde, souvent saisi, à arrêter l’école et ne faire que du foot, se retrouvent en N3 pour gagner 500 balles par mois.

Comment réagissiez-vous dans ce contexte ?

Je pense qu’il faut être hyper humain, j’étais un papa de substitution pour certains parfois. Ce n’est pas une question d’enfance difficile. Certains sont des enfants de cadres, qui n’ont manqué de rien, mais qui vrillent à cause des réseaux sociaux et pètent les plombs et se déconnectent de la réalité. Quand tu vas les voir et que tu leur dis qu’ils jouent en semi pro, mais que tu penses qu’ils peuvent jouer en pro, il y a deux joueurs : Celui qui va se mettre à travailler deux fois plus pour y arriver, sans pour autant y arriver. Un coup de malchance une blessure, ou le joueur n’est pas bon le jour où le recruteur est présent, ça arrive. Mais quand même, si la personne voit que quelqu’un croit en lui, et s’il est bosseur, ça marche à 60/70% des cas.

Et puis il y a l’autre attitude : Le gars pète les plombs. La famille est vraiment un cancer pour un footballeur, les copains d’enfance aussi, le grand frère ou le cousin qui se croit agent. J’ai vu un gars qui avait fabriqué des cartes en tant que directeur artistique de son petit frère qui jouait à Chambéry. Je lui avais dit « Mais il ne va pas tourner un film ton frère, qu’est-ce que tu me fais là ? » (Rires). Tu en as qui demande des voitures, qui veulent aller en vacances à tel endroit sinon il ne signe pas avec toi. Ma réponse était assez claire « Merci et au revoir ».

Un jour, j’étais avec un jeune d’un club proche de Lyon. Je ne savais pas qu’il faisait partie de la communauté gitane. Ils sont arrivés, c’était un concert des Gipsy Kings, le look gitan, la gomina, ils sont arrivés à 17 dans des Mercedes. Ils m’ont dit « Comme tu crois à l’un d’entre nous, tu fais partie de la bande ». J’étais rassuré, je me suis dit qu’il n’allait pas me réduire en mille morceaux, c’était déjà ça. Mais ils avaient une liste de revendications longue comme le bras. Ça ne marche pas comme ça et je leur ai répondu qu’ils n’auraient rien. Ils se sont barrés aussi vite qu’ils étaient venus et le jeune quand je le croisais, m’évitait. Le joueur joue toujours en N2 mais je pense qu’il aurait pu faire mieux. C’est dommage.

Dans les parcours atypiques, on pense forcément à Valbuena. Comment expliquez-vous les carrières à la Valbuena ?

C’est la chance, la bonne rencontre au bon moment. Valbuena est l’exemple parfait. Après son passage en centre de formation de Bordeaux où il a été recalé à cause de sa petite taille (1m63), il s’est retrouvé à Saint Médard en Jalles en N3. Son voisin était Didier Tholot, (l’actuel entraîneur de Pau), ancien joueur de Bordeaux et qui entraînait Saint Médard en Jalles à l’époque. Tholot a réussi à faire monter le club des championnats départementaux jusqu’aux plus haut niveau régional. Il s’est retrouvé avec un petit jeune de 16/17 ans, Matthieu Valbuena, qu’il a pris sous son aile. Finalement, Valbuena a eu la chance que Didier Tholot soit son voisin et qu’il le voit taper le ballon dans la rue. Quand son coach est parti à Libourne, il l’a emmené avec lui. Il en a fait un joueur important au club. Ensemble, ils sont emmenés Libourne en Ligue 2. Ensuite l’OM s’est intéressé à lui, et la suite est connue de tous…

Il y a aussi une part de destin non ?

Oui, c’est le destin, dans les deux sens d’ailleurs. Autant le destin peut te tirer une balle dans le pied : Tu te blesses, tu fais le couillon, tu vas en boite faire la bringue avec les copains et le lendemain tu n’es pas frais, tu joues mal quand les recruteurs sont là… Autant il peut parfois faire pencher la balance. Et c’est souvent le mec sérieux à qui le destin sourit. Quand il était jeune, Valbuena était super sérieux. Ensuite, il a commencé à jouer en équipe de France et gagné beaucoup d’argent notamment à l’OM, il a pris la grosse tête et est devenu bling bling, à rouler en Hummer alors que c’est un fils de maçon. Et je dis ça sans aucun mépris, je suis fils d’ouvrier et ouvrier moi-même. En 5 ans, il est passé de la N1 à jouer la ligue des champions et être en équipe de France. Il s’est mis à gagner 200 fois ce que gagnait son père tous les mois. Il a pété les plombs Valbuena et c’est logique. Personne n’est préparé à cela. Il a aussi offert une maison à tout le monde dans sa famille, c’est bien aussi.

