PRO – Entretien avec Nicolas VILAS – Football portugais et modèle Socios

Notre rubrique consacrée aux socios et aux initiatives d’actionnariats populaires en France fête sa première bougie. Après Bastia, Guingamp, Nancy, Rouen, Marseille et Nantes, nous prenons la direction du Portugal pour comprendre le fonctionnement du football Portugais où les Socios sont une institution. Nicolas VILAS, journaliste à RMC, et grand connaisseur du football Portugais a gentiment accepté de répondre à notre entretien. Comment est structuré le football Portugais, son mode de fonctionnement et ses limites ? Nicolas nous en dit plus.

Bonjour Nicolas et merci à vous d’avoir accepté notre invitation. Avant d’entrer dans le vif du sujet, vous évoquez souvent le « clubisme » sur RMC. Quelle différence faîtes-vous entre le supportérisme et le clubisme ?

Le clubisme est une notion que j’ai souvent évoqué dans l’After Foot et qui a fini par faire écho. Le clubisme ou la clubite est la forme excessive et radicale du supportérisme, presque par procuration. Avant d’aimer ton club, tu détestes le rival et l’autre : l’autre, ça peut être le rival, l’arbitre, les institutions, une décision de discipline ou de justice, le système de façon plus globalisée. Il engendre une forme de paranoïa, cultive un sentiment d’injustice ; il s’agit d’une sorte de violence verbale, psychologique, intellectuelle.

C’est une notion très ancrée au Portugal. Beaucoup d’anciens joueurs et de sociologues expliquent que si le Portugal a eu tant de difficultés en sélection, c’est parce que la sélection était gangrénée par le clubisme et par les guerres existantes en clubs qui se prolongeaient au sein de la sélection. Les joueurs du Benfica se retrouvaient ensemble, ceux du Sporting d’un côté, ceux de Porto de l’autre. Les quelques joueurs qui venaient des autres clubs étaient un peu perdus. L’Espagne a connu la même chose pendant des décennies avec les joueurs du Barca et du Real sous couvert en plus, dans le cas de l’Espagne, d’une dimension politique.

En France, on a tendance à glorifier cette vision, comme étant du « vrai supportérisme » non ?

J’en parle d’autant plus facilement parce que j’ai grandi ici dans cette double culture en pouvant comparer les deux réalités. En France, on a toujours une forme de complexe, de mécanisme inconscient à répéter qu’on n’est pas un pays de foot. Et en cultivant le clubisme, qu’on estime être finalement du vrai supportérisme, on pense acquérir une légitimité, on minimise les conséquences et on qualifie les débordements de folklore. Au Portugal, des dirigeants, responsables d’institutions sportives et politiques, ministres, parlent également de folklore. Mais le folklore se termine par des morts, par des trafics en tout genre ou par des matchs truqués…

Pour moi, un footix n’est pas un mec qui est capable d’apprécier deux clubs rivaux. C’est surtout un mec qui est incapable d’expliquer l’origine de leur rivalité et qui suit bêtement le troupeau parce qu’on a décrété qu’il fallait être rival.

Oui, certains pays ont une forte culture foot ou la rivalité s’exprime de façon excessive. Mais ce n’est pas parce qu’il y a de la violence dans ces pays-là, qu’elle est acceptable et recevable. Ce n’est pas parce qu’une rivalité s’exprime par la violence, qu’elle est plus « vraie » ou légitime. On a aussi tous le droit d’évoluer avec les années et de voir le foot, comme quelque chose qui va bien au-delà du sport. Des évolutions sociétales, culturelles, politiques, historiques se font, et les gens doivent évoluer avec. Pour moi, un footix n’est pas un mec qui est capable d’apprécier deux clubs rivaux ; c’est un mec qui est incapable d’expliquer l’origine de leur rivalité par exemple, et qui suit bêtement le troupeau parce qu’on a décrété que l’autre était l’ennemi.

Quel est votre parcours de supporter de foot ? Qui vous a fait aimer le foot et comment avez-vous évolué ?

