ALL-IN sur Puel : Quand la finance dicte le sportif de Saint-Etienne

Après deux mois de compétition, l’ASSE pointe à la 20ème place du classement, avec quatre points au compteur, zéro victoire et cinq défaites en neuf rencontres. La tension est à son comble autour du club, notamment chez les supporters qui s’écharpent sur les responsables de cette situation. En effet, il semble compliqué d’apporter de la mesure sans se faire taxer de Pro ou anti-Puel, et pro ou anti direction. Autant de joutes verbales qui témoignent d’une radicalisation des sujets dans le football, vendeuse dans les médias mais clivante pour les amoureux des verts, dans une période où le club a plus que jamais besoin de soutien.

Si Claude Puel a débuté son aventure verte en 2019 lors d’un derby à Geoffroy-Guichard, l’histoire stéphanoise a bien failli tourner court un dimanche soir d’octobre 2021 contre ce même adversaire lyonnais. L’égalisation de Wahbi Khazri sur pénalty dans les arrêts de jeu est venue récompenser une équipe stéphanoise valeureuse et donner un peu de sursis à l’entraîneur castrais. Mais pour combien de temps ? L’ASSE a-t-elle les moyens de licencier Claude Puel aujourd’hui ? C’est une autre question.

L’ÉCHEC DE L’APRÈS CHRISTOPHE GALTIER

Faisons un bond quelques saisons en arrière. Nous sommes le samedi 20 Mai 2017, l’ASSE s’incline 3/1 à Marcel Picot, et Christophe Galtier dispute son dernier match en tant que coach de l’AS Saint-Étienne. Après neuf saisons sur le banc des Verts et la traditionnelle réflexion estivale autour de son avenir, Galette va bel et bien prendre son envol et quitter le nid stéphanois. Commence alors le plus dur pour Roland Romeyer et Bernard Caiazzo : Remplacer le coach qui a ramené le club en coupes d’Europe et sur la voie du succès, notamment le titre de la coupe de la Ligue en 2013,et le retour du succès dans le derby. C’est à mon sens le début des ennuis.

Oscar Garcia, la première erreur ?

Le choix se porte sur Oscar Garcia, ancien entraîneur du Red Bull Salzbourg. L’aventure du catalan en terres foréziennes sera de courte durée, celui-ci posant sa démission après une défaite historique contre le voisin lyonnais 0/5 à Geoffroy Guichard. Les dirigeants optent alors pour Julien Sablé, dont l’intérim ne durera quelques matchs avant que l’opération sauvetage ne soit confiée au duo Jean-Louis Gasset et Ghislain Printant (18ème journée, 16ème avec 20 points).

La situation sportive dicte la politique financière. Le duo Jean-Louis Gasset/Ghislain Printant fait fonctionner ses réseaux et conclue le renfort de Mathieu Debuchy, Yann M’Vila, Paul-Georges Ntep et Neven Subotic au mercato hivernal. Rarement l’ASSE n’aura eu ces dernières années des joueurs de ce calibre et de cette expérience internationale. Les effets sont immédiats et plus qu’espérés : L’ASSE s’éloigne de la zone rouge et finit l’exercice à la 7ème place. Les joueurs qui ont œuvré à redresser la barre du navire en deuxième partie de saison sont invités à continuer l’aventure : Ainsi, après Mathieu Debuchy, c’est au tour de Yann M’Vila de signer un contrat longue durée avec un salaire à 250 000 euros bruts mensuels. L’ASSE surfe sur cette nouvelle dynamique et continue sa politique de recrutement XXL : Wahbi Khazri arrive en provenance de Sunderland (290 000 € bruts mensuels), Rémy Cabella est définitivement transféré au club (6m€ de transfert et un salaire avoisinant 100 000 € bruts mensuels), Yannis Salibur et Timothée Kolodjeziak arrivent en prêt.

Si sportivement Sainté fait bonne figure en terminant à une belle quatrième place en fin de saison, le club a basculé dans un modèle économique qui le dépasse. L’après-Galtier raté et les dix-huit mois de l’ère Gasset ont mis le club dans une situation délicate financièrement. Et quand Jean-Louis Gasset décide de ne pas continuer l’aventure à l’intersaion, l’ASSE se retrouve dans la même situation qu’en 2017 après le départ de Christophe Galtier, avec en plus, une contrainte supplémentaire :

  • Trouver le remplaçant durable de Jean-Louis Gasset ;
  • Assumer une masse salariale beaucoup plus importante.