En 5 ans, Valbuena est passé de la N1 à jouer la ligue des champions et être en équipe de France. Il s’est mis à gagner 200 fois ce que gagnait son père tous les mois. Il a pété les plombs Valbuena et c’est logique. Personne n’est préparé à cela.

Franck Ribéry est aussi un exemple incroyable de carrière, venue du niveau inférieur. Quel parcours !

Ribéry est originaire d’une citée de Boulogne sur Mer, le Chemin Vert, marquée par un taux de chômage à 75%, touchée par le trafic en tout genre, la misère et la déchéance humaine. Tu vois des gosses de 16 ans assis de 8h à 18h sur une chaise en bas d’un immeuble, la vue basse, le regard dans le vide, drogué…des filles de 25 ans, mère d’un enfant de 10 ans. C’est un contexte social très compliqué.

Jeune, il était au centre de formation à Lille, et c’est l’un des rares français à avoir été surclassé en centre de formation. C’est assez exceptionnel. Le LOSC l’a renvoyé du centre de formation car il trafiquait et n’a pas su couper les ponts et les liens avec son quartier. Zidane l’a fait facilement quand il est parti de Cannes avec les gars de son quartier de la Castellane. D’ailleurs, il n’y va que très rarement et toujours protégé de nombreux gardes du corps, parce qu’il n’est pas le bienvenu. Il est pris pour un traître car il aurait pu sauver beaucoup de gens de la misère mais il n’a pas levé le petit doigt pour eux sinon c’était mettre le doigt dans l’engrenage. Il a eu raison de penser à sa carrière. Ribéry n’a pas fait ce choix. Bon après, Ribéry c’est limité, « La routourne va tourner », tu as tout compris. Tu te rends vite compte que ce n’est pas un mec avec qui tu joues au Scrabble. Mais ça ne l’a pas empêché de faire une immense carrière, d’avoir fait la finale de coupe du Monde en 2006 et de terminer 2ème au ballon d’Or. Mais ça s’est joué à pas grand-chose.

Qu’est-ce qui l’a sauvé ?

Après son départ de Lille, il est revenu à Boulogne-sur-Mer où il jouait en N1 titulaire à 16/17 ans. L’entraîneur de l’époque s’est fait renvoyer et il est parti à Alès. Le coach a proposé à Ribéry de le prendre à Alès. Comme Ribéry n’était pas en âge de louer un appartement et que les parents de Ribéry connaissaient le coach, l’entraîneur a proposé d’héberger Ribéry. Ensuite, le coach est parti à Brest, et Ribéry l’a suivi et il a fini meilleur passeur de N1 à Brest à 18 ans. Jean Fernandez, coach de Metz, a flairé le bon jeune et l’a recruté en ligue 1. Puis la suite on la connait : Metz, Galatasaray, Marseille, Equipe de France. Mais il a lui aussi pété les plombs complètement. Quand il était à Boulogne sur Mer, il était maçon la journée avec son père, et le soir il tapait le ballon à l’entrainement. Parfois, il loupait des matchs le week-end parce que le chantier était en retard. Et en deux, trois ans, Ribéry est passé de Brest avec un salaire à 900 euros par mois, à Marseille à 50 000 euros par mois, et idole du Vélodrome. Déjà, lorsque les gamins ont une éducation correcte, les joueurs vrillent. Mais quand en plus le terreau est instable, il ne faut pas s’attendre à autre chose de leur part que de dégoupiller. Le foot rend fou.

Ribéry est passé de Brest avec un salaire à 900 euros par mois, à Marseille à 50 000 euros par mois, et idole du Vélodrome. Déjà, lorsque les gamins ont une éducation correcte, les joueurs vrillent. Mais quand en plus le terreau est instable, il ne faut pas s’attendre à autre chose de leur part que de dégoupiller.

Quels sont les salaires de joueurs de Nationale 2 ?