Dans les pays latins, on hérite souvent de nos clubs. Ma famille n’était paradoxalement pas dingue de foot, mais une grande partie d’entre elle avait de la sympathie pour le FC Porto. Un jour, j’étais tout gamin, lors de vacances au Portugal, j’ai demandé à mon grand-père : « Nous, on est pour qui ? ». Et il m’a dit « FC Porto ». J’ai pris ça comme acquis, presque comme une obligation. Puis quand je me suis vraiment intéressé au foot dans les années 90, il y avait très peu de joueurs portugais qui évoluaient en France. Pour moi, le foot a toujours été un moyen plus ou moins conscient d’être attaché à mes origines. Perso, comme mon père, j’adorais Rui Barros, il jouait à Monaco donc j’aimais bien Monaco. Il se trouve que c’était un joueur qui était passé par Porto, il est revenu à Porto quelques années plus tard. Et moi je me suis amouraché du club parce qu’il y est resté, puis est devenu entraîneur, superviseur et scout. J’avais (et j’ai toujours) un vrai amour pour Rui Barros. Récemment nous avons abordé ce sujet avec Daniel et Johan Crochet, du : peut-on être supporter d’un joueur, plutôt que d’un club ? Daniel pense que de plus en plus de gens supportent les joueurs avant de supporter les clubs. Moi, je pense que c’est quelque chose qui a toujours existé et j’en suis l’exemple. Pour moi, il n’y a pas de règle ou de tendance.

Comment avez-vous évolué ?

En fait, c’est un parcours personnel. Je me suis intéressé au Portugal, à la sélection qui loupe la coupe du Monde 1994 de façon dramatique, avec la finale de groupe contre l’Italie, où tout se joue en fin de match. Ensuite, je vis la coupe du Monde 98, spéciale pour moi et que je voulais célébrer. J’avais 15/16 ans. On se fait sortir en qualifs par un arbitrage terrible de Marc Batta qui met un rouge à Rui Costa au moment où il se fait remplacer. Derrière, le Portugal prend un but face à l’Allemagne et ne va pas à la coupe du Monde. Ce sont des années noires.

Mon évolution résulte de mon envie de comprendre pourquoi le Portugal, avec autant de bons joueurs, galérait autant en sélection. Des livres ont commencé à sortir sur cette notion de clubisme et cela m’a parlé. Par la suite, des clubs ont été mouillés dans des affaires judiciaires, notamment à Porto. Et je te dis la vérité, ça m’a dégoûté. J’ai vu le revers de la médaille du foot. Je n’étais pas dégoûté contre le club parce que les supporters n’y étaient pour rien. Mais je me suis dit qu’il ne fallait pas suivre bêtement. OK, Porto est le club de ma famille, mais maintenant je suis grand et c’est à moi de choisir. Et j’ai choisi de ne pas choisir.

C’est-à-dire ?

Je suis très humaniste et je crois en l’être humain. La base des institutions, la base du football, ce sont les supporters et les joueurs. Les présidents de clubs ont été supporters un jour, enfant, joueur amateur ou pro pour quelques-uns. Tout ce qui constitue les institutions, ce sont les hommes. Je suis socio du club de ma ville au Portugal, le Gil Vicente, plus par solidarité parce que c’est un petit club, parce que je connais les dirigeants, parce que j’ai de la famille qui est passée là-bas. C’est plus un soutien pour un petit club, dans un pays vampirisé par les trois puissances plutôt qu’une réelle conviction clubistique.

J’ai lu que vous aviez été socio de l’Union Berlin. C’est vrai ?

Je suis un passionné d’histoire, et j’ai une grande fascination pour les pays de l’ex-bloc de l’Est. J’aimais beaucoup le modèle de l’Union Berlin en Allemagne. C’est un club avec une histoire très difficile, mal aimé en Ex RDA, méprisé parce qu’il était le club du syndicat des travailleurs dont tout le monde se foutait. J’ai décidé de leur filer un coup de main, et d’être socio à l’époque où l’Union Berlin monte en Buli. En revanche, Gil Vicente ça fait plus de 10 ans que je paie mes cotisations

J’aimais beaucoup le modèle de l’Union Berlin en Allemagne. C’est un club avec une histoire très difficile, mal aimé en Ex RDA, méprisé parce qu’il était le club du syndicat des travailleurs dont tout le monde se foutait. J’ai décidé de leur filer un coup de main

Quel est le champ d’action et le pouvoir de décisions du socio ?

