

Avocat fiduciaire, Didier Poulmaire est intervenu en tant que conseiller de Frank McCourt dans le cadre du rachat de l’Olympique de Marseille en 2016. Dans un long entretien, il revient sur son rôle auprès de l’ancien dirigeant marseillais, analyse l’échec Jacques-Henri Eyraud, et aborde l’enjeu pour les supporters de demain : Entrer au capital des clubs.
Pouvez-vous présenter en quelques mots votre parcours ?
Après l’obtention de mon baccalauréat scientifique, je suis parti à l’institut politique d’Aix-en-Provence où j’ai fait des études de sciences politiques avec une spécialisation relations internationales.
Ensuite, j’ai fait une licence de droit à Paris. Après avoir fait un 3ème cycle de droits des affaires et fiscalité et droit privé, j’ai réussi l’examen du Barreau de Paris pour devenir avocat.
Êtes-vous supporter de football d’un club en particulier ?
Je ne suis pas supporter d’un club et je ne pense pas l’avoir été un jour, mis à part à la grande époque des Verts dans les années 70 en Coupes d’Europe où j’en ai gardé des grands souvenirs.
J’ai toujours aimé également le Liverpool F.C. Quand j’étais gamin, il y avait un certain gardien de but Ray Clemence à l’époque de Kevin Keegan. Comme j’étais aussi gardien, je me suis identifié à lui et à ce club.
J’ai toujours aimé également le Liverpool F.C. Quand j’étais gamin, il y avait un certain gardien de but Ray Clemence à l’époque de Kevin Keegan. Comme j’étais aussi gardien, je me suis identifié à lui et à ce club.


Vous êtes avocat spécialisé dans le domaine de la gestion fiduciaire dans le sport. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre rôle auprès de vos clients ?
Depuis mes jeunes années, je suis avocat dans le sport. J’ai conseillé notamment un champion de karting Jean-Christophe Ravier. Je suis donc rentré dans le milieu du sport par ce biais-là. Puis de fil en aiguille, j’ai été amené à conseiller des clubs de football, des joueurs et d’autres acteurs du monde du sport, très différents : Football, Tennis, Sport auto, Voile, Cyclisme…bref là où il y a de l’économie.
Je suis actuellement avocat fiduciaire ce qui est l’équivalent du trustee en anglo-saxons
Qui sont vos clients principaux ?
Dans le sport, on travaille souvent à partir de projets qu’il faut essayer de structurer. On intervient là où il y a des enjeux juridiques et financiers, notamment sur le droit à l’image. Nous travaillons également pour des Fédérations sportives qui font appel à nous pour notre capacité à structurer et créer des contrats et des plateformes d’exploitation de l’image.
Il nous arrive également d’accompagner des sponsors dans leurs investissements dans le domaine sportif. Et bien entendu, la face visible de l’iceberg : nous accompagnons des personnes qui veulent faire l’acquisition de club de football.
Les joueurs ont également la tentation d’utiliser leur image sans réelle cohérence pour en faire un juteux business, et finalement de se disperser de leur métier premier : Penser et jouer au foot.
En termes de droit à l’image, Zlatan Ibrahimovic s’est plaint en son nom propre qu’il n’avait pas accordé son droit à l’image au jeu FIFA. Pensez-vous que les droits à l’image des joueurs de football sont amenés à devenir individuels ?
Sur les droits à l’image des joueurs, si on regarde un petit peu la photographie d’ensemble des joueurs, certains ont des revenus très importants. Cela peu choquer certains mais c’est vrai qu’ils ont des carrières courtes et qu’il y a des vrais arguments liés à l’explosion du business dans le sport qui peuvent justifier ces niveaux de rémunérations élevés qui sont les leurs.
Mais les joueurs ne doivent jamais oublier la chance qui est la leur de bien vivre de leur passion car cela n’est pas non plus donné à tout le monde. Parallèlement, beaucoup de gens qui se lèvent le matin ont un travail peu intéressant et peu rémunéré, à l’image du salaire moyen/médian en France assez bas.