Ghislain Printant, la deuxième erreur ?

Assurer une continuité dans le staff, en nommant Ghislain Printant n°1, ou tourner la page d’une belle parenthèse enchantée ? C’est la question à laquelle les dirigeants ont dû trancher pendant l’intersaison. Ils ont opté pour une continuité, avec l’appui important des cadres du vestiaire. L’histoire retiendra que ce n’était peut-être pas le bon choix. Personne ne peut présager qu’avec un autre entraîneur, l’histoire fût tout autre. Toujours est-il que Ghislain Printant est remercié après huit journées (13ème au classement) et Claude Puel est nommé manager général et entraîneur de l’AS Saint-Étienne, accompagné de son ancien adjoint à Leicester, Jacky Bonnevay.

PUEL OU LE VIRAGE A 180°

A l’image de Jean-Louis Gasset, Claude Puel vient sauver la maison verte. A une différence près : Ce n’est pas la santé sportive qui dicte la politique financière mais bien l’inverse : En effet, il n’y a pas spécialement le feu d’un point de vue sportif mais la situation se tend financièrement : Les dix-huit mois de sauvetage de luxe version Jean-Louis Gasset ont laissé des traces et la crise sanitaire qui frappe de plein fouet le monde du football fait des dégâts : Saison à huis clos, perte de revenu Ticketing, report des droits télés, et désengagement de médiapro.

Un directeur sportif de qualité

En engageant Puel, l’objectif du club est assez lisible : Il faut réduire la voilure. Le club va devoir se séparer progressivement des gros contrats, capitaliser sur les quelques bons jeunes du centre de formation, et vendre à prix fort les jeunes talents. Ce n’est pas le sportif qui guide le financier mais bel et bien l’inverse :

A son arrivée, Puel découvre un effectif composé de :

  • Joueurs plutôt en fin de carrière et dont l’attitude avait été déjà remise en cause par Debuchy à l’époque de Ghislain Printant ;
  • Jeunes joueurs qui apprennent leurs métiers et qui n’ont pas encore le niveau ligue 1.

A ce titre, son expérience du plus haut niveau, son exigence et sa capacité à construire avec les jeunes en font un atout considérable pour ce changement de politique Low Cost. Toutefois, Puel n’est pas un grand communiquant et apparait de toute évidence clivant dans un vestiaire où plusieurs générations se côtoient. L’altercation avec Stéphane Ruffier est révélatrice de la situation au club, entre un gardien peu enclin à la remise en cause qui fait parler son agent dans les médias, et un entraîneur intransigeant qui n’hésite pas à écarter un joueur à gros salaire ou à l’attitude inappropriée. Et comme l’ASSE n’arrive pas à trouver une porte de sortie aux joueurs à gros salaires, les joueurs réintègrent le groupe. A ce titre, Timothée Kolodjeziak, bien avant Ryad Boudebouz ou Whabi Khazri (loin de son poids de forme il fût un temps), était également passé par la case réserve avant de refaire son retour dans le groupe. En termes de gestion et de facteurs humains, on y repassera…

Ainsi, près de 60% de l’effectif de 2019 a quitté le club aujourd’hui. On pense principalement aux joueurs prometteurs du centre de formation Wesley Fofana (40m€) et William Saliba (30m€), mais également à la liste des joueurs en fin de contrat qui n’ont pas été renouvelé, allégeant ainsi la masse salariale : Stéphane Ruffier, Loïc Perrin (retraite), Mathieu Debuchy (fin de contrat), Kevin Monnet-Paquet (fin de contrat), Papis Cissé (retour de prêt), Leo Lacroix (prêt), Yann M’Vila (Transfert), Yoann Cabaye (Fin de prêt), Lois Diony (prêt), Franck Honorat (5m€) ou encore Sergi Palencia (prêt)

Aux rayons des arrivées, l’ASSE aura enregistré cinq renforts par rapport à l’effectif de 2019 : Yvan Maçon (350 000€) et Jean-Philippe Krasso arrivés respectivement de Dunkerque et Epinal, Adil Aouchiche (premier contrat pro en provenance du PSG), mais également Yvan Neyou (400 000€ du Portugal), Boubacar Fall et Ignacio Ramirez (Prêt).