Le socio, qui paie sa cotisation et qui est à jour, est en droit d’assister et de voter aux assemblées générales et lors d’assemblées générales extraordinaires, de choisir le président du club. Dans certains clubs, ce sont les années d’ancienneté qui te donnent une part plus importante aux moments des élections. Un supporter qui a quinze ans d’ancienneté bénéficie d’un vote qui compte plus que celui qui est socio depuis deux ans. Le Benfica, un des clubs avec le plus de socios dans le monde, est en grande discussion pour réformer et revenir à un fonctionnement plus égalitaire : Un Socio = Un vote

Comment sont structurés les clubs au Portugal ?

Les premiers clubs sont nés au Portugal à la fin du 19ème et se sont structurés en association. Ce sont les adhérents qui ramènent l’argent. C’est ce qu’on appelle les socios.

Mais un club professionnel est obligé d’établir une société sportive. Ainsi, la structure d’un club portugais est la cohabitation :

  • Du club, dont le président est élu par les socios ;
  • De la société sportive, dont le club est obligé de détenir 15%

La gestion traditionnelle des clubs portugais, jadis propriété de leurs « socios », a évolué en 2013. Quel est le but de cette réforme ?

En France, le statut d’Association loi 1901 à statut renforcé apparaissait comme trop amateur et le foot français s’est professionnalisé. Au Portugal, nous avons une bonne quinzaine d’années de retard par rapport à la France et aux obligations des clubs professionnels d’adopter le statut juridique de société sportive.

Mais le Portugal a fait plusieurs constats : le premier que beaucoup de clubs de sport (football mais aussi le hand ou le basket) avaient du mal à constituer le capital social minimum obligatoire pour construire une société sportive (de 15% avant 2013). Ainsi, ils ont réduit ce pourcentage à 10% afin de ne pas décourager les investisseurs extérieurs. Ce n’est pas parce que le club détient au minimum 10% des parts de la société, qu’un investisseur va forcément acheter les 90%. Les choses peuvent être scindées, avec 20% ici ou là. L’objectif était donc de diversifier les investisseurs extérieurs.

Le second : énormément d’investisseurs étrangers ont racheté des sociétés sportives via des sociétés baignant dans des affaires de matchs truqués au Nigeria, en Chine, des sociétés détenues par des propriétaires, dont on ne connait absolument rien. Au Portugal, il n’y a aucun traçage sur les fonds qui sont investis au sein des sociétés. Cette question est l’une des priorités de la Liga Portugal et des pouvoirs publics qui sont toutefois confrontées à un dilemme : attirer des investisseurs pour ne pas laisser les clubs mourir, tout en veillant à les contrôler mais sans les décourager. Des clubs se sont retrouvés endettés. Ainsi, ils ont lancé un deuxième statut, la SDUQ, pour limiter les risques.

Au Portugal, il n’y a aucun traçage sur les fonds qui sont investis au sein des sociétés.

Quelles différences entre les deux statuts de la Société SAD ou SDUQ ?

Il existe deux modèles de sociétés possibles pour les sociétés de Sport :

  • D’abord, les Sociétés Anonymes Sportives (SAD) Traditionnelles, qui permettent les investisseurs extérieurs ;
  • La SDUQ où le seul actionnaire possible reste le club. Cela sous-entend que la société n’a pas le droit à l’apport d’investisseurs extérieurs au sein du capital de la société. L’avantage, le club est le seul décisionnaire des décisions de la société sportive. Mais l’inconvénient, il ne peut pas faire appel à des investisseurs pour se développer et doit nécessairement revoir son statut juridique pour cela.

Quels sont les clubs qui ont opté pour ce statut SDUQ ?