En N2, les clubs sont divers. Des clubs en périphéries des grandes villes (Versailles, Lyon Duchère, etc…) peuvent accueillir un ancien pro en fin de carrière et proposeront 2 000 ou 2 500 max. Ensuite, les clubs qui montent ne peuvent pas se payer ce genre de joueur. Ils se tourneront vers les joueurs aguerris de N2, avec 300 matchs de N2 et qui n’ont jamais réussi à jouer à l’échelon supérieur. Souvent, ils ont fait un centre de formation mais n’ont pas percé et jouent depuis 10 ans en N2. Ces joueurs auront des salaires autour de 1 500 euros, et souvent un petit job à côté. Si le patron du club de N2 est un chef d’entreprise de 200/300 personnes, il peut lui proposer un mi-temps. Enfin, tu as le jeune qui sort de nulle part, qui vient des championnats régionaux et qui a un potentiel. Ce genre de joueur peuvent toucher 800/1 000 euros par mois.

A l’échelon au-dessus, les salaires sont de quel ordre ?

En N1, les clubs de L2, relégués gardent leur statut pros deux ans. Nolan Roux à Châteauroux gagne 10 000 euros par mois. Il a valorisé sa carrière et sa carte de visite : Sa carrière, la coupe d’Europe avec Saint-Etienne et c’est lui qui a la main. De toute façon, si ce n’était pas Châteauroux qui l’avait pris, il aurait eu d’autres propositions en France ou à l’étranger. C’est l’offre et la demande.

Après les clubs de N2 qui montent en N1 valorisent les joueurs qui ont participé à la montée. A Annecy par exemple, les joueurs qui ont été des artisans de la montée et sont restés, ont doublé leur salaire. Migouel Alfarela, meilleur buteur de N2, était de mémoire à 700/800 euros par mois à Annecy en N2, avec un petit job à mi-temps, à côté dans un magasin de téléphonie mobile. Il a signé en N1 à 1 600/1 800 euros puis le Paris FC l’a fait signer pro à 4 500 euros. En deux saisons et demie, il a multiplié son salaire par 6. En plus, les clubs semi pros ou anciennement pros (Créteil, Paris FC, Red Star…) paient le loyer des joueurs, car c’est difficile de se loger en région parisienne, surtout avec une femme et des enfants. S’ils ne font pas ça, les joueurs ne viennent pas.

On peut imaginer aussi des clubs qui vrillent ?

Tout à fait. Le club de Rumilly, pas loin d’Annecy, a fait une demi-finale de coupe de France en 2021. J’allais les voir deux ou trois fois par an et le club a pété les plombs. Les dirigeants se sont crus en L1, avaient embauché un directeur de la sécurité au Stade, les places sont passées de 5 euros à 20 euros. Tu te rends compte ? Tu as des places en L2 à 20 euros. Du coup, il n’y avait plus personne au stade, une sale ambiance, les résultats n’ont pas suivi et le club est redescendu en N3.

Il y a un de tes tweet qui me parle. Tu disais que Noël Le Graët, à l’image de beaucoup de chefs d’entreprise, est complètement hors-sol et personne n’ose rien dire parce qu’ils sont dirigeants depuis 50 ans. Mais dans le football semi pro ou pro, il y a aussi ça. Des bénévoles portaient les bouteilles d’eau, puis petit à petit ont pris du galon en devenant trésoriers puis président au bout de 20 ans. Ils ont fait monter le club des championnats départementaux à la N2, N3 et ils pensent être arrivés en Ligue des Champions. Certains creusent des déficits dans des clubs, s’achètent des 4×4 Porsche de fonction alors que le club a 100 000 euros de budget. Et le mois d’après, le club ne peut plus payer les joueurs. Certains mecs partent du jour au lendemain avec la caisse et les clubs finissent par disparaitre dans l’anonymat.

Certains creusent des déficits dans des clubs, s’achètent des 4×4 Porsche de fonction alors que le club a 100 000 euros de budget. Et le mois d’après, le club ne peut plus payer les joueurs. Certains mecs partent du jour au lendemain avec la caisse et les clubs finissent par disparaître dans l’anonymat.

Comment faire justement pour faire rester les joueurs sur terre dans ce contexte ?