Avec un budget revu à la baisse à hauteur de 25% par rapport à 2021, Saint-Etienne figure comme le meilleur élève au rayon des restrictions budgétaires de ligue 1 entre 2020 et 2021. Si d’un point de vue financier, l’ASSE tient le cap, qu’en est-il du sportif ?

Un bilan sportif insuffisant

Si nous analysons froidement les chiffres, force est de constater que le compte n’y est pas. Après deux ans et demi à la tête du club, l’ASSE a terminé les deux derniers exercices :

  • A la 17ème place, saison stoppée à la 28ème journée pour cause de COVID ;
  • A la 11ème place l’année dernière, après s’être bagarrée toute la saison dans le bas du classement.

Aujourd’hui, le club est désormais lanterne rouge de ligue 1 après 9 journée alors qu’elle possède le 9ème budget de ligue 1.

Avec une moyenne de 1,08 points par match depuis son arrivée au club, Claude Puel a la plus mauvaise moyenne de points pour un entraîneur des Verts ayant dirigés au moins 50 matchs dans l’élite.

Des chiffres toutefois à pondérer en fonction des saisons, surtout pour l’année 2021 avec un calendrier particulièrement compliqué où l’ASSE a affronté en neuf journées le champion de France en titre Lille, ainsi que Monaco, Lyon, Marseille, Lens, Montpellier Nice, respectivement 3ème, 4ème, 5ème, 7ème, 8ème et 9ème de la saison dernière. Aujourd’hui, débute un nouveau championnat, avec cinq adversaires à la portée du club pour redresser la barre : Strasbourg, Metz, Angers, Clermont et Troyes.

Un effectif limité pour un maintien mal embarqué

L’ASSE possède un des effectifs les plus faibles de ligue 1, composé pour la plupart de joueurs peu confirmés avec une moyenne d’âge de 23 ans, moyenne la plus faible depuis dix ans au club.

A titre d’exemple, Mickaël Nadé jouait en nationale à Quevilly l’année dernière et a été titulaire à cinq reprises cette saison. Outre la moyenne d’âge, l’effectif compte un nombre médian de match d’élite particulièrement faible : 17 matchs cette année, contre 160 en 2014/2015). Ceci signifie que 50% de l’effectif a joué moins de 17 matchs et 50% a joué plus de 17 matchs de championnat de première division dans leur carrière. Nous avons comparé cette donnée avec les valeurs des effectifs de Marseille et Nice, réputés jeunes cette année. Cette valeur atteint le chiffre de 34 pour Marseille et 41 pour Nice.

Plus inquiétant, l’ASSE va devoir lutter pour le maintien avec des équipes plus expérimentées : Les effectifs nantais ou brestois ont un nombre médian de matchs de première division respectif de 75 et 50 matchs. C’est entre trois et quatre fois plus que l’effectif stéphanois. Seuls Clermont ou Troyes ont des valeurs plus faibles que l’ASSE. Toutefois, ces équipes surfent sur la montée en ligue 1, aux effectifs homogènes, et composés de joueurs aguerris à la ligue 2. Tout ce qui manque à Sainté actuellement.

Entraîneur en difficulté et peut être dépassé ?

Depuis son arrivée, Claude Puel ne dispose toujours pas d’un onze type. La plupart des joueurs brillent davantage en entrant en cours de match qu’en étant titulaires et les absents ont toujours raison. Par ailleurs, le coach tâtonne tactiquement (4-4-2, 4-2-3-1) et enchaîne les choix qui questionnent : L’option de la défense à trois, le fait d’utiliser Denis Bouanga en poste de piston gauche, le choix de se séparer de Beric en surévaluant ses alternatives au sein même du club avec Whabi Khazri en pointe ou Charles Abi en 9). D’un point de vue du jeu, l’ASSE propose parfois des séances de jeu intéressantes, notamment face aux grosses équipes, mais le jeu est trop scolaire et prévisible. Cette incapacité à capitaliser ses temps forts offensivement et son inefficacité dans les deux surfaces en font aujourd’hui un candidat sérieux pour la relégation.