Les clubs qui ont adopté la SDUQ sont des clubs particuliers, qui n’avaient pas vocation à se faire acheter par des investisseurs. Je pense à l’Académica de Coimbra qui dans les années 1970, était composée essentiellement de joueurs de la faculté, une des plus anciennes du monde. Les joueurs étaient médecins, avocats en formation et jouaient pour le club. Le club a gagné des trophées et avait cette volonté de conserver ce côté à part. Un club comme Paços aussi, avec sa tradition populaire, a opté pour ce statut.

La SDUQ limite forcément le développement sportif. Quel avenir sur le long terme ?

Oui, beaucoup d’avocats et de juristes s’étaient interrogés à l’époque sur l’intérêt de la SDUQ. L’objectif était de protéger les clubs, d’accord. Mais il y a bien un moment où dans le développement de ces clubs, l’arrivée d’investisseurs extérieurs est indispensable.

Aujourd’hui, preuve en est, les quelques clubs en Liga qui avait opté pour la SDUQ sont en train de faire évoluer leur statut pour permettre l’arrivée d’investisseurs étrangers :

  • Paços de Ferreira
  • Mafra en D2 que Marcelo, le joueur du Real, veut racheter.
  • L’Academica, club historique en train de descendre en D3.
  • Rio Ave aussi où Fosun, propriétaire de Wolverhampton et proche de Mendes, veut mettre de l’oseille.

Finalement, ce deuxième statut qui a été créé en 2013 ne sert que peu puisque ceux qui l’ont adoptés veulent pour la plupart en changer.

Vous qui étiez Socio en Allemagne, que pensez-vous du modèle allemand ?

Les Allemands ont trouvé un compromis avec ce 50+1. Ils sont d’accord pour bénéficier d’investisseurs extérieurs mais il faut que le club ait la mainmise sur la société sportive. Ce modèle fait beaucoup parler au Portugal. Les clubs portugais essaient d’obtenir une majorité des parts au sein des sociétés parce qu’ils ne veulent pas se faire imposer le conseil d’administration et la politique du club. Mais d’un autre côté, les clubs subissent la réforme de la ligue de champions et du Fair-Play financier, qui va défavoriser les petits championnats.

Pouvez-vous développer ?

La nouvelle réforme du Fair-Play Financier limite les investissements en transferts des gros clubs. Les droits télés n’étant pas collectivisés (il le sera d’ici peu grâce à la volonté de la Liga et des pouvoirs publics), le championnat portugais est le championnat d’Europe (selon le benchmarking UEFA) qui dépend le plus des transferts. Les transferts sont la principale source de recette au Portugal. Si les gros clubs sont limités en transferts, cela revient à limiter les recettes des petits championnats.

Dans un pays à onze millions d’habitants, le développement de la formation et les sources d’investissements marketing sont foncièrement limités. Ainsi, il y a vraiment cette fatalité de se dire que les clubs vont continuer à former et vendre leurs joueurs, mais qu’ils ne pourront pas concurrencer les plus gros parce que les réformes des compétitions ne vont pas aider.

Hannover 96 / Borussia Mönchengladbach – Supporters de Mönchengladbach en 2018 – Source Cafecremesport

Ce modèle de 50+1 est-il la solution ?

En fait, il n’y a pas de modèle parfait. Il y a des réalités culturelles dans des pays. Mais au sein d’un même pays, des réalités culturelles différentes coexistent. Par exemple, l’histoire et la culture du Sporting n’est pas du tout celle du Benfica. Le Sporting était historiquement le club de l’élite et de l’aristocratie, le Benfica était le club populaire. Aujourd’hui en 2022, les supporters du Sporting sont issus de toutes les classes sociales, et idem pour le Benfica. Les réalités changent.

Peut-être que le modèle allemand est la solution. Mais même en Allemagne, le modèle ne fait pas l’unanimité, notamment avec Leipzig et Red Bull. En effet, ce modèle définit un comité de supporters qui vote l’arrivée d’un investisseur étranger. Mais quand Leipzig est créé, il n’y a pas de supporters puisqu’ils ont fondé un club de toute pièce. Ainsi, le club a fondé un « comité » qui est complètement bidon et tu te rends compte que tu peux complètement contourner le système. Le milieu du foot adore jouer avec les règles.