Avec les joueurs, j’utilisais le schéma de la pyramide. A la pointe de la pyramide, il y a Mbappé, le gars est tout en haut. Puis, ensuite, il y a les joueurs de L1, puis L2, puis N1, puis N2, et les amateurs. Et l’objectif était de leur montrer tout le chemin à parcourir, et surtout leur place sur l’échelle du foot. Quelque part le message c’était : Tu peux aller plus haut, mais pour l’instant, tu es là.

Quelles étaient leur réaction ?

Ils n’aimaient pas que je leur dise ça. Et souvent, ils me répondaient « Mais toi, tu as été joueur où ? tu es qui ? ». Ma réponse était simple : « Je n’ai pas fait la moitié de ce que tu as fait, en revanche, la hiérarchie, je la connais et aujourd’hui tu es ici ».

Est-ce que le fait de ne pas avoir fait de parcours pro a été un handicap pour votre crédibilité ?

Oui, cela a un impact quand il y a un problème. Quand tout va bien, peu importe d’où tu viens et qui tu es, quand tu le fais signer de la N3 à la N1, il est très content de toi. En revanche, quand tu lui dis ses quatre vérités en face, que le mec est nul sportivement, qu’il fait n’importe quoi et ne met pas toutes ses chances de son côté, c’est compliqué pour eux.

Qu’est-ce que vous appelez « n’importe quoi » ?

J’ai vu un joueur aller dans des boites échangistes alors que le mec est marié et a trois gamins. Parfois je recevais un message de sa femme « Il est avec toi ? ». Je répondais le lendemain « Pardon, je viens de voir ton message ». Il fait ce qu’il veut et je ne m’en mêlais pas car il s’agit de sa vie privée. Si toi, tu fréquentes les boites échangistes, tu fais ce que tu veux et ton patron n’a pas à s’y mêler. J’étais le patron de sa carrière, rien de plus.

A Annecy, tu n’es pas loin de la frontière suisse et italienne, et il y a des trafics en tout genre. Avec l’éclatement de l’ex Yougoslavie, beaucoup de personnes sont venues en France et notamment en Haute Savoie. Certains ont des casiers, pour des choses graves, des trafics d’armes etc… et les enfants de ces gens-là, grandissent et ont parfois un bon niveau au foot. Un jour, je contacte un jeune qui avait un bon niveau et je l’avais invité à boire un verre en dehors du stade. Je fais toujours cela pour parler avec un joueur. C’est l’occasion de parler de tout sauf de football, ça permet d’en connaitre un peu plus sur son environnement. Souvent le joueur vient avec un membre de la famille, notamment le papa, le grand frère ou l’oncle. Ça ne me dérange pas et je trouve cela plutôt normal. Quand tu vois arriver le papa du joueur avec un pistolet qui dépasse du t-shirt, ça fait drôle. Je te jure, c’est une scène de film… Dans ces cas-là, je reste poli, je dis que le joueur est intéressant mais je ne vais pas plus loin et de moi-même j’arrête car tu ne sais jamais comment ça peut finir. D’ailleurs, ces joueurs là, bien qu’intéressants ne font pas carrière.

Avec l’éclatement de l’ex Yougoslavie, beaucoup de personnes sont venues en France. Certains ont des casiers, pour des choses graves, des trafics d’armes et les enfants de ces gens-là, grandissent et ont parfois un bon niveau au foot. Un jour, je contacte un jeune qui avait un bon niveau mais quand tu vois arriver le papa du joueur avec un pistolet qui dépasse du t-shirt, ça fait drôle.

Beaucoup de gens du football vivent grâce aux contrats des joueurs. C’est aussi ça le problème non ? Avez-vous envisagé de devenir agent ?

Oui, certaines filles qui gravitent autour du foot sont une catastrophe. Quand elles voient qu’un jeune commence à toucher un peu d’argent pour jouer au foot, elles s’imaginent que dans deux mois le joueur va jouer en L1 et toucher 50 000 euros par mois et qu’elles n’auront pas besoin de travailler.

Les agents aussi vivent grâce aux joueurs. Il suffit que l’agent trouve un très bon joueur et il est tranquille pour le reste de sa vie. La personne qui a trouvé Pogba ne travaille plus. Il l’a fait signer au Havre, puis Manchester, puis Juventus, puis Manchester, puis Juventus… A chaque changement de club, il prend de l’argent. Et puis quand le joueur a été sorti d’un milieu difficile, généralement il ne t’oublie pas.