Alors certes footballeur, c’est un vrai métier mais ils ont la chance de vivre de leur passion, et il y a beaucoup d’argent qui a été investi ces dernières années dans le football également lors de la pandémie pour avoir une protection salariale. Bien entendu, on peut toujours faire mieux, mais je pense que leur situation est confortable.
Quel est votre travail pour la gestion de l’image ?
Sur la gestion de l’image, notre travail est double : on essaie d’optimiser la valeur de l’image et de la sécuriser, c’est-a-dire de protéger en quelque sorte les joueurs contre eux-mêmes. Avec les salaires qui sont les leurs, beaucoup de gens gravitent autour et essaient de mettre la main sur leur patrimoine, parfois certains proches. Ils ont également la tentation d’utiliser leur image sans réelle cohérence pour en faire un juteux business, et finalement de se disperser de leur métier premier : Penser et jouer au foot.
Notre travail est vraiment de permettre au joueur de trouver le bon équilibre entre le football et les activités commerciales dérivées du football, lui permettre de se concentrer uniquement sur son jeu, ses entraînements et s’assurer que l’économie qu’il y a autour de lui fonctionne de façon harmonieuse. Ceci nous occupe beaucoup de temps au quotidien.
Vous avez participé et conseillé monsieur McCourt lors de l’achat de l’OM en 2016. Quel fut exactement votre rôle lors de cette vente ?
J’avais déjà travaillé pour Frank McCourt avant cette opération notamment sur l’acquisition qu’il avait faite dans l’univers de l’équitation, en achetant un circuit mondial de Jumping.
Quand son désir d’investir dans un club de football est apparu, j’ai trouvé intéressant de lui présenter le projet de l’OM pour savoir s’il était éventuellement intéressé et s’il avait la volonté de s’investir dans ce club. J’étais donc plus dans le conseil stratégique.
Quand son désir d’investir dans un club de football est apparu, j’ai trouvé intéressant de lui présenter le projet de l’OM pour savoir s’il était éventuellement intéressé et s’il avait la volonté de s’investir dans ce club. J’étais donc plus dans le conseil stratégique.


Les rumeurs de la vente de l’OM sont toujours persistantes malgré le démenti de monsieur McCourt. Selon vous, ces rumeurs sont-elles fondées ?
C’est très difficile à dire. Il y a toujours beaucoup de bruit et de rumeurs dans le football, encore plus quand cela concerne l’OM. Mais si je peux prendre comme exemple l’opération que nous avons effectuée pour l’achat de l’OM par Frank McCourt, la confidentialité est souvent quelque chose de très efficace. Nous avons conduit l’opération le plus discrètement possible et le nom de McCourt est sorti uniquement quand nous avons signé.
J’ai vraiment tendance à penser qu’il y a une prime à la discrétion. Après, certaines discussions ou pourparlers peuvent fuiter, mais il n’y a rien de plus efficace que travailler dans la discrétion et être « sous les radars ».
Comment expliquez-vous ce fantasme des supporters de l’OM pour cette vente alors notamment aux saoudiens ?
Le fantasme n’est pas la vente en réalité. Je ne pense pas que les supporters vont au stade en pensant au propriétaire du club. Le supporter est là pour partager des émotions, soutenir son club et vivre quelque chose en famille ou entre amis. Derrière cette idée récurrente de vente, on sentait surtout que les gens n’étaient pas satisfaits de ce qui se passait au club, en termes de spectacle et de performance. N’oublions pas qu’une famille de quatre personnes qui va voir un match, c’est tout de suite une grosse dépense et on n’en parle pas forcément. Le supporter paye un ticket et veut la victoire de son équipe, du beau spectacle, vivre de l’émotion et que ses enfants soient contents.
De manière plus générale, le club est selon moi un bien commun. Le public dans les stades construit l’image du club, l’accompagne au quotidien. Quelque part, le club appartient aussi à ses supporters. Je pense vraiment que les supporters ont un rôle à jouer dans la manière dont le football va se développer dans le futur. Les financiers ont trop tendance à les considérer comme des clients et non comme des supporters.