Quand Leipzig est créé, il n’y a pas de supporters puisqu’ils ont fondé un club de toute pièce. Ainsi, le club a fondé un « comité » qui est complètement bidon et tu te rends compte que tu peux complètement contourner le système.

Le socio a-t-il un pouvoir limité en fonction du statut du club ? Mais aussi selon qu’ils s’agissent d’un gros ou petit club ?

Le socio a un pouvoir sur le club, et indirectement sur la société sportive. Mais selon les parts que son club détient au sein de la société sportive, il aura plus ou moins de poids. Si la société sportive est une SDUQ, tu es tranquille car l’actionnaire unique est le club. En revanche si tu es une société anonyme sportive (SAD), tu acceptes les investisseurs extérieurs et tu t’exposes à avoir moins de pouvoir décisionnaire dans la société sportive.

Dans le football portugais, on parle toujours des trois mêmes clubs, qui vampirisent tout : les moyens et les ressources. Les droits ne sont toujours pas collectivisés. C’est le dernier pays d’Europe où c’est comme ça, parce que ça n’arrange pas les gros clubs qui veulent s’enrichir et laissent crever les autres à petit feu. Les socios ont un gros pouvoir au sein de ces petits clubs, vraiment. Mais cela fait dix ans que quand il faut voter à Gil Vicente, il n’y a qu’une seule personne qui se présente. Et c’est le cas dans 90% des élections au Portugal. Dans les petits clubs, personne ne veut être président. Il n’y a pas de moyen, ça va demander du temps, tu n’es pas rémunéré, tu es super exposé, et le boulot est super ingrat.

Dans les gros clubs, c’est l’inverse, tout le monde vient. Ce sont des promesses électorales, des vraies campagnes présidentielles, avec des programmes, des joueurs promis, des interviews : « Moi si je viens, ce sera lui mon coach, mon projet c’est ça, la formation sera développée, on va investir dans la Basket, dans le machin. On va garder, tel entraîneur, tel joueur sera vendu ». Et le clubisme qu’on attise par-dessus. Les élections sont un moment où les discours portent très souvent sur l’accusation de l’autre, une forme de populisme. Ce modèle est génial sur le papier. J’aimerais qu’il y ait de la pluralité mais elle n’existe pas suffisamment. Il y a des clubs qui ont du mal à exister à côté des gros, et à l’inverse dans les gros clubs, tu as tout…

Supporters d’Augsburg – Source Libération

Qui dit club et Société, dit deux gouvernances. C’est un risque, notamment en cas de désaccord. Quel est votre analyse de ce qu’est devenu le Belenenses en 20181 ?

Alors ça c’est une vraie bonne question. A partir du moment où le club est l’actionnaire majoritaire de la société sportive, le président du club est très souvent président du conseil d’administration. Par exemple, Rui Costa a été élu président du club de Benfica, et selon les parts détenus par chaque entité, les membres du conseil d’administration ont élu Rui Costa, président du conseil d’administration. En revanche, Belenenses, champion historique en 1947, a eu un des gros problèmes de trésorerie dans les années 2000. A l’époque, ils ont vendu les parts de la société pour 500 Euros à un investisseur extérieur qui est devenu l’actionnaire majoritaire de la société. Un protocole a été signé entre le club et la société pour que celle-ci puisse bénéficier de l’usufruit du stade qui appartient au club, tout comme l’écusson, l’histoire et le nom.

Belenenses SAD et son Estádio Nacional – Source jamor

Malheureusement, une brouille a éclaté entre la société et le club. Le club avait les cartes en main : soit la société payait ce que le club exigeait pour utiliser le nom, l’écusson, et le stade, soit il rompait le contrat et le club repartait en amateur avec leurs catégories de jeunes. Cela a été une longue bataille juridique. Aujourd’hui, l’équipe qui est en Liga Portugaise s’appelle Belenenses SAD pour bien mentionner qu’il s’agit de la société sportive. Le club historique Belenenses est reparti en division inférieure, en division régionale, avec son nom, son écusson, ses couleurs, son palmarès, son stade.