Pogba de retour à la Juventus – Source Besoccer

En fait, je pense que dans ma situation, soit tu essaies d’être agent à temps plein, soit tu arrêtes. Je m’étais renseigné pour être agent à plein temps mais tu n’as que 10% des candidats qui obtiennent la licence. Et puis en avais-je l’envie ? Avais-je envie de vivre dans ce monde particulier, avec la famille qui a le droit d’être représentant du joueur et bénéficiant d’un statut particulier?

Cet été, on a vu à quel point l’entourage peut avoir un impact sur un transfert aussi bien à Strasbourg qu’à Lyon. Les clubs de football sont de plus en plus agacés par ces situations j’imagine ?

Oui, un joueur de Strasbourg devait signer à Francfort. On ne sait pas trop ce qui s’est passé. Mais au-delà du contrat, il peut y avoir de nombreuses demandes annexes sur un deal. Certains demandent des voitures de fonctions car leurs voitures personnelles sont connues et reconnues et des fans peuvent les attendre devant chez eux. Certains grands joueurs prennent des gardes du corps, car sinon ils ne peuvent pas faire des courses dans les magasins sans passer trois heures à signer des autographes. Les clubs pros appellent cela une nourrisse : Le joueur a une personne qui fait tout : Amène tes enfants à l’école, fait tes courses, va à la poste à ta place chercher le recommandé. Par exemple, Ben Yedder a une nourrice et ne sort pas de chez lui, ne vit pas à Monaco mais dans un bled à côté. Les joueurs ne participent pas à la Kermesse de l’école de leurs enfants, ce n’est pas possible. Cristiano Ronaldo ne sort pas de chez lui. J’imagine qu’il aimerait amener ses gosses comme tout le monde à Disneyland mais il ne peut pas sinon c’est l’émeute. Du coup, il a privatisé Disneyland. Il a les moyens, il s’en fout, mais c’est une vie particulière, qui te suit toute ta carrière. Les joueurs français, champions d’Europe 84, tu ne les vois jamais dans la rue. Kylian Mbappé va vivre caché toute sa vie. Quand il va au Ritz, il privatise. C’est finalement assez triste, la rançon de la gloire comme on dit.

Parfois, des proches de joueurs d’un moindre niveau demandent dans les à-côtés, une maison, ou une rente à vie pour que le frère ou le fils signe dans le club. Ils abandonnent la commission d’agent, mais veulent 5 000 euros par mois à vie. Les clubs commencent à en avoir réellement marre, et certains deals capotent à cause de cela, malgré tout le talent du gamin. Lyon devait prendre Tyrell Malacia, arrière gauche du PSV Eindhoven cet été. Tu te doutes bien qu’à Lyon, le club se renseigne sur l’entourage du joueur. C’était vraiment un gros talent mais ils savaient que l’entourage du joueur craignait. En effet, le frère est fiché au grand banditisme. Lyon a refusé le joueur, plutôt que de finir en prison. Le joueur a signé à Manchester depuis.

Qu’est-ce que ça vous inspire ?

En France, la loi est différente qu’en Angleterre. En France, si tu donnes de l’argent à quelqu’un comme ça, tu deviens complice en étant considéré comme association de malfaiteurs. En Angleterre, non, c’est la raison pour laquelle Manchester a pu le signer. En Allemagne, la loi est assez comparable à la France et il n’aurait pas signé.

Le football est quand même particulier, n’est-ce pas ? Qu’est ce que vous retenez de cette expérience ?

Oui, il coexiste un mélange des genres : J’ai vu des gens aux bords des mains-courantes qui se prenaient pour Jorge Mendes ou Mina Raiola. Certains directeurs sportifs qui s’imaginaient comme Monchi alors qu’ils recrutaient que des tocards. Un jour, il y en a un qui m’a dit « je ne comprends pas, j’ai lu le livre de Jose Mourinho, ça ne marche pas ». Les mecs sont hors sol… (rires). Un autre, qui me dit « Tiens tu nous as trouvé un joueur, pour pas un rond. Voilà cadeau. ». Il me tendait une enveloppe avec de l’argent dedans que j’ai refusé. Dans le football, tu n’as pas que des bons gars qui trainent. J’apprenais parfois que telle personne était en prison car il fricotait avec la mafia, où magouillait dans des trafics avec des prostitués. Je me souviens de quelques caricatures du maquereau, avec les chaînes et bagouze en or, les poils sur le torse, la chemise Ralph Lauren déboutonnée.