Le poste et les responsabilités de manager de Claude Puel l’inscrivent sur la liste des premiers responsables de cette situation. Toutefois, il ne doit pas exclure l’échec des présidents qui ont failli à plusieurs reprises :

  • Lors de l’après Christophe Galtier en optant pour Oscar Garcia ;
  • Lors de l’après Jean-Louis Gasset, politique qui a plombé les finances du club ;
  • Lors du remplacement de Jean-Louis Gasset par Ghislain Printant ;
  • En choisissant Claude Puel, avec une rémunération importante. Il est normal qu’un manager soit payé à hauteur d’un gros joueur du club, à condition de pouvoir s’en séparer. Aujourd’hui, Claude Puel est difficilement licenciable à ce jour ;
  • En s’exprimant peu sur la situation du club et en sous-traitant la politique générale du club à l’entraîneur ;
  • En s’immisçant dans des transferts, notamment Roland Romeyer et son intervention lunaire à la télévision égyptienne dans le cadre du transfert avorté de Mostafa Mohamed

Une communication bancale

La communication est un exercice délicat, qui dépend beaucoup des sujets mais aussi du public visé. A mon sens, l’ASSE cible deux types de supporters à travers sa communication :

Tout d’abord, le club adresse aux « perruques vertes », aux supporters du passé ou nostalgiques de 76, et auxquels les présidents ne cessent de faire référence à travers les valeurs de la mine, la solidarité ou la formation dans l’ADN du club. Au détail près que l’ASSE était le club le plus riche de France à l’époque. Si Robert Herbin a quitté Nice et rejoint le centre de formation en 1957, ce n’est pas uniquement pour les beaux yeux de Pierre Garonnaire ou les paysages enneigées du Pilat. Claude Puel ne manquera pas de faire référence à la formation du club lors de son arrivée à Saint-Étienne et d’évoquer comme objectif la ligue des champions sous trois ans (rires).

Mais la grande majorité de la communication de l’ASSE se fait sur les réseaux sociaux et se résume à promouvoir la marque ASSE, notamment le centre de formation, qui serait rempli de pépites et dont le futur se destinerait à celui de Wesley Fofana, William Saliba ou Kurt Zouma. On notera que les trois joueurs cités sont défenseurs centraux. Qu’en est-il du secteur offensif ? Quel est le dernier attaquant formé à Saint-Étienne et dont le club a profité durablement mis à part Bafétimbi Gomis ? Par ailleurs, ces trois joueurs ont quitté le club après quelques matchs de ligue 1, faisant de son centre un outil économique, plus que sportif. Le portier Etienne Green portera-t-il encore la tunique verte l’année prochaine ? Cette réalité vient mettre du plomb dans l’aile au fantasme d’avoir une équipe de 11 « matrus » sur le terrain.

J’avoue être assez décontenancé par autant de story-telling pendant les périodes de mercato et autant de médiatisation autour des jeunes joueurs. Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos : Le cas Lucas Gourna et Adil Aouchiche. Le premier est très jeune et bénéficie d’un temps de jeu déjà intéressant pour son âge. Mais qu’il soit comparé à des joueurs internationaux en dit long sur l’exigence des nouvelles générations et une méconnaissance de l’histoire de ce club. Le second exemple est Adil Aouchiche. Convaincu par Claude Puel de rejoindre l’ASSE, il devrait poursuivre sa phase d’apprentissage dans l’ombre afin de devenir un bon joueur de ligue 1. Au lieu de cela, il fait l’objet de montage vidéo sur ses meilleures actions, qui témoignent surtout d’une vision individuelle du foot d’une génération de supporters « FIFA ou Football Manager », plus intéressés par les futures bascules financières que par les performances sur le terrain.

En faire un nouveau « Zidane » alors qu’il n’a pas encore le niveau ligue 1, est une erreur. Les trajectoires de nombreux anciens « futur Zidane » devraient appeler à la prudence.

En s’adressant habillement à ces « supporters du passé » et aux nouvelles générations sur les réseaux sociaux, l’ASSE oublie une grande partie des supporters du présent, auxquels je m’associe, et qui souffrent actuellement. Personnellement, je n’ai aucun besoin d’élément de langage en référence au passé glorieux ou qu’on me survende un futur basé sur un centre de formation de haut niveau dont le club ne profitera jamais sportivement. J’aurais souhaité un discours éclairé et transparent sur la politique du club depuis deux ans et sur la zone de turbulences que le club allait logiquement traverser. J’étais même prêt à entendre que le club cherche un modèle et que sa place à long terme n’est peut être plus de jouer le top 10 en ligue 1. Mais ne demeurons pas dans le passé, ne rêvons pas de la future vente à laquelle Bernard Caiazzo et Roland Romeyer travaillent activement en coulisse, concentrons notre esprit sur le moment présent et la lutte pour sauver notre peau en ligue 1.

JM