J’ai eu l’occasion de parle aux représentants des supporters Girondins qui sont très actifs et bien structurés. Je pense qu’un ou deux se reconnaitrons d’ailleurs. J’ai pu me rendre dans leur local pour échanger avec eux. C’est là qu’on sent la puissance du football.
Derrière cette idée récurrente de vente, on sentait surtout que les gens n’étaient pas satisfaits de ce qui se passait au club, en termes de spectacle et de performance.
La famille Dreyfus à conserver 5% des parts de l’OM. Plus récemment R. Romeyer a évoqué dans l’émission Top of the Foot sa volonté de conserver un pourcentage du club malgré la future vente de l’A.S Saint Etienne. Quel intérêt pour un propriétaire de conserver un si faible pourcentage du capital du club ?
Il peut y avoir plusieurs intérêts.
De manière générale, il y a une dimension affective forte. Dans ces cas précis de Marseille ou Saint-Étienne, quand on s’investit autant que ce soit financièrement ou sur la durée, cela génère beaucoup d’émotions, et la famille propriétaire s’attache nécessairement au club. Il y a aussi la volonté de se dire que si le club va mieux après la vente, on reste encore un peu dans l’histoire du club. C’est quelque chose de très compréhensible et ça dénote aussi un trait de caractère des personnes qui vivent dans cette économie du sport : La dimension affective est très forte dans un club de football. C’est une entreprise c’est vrai, mais vraiment ce n’est pas une entreprise comme une autre.


Qu’est ce qui diffère ?
On peut être attaché à une entreprise. Moi je suis attaché à la mienne par exemple et chacun peut avoir un attachement en rapport avec sa vie professionnelle. Mais dans ce cas précis, il y a ce petit quelque chose qui dit, que même si on vend un club de foot, on a quand même envie de rester encore dans l’histoire du club s’il y a réussite.
Si un jour Marseille ou Saint-Étienne venait à gagner une coupe d’Europe, ces gens qui ont donc été propriétaires pendant un temps, voudront aussi que l’on reconnaisse qu’ils ont été une partie cette histoire. Ils ont envie de se dire « j’ai contribué à ma manière ». Cela caractérise la puissance de l’émotion, et c’est une force.
Ça peut aussi être un inconvénient.
Bien sûr, cela peut être également un inconvénient. Quelquefois des propriétaires qui n’ont plus de moyens s’accrochent quand même à leur « jouet ». La difficulté qu’ont certains propriétaires qui n’ont plus les moyens à tourner la page est quelque fois problématique. Je reste persuadé qu’il y a des gens qui sont accros aux émotions que procurent le foot et un club de football c’est vraiment proche d’une addiction à une drogue.

Quel est votre avis sur Jacques-Henri Eyraud lors de son passage à l’OM ?
C’est quelqu’un de professionnel et mon sentiment est qu’il est allé à l’OM pour bien faire. Je n’ai aucun doute la-dessus. Mais la difficulté à laquelle il a été confronté, c’est qu’un club de foot n’est pas une entreprise comme une autre et il n’avait pas d’expérience en la matière ni sans doute la sensibilité qu’il faut avoir pour bien comprendre toute la dimension humaine et affective d’un club de football.
Je me répète mais c’est une conviction personnelle. Un club de football est un bien commun. Et ce n’est pas parce que vous êtes propriétaire d’un club que vous avez tous les droits, notamment juridiquement. N’oublions pas que la société commerciale (celle qui fait l’objet de transactions d’achat/vente entre personnes privées) qui gère le club ne détient pas elle-même le numéro d’affiliation qui lui donne le droit de participer aux compétitions C’est la structure associative qui est détentrice de ce numéro et qui le lui met à disposition par contrat de manière à permettre à la société commerciale permet de s’inscrire aux compétitions. C’est un signal très fort. La société commerciale n’est donc pas propriétaire du numéro d’affiliation sportive.