Je me rappelle aussi un jeune de 18 ans qui jouait de mémoire en N3. Son père lui a mis des tartes dans la gueule car il avait loupé le 1-1. Le coach s’en est mêlé et les flics sont arrivés. Le gamin était l’espoir d’une vie meilleure pour sa famille et n’avait pas le talent des ambitions du papa. Enfin, il y a 10 ans à peu près, un gardien de N2 se vantait d’avoir signé en L1 dans les pays de l’Est alors qu’en réalité, il avait fait quelques mois de prison, d’où son absence….

Et à côté de cela, des supers mecs pourraient être dans des structures semi pros et font du super boulot. Souvent ces clubs là marchent bien. Je te parlais de la famille Luzi à Chambly. Si elle te doit un centime, elle te le donnera. Cette famille n’a jamais eu de problème et leur club est allé jusqu’en Ligue 2.

Pour finir sur une bonne note, quelle est votre plus belle rencontre ?

Il s’agit d’un jeune que j’ai découvert lorsque Bourg-en-Bresse était en L2 il y a quelques années. Un soir, je descends à Saint-Etienne pour voir les Verts, coachés par Gasset à l’époque. J’arrive assez tôt à Saint-Etienne et je me dis « Tiens je vais aller voir un match d’Andrézieux. ». Et j’apprends qu’Andrézieux reçoit Bourg-en-Bresse (équipe B). Je vois ce jeune lors de la première mi-temps et je le trouve très bon. Il jouait défenseur central, très bon au duel aérien, top dans la relance. Je discute avec l’encadrement du club pour comprendre pourquoi il n’était utilisé sur le banc en L2. J’apprends qu’il s’entraîne avec les pros trois fois par semaine, mais que le niveau est trop grand entre la N3 (réserve de Bourg-en-Bresse) et la L2. A la mi-temps, je vais le voir en lui disant que c’est un bon footballeur et que j’aimerais discuter avec lui.

J’ai découvert un jeune très timide, originaire du Tchad avec un parcours très difficile. Enfant, il est rentré chez lui, et a découvert que toute sa famille avait été tuée. Il a récupéré quelques affaires, a pris le premier bateau pour fuir le Tchad et a débarqué à Marseille. De Marseille, il a vivoté à gauche à droite et est arrivé à Bourg-en-Bresse. C’est un gosse qui n’avait pas de papier, a vécu dans un foyer de sans-papiers jusqu’à ses 18 ans et dormait dans une voiture ou hôtel depuis sa majorité car il n’est plus éligible aux aides. Je le voyais régulièrement à Bourg-en-Bresse, et quand je m’achetais un sandwich, je lui en prenais un car je n’étais pas certain qu’il mange tous les jours. C’était un gamin qui faisait un apprentissage en parallèle du foot parce qu’il n’était pas sûr de pouvoir vivre du foot.

Il a eu deux petits garçons et il a donné mon prénom à un de ses deux fils. Quand j’ai découvert ça sur le fairepart de naissance, que je l’ai eu au téléphone et qu’il m’a dit que c’était pour me remercier, j’ai eu la larme à l’œil.

Qu’est-il devenu aujourd’hui ? Êtes-vous toujours en contact ?

Aujourd’hui, il est en deuxième division en Autriche, Il gagne très bien sa vie avec l’équivalent d’un salaire de Ligue 2. Je suis content d’avoir travaillé avec lui et d’avoir pu l’aider. Il est franco-tchadien, s’est marié avec une française. J’étais invité au mariage mais je n’ai pas pu y aller malheureusement. Je suis un peu gêné de le dire, mais il a eu deux petits garçons et il a donné mon prénom à l’un de ses deux fils. Quand j’ai découvert ça sur le faire-part de naissance, que je l’ai eu au téléphone et qu’il m’a dit que c’était pour me remercier, j’ai eu la larme à l’œil. C’est une belle histoire, avec un jeune au parcours incroyable qui vit du football aujourd’hui. Alors effectivement, ce n’est pas la ligue des champions, ce n’est pas forcément le parcours de football qui fait rêver quand on est gosse, mais il vit du football un peu grâce à moi et j’en suis fier.

Nous souhaitons remercier Franck pour sa disponibilité et lui souhaitons une bonne continuation loin du foot désormais.

JM