C’est terrible, Belenenses SAD est une coquille vide qui continue d’exister au niveau pro. L’équipe joue dans le vétuste Stade National construit sous Salazar. ll n’y a personne dans le stade ou presque, et ce club n’a aucune histoire. Alors, il pourrait s’en construire une, mais pourquoi le faire en s’accolant à celle d’une entité déjà existante ?

C’est terrible, Belenenses SAD est une coquille vide qui continue d’exister au niveau pro. L’équipe joue dans le vétuste Stade National construit sous Salazar. ll n’y a personne dans le stade ou presque, et ce club n’a aucune histoire.

Des modèles existent en France, comme à Bastia ou Guingamp, des initiatives d’actionnariat populaires. Qu’en pensez-vous ?

Bastia est vraiment un club à mettre à part, et est vraiment dans l’approche philosophique et quasi chimérique, romantique des socios. On repart au plus bas, à la base, on n’a pas d’oseille et les mecs qui vont nous soutenir, ce sont les mecs qui paient des cotisations. Cela me rappelle Barcelos. L’été dernier, ça faisait trois ou quatre ans que je n’étais pas allé au Portugal, j’avais des cotisations de retard que j’ai comblées. J’ai mon numéro de socio. On doit être 4000 ou 5000 socios et je suis le 700ème. Tu te rends compte. C’est une fierté, je contribue à faire tourner la boutique, à hauteur de 5€ par mois. Dans les petits clubs, les socios ont des partenariats avec des partenaires locaux, et contribuent à la vie économique locale. Si tu arrives avec ton carton de socio au Leclerc à Barcelos, tu paies moins cher ton essence à telle station-service. Derrière le système socios, il y a un vrai tissu économique et social. Il ne faut pas oublier que les clubs à la base étaient des lieux de sociabilité. Le foot contribue à améliorer nos vies, à créer du lien social en y allant avec les potes. Le soir ou le lendemain, nous en discutons avec les potes aux cafés… En retour, les clubs essaient de t’aider au quotidien avec leurs partenaires.

Numéro 1 sociétaire de Gil Vicente décédé en Janvier 2022 – Source Jn

Un modèle Socios en France, qu’en pensez-vous ?

Moi je suis fan du principe des Socios. Mais après, beaucoup de paramètres entrent en ligne de compte comme la réalité juridique de chaque pays. Le modèle du Barça ou Real est impossible au Portugal par exemple. Comment envisagerait-on cela en France ? Est-ce que le modèle constituerait un garde-fou, ou est-ce juste pour faire de la démagogie, avec des investisseurs riches qui ont envie de faire du business et qui s’achètent la paix sociale en donnant 10% des parts ? Ce n’est pas parce que tu auras des socios que tu auras un réel contre-pouvoir…

A minima sur les choses importantes du club comme l’écusson, les couleurs non ?

Ça dépend du statut du club, mais ils sont souvent ainsi faits, oui. Tu as raison. J’ai souvenir de Saragosse en Espagne qui voulait changer d’écusson. Entre les deux écussons, on ne voyait pas la différence. C’était l’épaisseur d’une ligne. Il a fallu passer par le vote des socios. On ne touche pas au écusson, au nom, et aux couleurs du club sans l’accord des socios. Le nombre de changements d’écussons en France, ça me rend dingue. D’ailleurs, on ne dit plus écusson mais logo ce qui veut tout dire à mon sens. Tous les ans, tu as un changement d’écusson : Paris, Nantes, Sainté… Mais si vous faites ça au Portugal ou en Espagne, ça provoque un tollé incroyable. Celui du Benfica, il y a une roue de vélo, c’est un peu Old School. Celui de Porto est super chargé et complètement anachronique. Mais les gens te disent que c’est l’histoire. C’est pareil pour les couleurs de maillot. Benfica joue à domicile en rouge et blanc. En 2020, les dirigeants ont tenté une modification du maillot en changeant le blanc par du noir, ce qui était plutôt élégant en soi. Résultat : tollé, un groupe de socios s’étant levé pour stipuler que c’était contraire au statut du club.

Finalement, les socios sont un garde-fou contre ces initiatives ?

Oui, mais ce n’est pas parce que tu n’as pas de socios que ces choses ne peuvent pas être respectées. L’Angleterre, pays du football, a inventé ce sport, mais aussi le professionnalisme, les transferts, le business : tout ce que les puristes du XIXème siècle auraient appelé les dérives. Et pourtant, eux n’ont jamais eu le modèle des socios comme mode de fonctionnement institutionnalisé. Et pourtant, les Anglais ont un respect de l’histoire et de la culture. Je me souviens de Cardiff qui avait été racheté par un investisseur étranger qui avait changé la couleur et l’écusson. Il était passé du bleu au rouge, il avait changé l’hirondelle pour mettre un dragon. Les mecs lui ont dit « Qu’est-ce que tu fais ?». Finalement, il a rétropédalé en avouant être allé un peu trop loin.

En Angleterre, ils savent que, quel que soit le modèle juridique, l’histoire club, la base de tout, c’est l’humain. Aucun club ne peut avoir une substance et une histoire, sans avoir de supporters et de l’humain derrière, car tout se véhicule par l’émotion. Les supporters d’aujourd’hui seront les dirigeants de demain, les investisseurs de demain. Les mecs qui vont vouloir aller au stade, vont vouloir devenir dirigeants. Moi qui milite contre les excès du clubisme, j’ai trouvé dingue que Eyraud dise « On avait un problème à l’OM, c’est que tous les salariés étaient des marseillais ». Les mêmes personnes vont t’expliquer que la culture américaine est géniale car ils ont la culture de l’entreprise « I LOVE my compagnie ». Mais qui peut plus aimer sa société qu’un supporter socio d’un club, qui vit bosse et transpire H24 pour son club et qui travaille pour lui ?

Le nombre de changements d’écussons en France, ça me rend dingue. D’ailleurs, on ne dit plus écusson mais logo ce qui veut tout dire à mon sens. Tous les ans, tu as un changement d’écusson : Paris, Nantes, Sainté… Mais si vous faites ça au Portugal, ça fait un tollé incroyable.

Abordons les ultras, présents au Portugal. Comment se situent-ils par rapport aux Socios ?

Au Portugal, les ultras sont très présents et au-delà des trois gros clubs. A Guimarães, ils sont très importants et influents. A Braga, ils ont pris beaucoup de poids ces dernières années, idem au Boavista. Les groupes de supporters sont obligés de se déclarer juridiquement. Au Benfica, il y a un groupe est très connu et non officiel. Il y a une impunité totale depuis des années sur ce sujet. Pourquoi ? Parce que le président du club sait que c’est un électorat important. Le modèle des socios est aussi celui de l’électoralisme. C’est une grosse dérive. Les présidents flattent l’égo de leurs ultras, flattent leurs délires et parano parfois, pour les mettre de leurs côtés en vue des présidentielles. Il peut y avoir chez les groupes de supporters la peur de perdre un pouvoir, surtout que certains sont salariés du club, plus ou moins de manière officielle. Mais les ultras ont un gros pouvoir décisionnaire, surtout dans les gros clubs puisqu’ils ont un pouvoir de vote et donc un pouvoir d’influence.

Le modèle des socios est aussi celui de l’électoralisme. C’est une grosse dérive. Les présidents flattent l’égo de leurs ultras, flattent leurs délires et parano parfois, pour les mettre de leurs côtés en vue des présidentielles.

Les ultras sont donc socios en tant qu’individu et non pas en tant qu’association de groupe de supporters ?

Un socio = une personne. Quand un supporter veut adhérer à un groupe de supporters, il doit payer sa cotisation. Et ces groupes de supporters peuvent négocier avec les clubs pour avoir des tarifs préférentiels. Le club conditionne les tarifs préférentiels aux personnes qui sont socios. En définitive, les ultras cumulent les deux : socios et Ultras.

Existe-t-il une association des socios ou supporter au Portugal ?

Oui, une association représente les groupes de supporters. D’ailleurs, elle a été assez active récemment, lorsque le nouveau gouvernement a voulu lancer l’initiative du « carte du supporters ». Les supporters en déplacement étaient dans l’obligation d’avoir cette carte où figurait leur identité. L’association est montée au créneau pour dénoncer le côté anticonstitutionnel de cette mesure, puisque le supporter est libre d’aller à un déplacement et la carte d’identité doit pouvoir suffire à les identifier. D’autant plus qu’avec l’achat des billets sur les plateformes numériques, l’identité est révélée. En plus ça donnait lieu à des absurdités. En effet, les supporters étaient dans l’obligation d’être parqués dans l’espace visiteur, mais ces parcages étaient interdits au personnes de moins de 16 ans. On se retrouvait avec l’exemple concret de familles en déplacement qui vivaient des trucs ahurissants : tu es supporter de Vizela qui vient de monter, tu vas à Guimarães à 5 bornes de chez toi, donc théoriquement dans le parcage visiteur. Mais si tu es accompagné de ton enfant de 14 ans, tu dois le laisser dans la tribune, mais sans écharpe et sans maillot du club visiteur…

Cette loi a été retoquée, jugée anticonstitutionnelle et contre les libertés individuelles. Cette fameuse association de groupe de supporters a pris beaucoup d’épaisseur pendant cette longue période juridique.

Cette initiative visait à lutter contre la violence dans les stades. C’est un phénomène récurrent ?

Effectivement, il y a beaucoup de fait divers et de violence dans les stades ces dernières années, pas forcément en lien avec le mouvement ultra. Violence sous toutes ses formes : racisme, violences physiques, verbales, vis-à-vis des arbitres, des supporters, des joueurs, avec des cas terribles ces dernières années. La Ligue essaie depuis des années de lutter contre cette violence grandissante.

Avec cette mesure « carte du supporter », la ligue souhaitait identifier les fauteurs de troubles. Quoi de mieux que d’avoir des gens encartés, avec des places attitrées ? Mais la démarche a été imposée et très mal expliquée.

Des graves incidents ont eu lieu au Sporting Portugal en 2018. Comment ont-ils été perçus et quelles conséquences ont-ils eu sur l’image du foot, des ultras et auprès de la ligue ?

Ces incidents ont suscité une grosse vague d’émotion. Certains supporters trouvent les scènes animées ou motivées par les Ultras aberrantes, d’autres s’identifient à ça et trouvent que ça fait partie du folklore, certains arrêtent d’aller au stade parce qu’ils trouvent que c’est devenu trop violent. Il n’y a pas une réalité mais plusieurs réalités.

La ligue lutte depuis des années contre ces violences, notamment contre les prises de paroles des dirigeants qui ont tendance à attiser la haine et le La ligue lutte depuis des années contre ces violences, notamment contre les prises de paroles des dirigeants qui ont tendance à attiser la haine et le clubisme. Je lisais récemment un communiqué du Sporting qui dégommait le Benfica, l’autre jour c’était Benfica qui s’en prenait à Porto. Il n’y a pas un jour sans communiqué contre un arbitre, une institution, ou un club rival. Et après, certains te disent que c’est le folklore. Et quand ces actes de violence se produisent, c’est quoi ? Il faut comprendre que quand on attise la haine en permanence dans le dialogue, dans le discours de la part de dirigeants qui sont censés incarner la moralité, on légitime la violence. On aboutit à des dérives qui deviennent culturelles, historiques, et face auxquelles, on ne peut plus lutter de façon efficace.

Nous tenons à remercier chaleureusement Nicolas pour sa grande disponibilité et souhaitons bonne continuation sur RMC Sports. N’hésitez-pas à le suivre sur Twitter ou sur RMC Sports.

Sources et références

1 – Extrait de Wesportfr

JM