On le voit bien pendant la pandémie. C’est quoi un club de football sans supporter ? C’est quoi jouer dans un Vélodrome si vous n’avez pas le soutien des virages ? Qui chante ? Que faites-vous s’il n’y a plus les tifos ? Ce n’est plus le même sport. Un club se nourrit de la présence, de l’action et de l’investissement de chacun. Chacun mettant ce qu’il veut ou peut mettre pour quelque chose de commun : L’envie de gagner et la passion. C’est une caractéristique forte qui dans mon sens va nous conduire à réinterroger la nature juridique de la propriété dans le sport et c’est un sujet passionnant.
Il a donc oublié cette partie-là pour vous ?
Non pas complètement. Mais Jacques-Henri Eyraud n’est certainement pas le premier à avoir pu penser que l’on n’est pas propriétaire totalement d’un club même si on détient la société commerciale qui le gère à 100% sur le plan juridique. Parce que justement un club est un bien commun, c’est une propriété un peu partagée entre tous. Si vous sous-estimez la nécessité de tous les acteurs (y compris les collectivités qui sont propriétaires des stades) à participer à la bonne marche du club, vous risquez de prendre un retour de bâton qui peut être assez douloureux. C’est ce qu’il a vécu.
Si vous sous-estimez la nécessité de tous les acteurs, y compris les collectivités qui détiennent les stades, à participer à la bonne marche du club, vous risquez de prendre un retour de bâton qui peut être assez douloureux.
Quel est votre ressenti sur les débordements à la commanderie ?
On parle de Marseille, mais de fortes tensions sont nées dans beaucoup de clubs à Saint-Étienne, Bordeaux, Nantes. Ces supporters n’ont pas envie de subir quelque chose qui ne leur ressemble pas. C’est grâce à leurs soutiens que des clubs ont réussi à construire leur histoire. Quand on voit les supporters Girondins qui ont traversé l’Europe pour voir leur équipe jouer dans les pays de l’Est, en Turquie etc…ça donne de la force au club. C’est une erreur de sous-estimer le rôle concret que les supporters ont dans le football. Il ne faut pas qu’ils soient considérés comme des clients mais comme des parties prenantes légitimes dans les clubs.
Heureusement, ce n’est pas partout pareil. Il y a des revendications fortes certes mais avec des actions pacifiques. C’est en partie pour ceux-ci que je plaide pour des formats de socios et pour que les supporters soient présents dans la gouvernance des clubs. Il faut utiliser des règles du jeu démocratique et les règles du jeu corporate du droit des sociétés, pour être au sein de ces sociétés afin que les supporters aient des droits et puissent s’exprimer à l’intérieur du fonctionnement du club. Je condamne fermement toute violence car on ne résout rien avec la violence. Ce n’est pas un avocat qui va dire le contraire.

Le modèle socios, c’est le fantasme des supporters. Mais en France, c’est possible ?
On prend souvent l’exemple espagnol comme référence. Personnellement, je préfère l’exemple anglais. Ces pays ont prouvé que la présence des supporters dans des associations du club fonctionne. En Espagne ça fonctionne très bien, même si ce ne sont pas eux qui amènent l’argent bien entendu. Mais ils sont un élément de pérennité, de stabilité et de contre-pouvoir qui fonctionne parfaitement.
Si on entend par socios, la reconnaissance du rôle et de l’importance des supporters dans un club, oui j’y crois et il est essentiel. Ce modèle apporte aussi une autre vertu que les propriétaires de club ne voient pas toujours : La responsabilisation des supporters. En effet, les supporters sont amenés à se prendre en main pour comprendre le fonctionnement du club, l’économie du football : C’est un élément de responsabilisation, de prise de conscience de ce qu’est devenue l’économie du football et c’est vertueux.
Dans un entretien, Christophe Bellanger de Rouen nous a informés que vous étiez entrés en contact avec « les culs rouges de Rouen » spontanément afin de les aider. Pourquoi avez-vous fait cette démarche ? Et quel est votre rôle ?
Oui je suis entré en contact avec eux car j’aime beaucoup cette idée que des socios peuvent jouer un rôle. J’ai le plaisir d’accompagner l’association « les Culs rouges de Rouen » qui sont présents en capital du club à hauteur de 22%. C’était intéressant de travailler avec eux, de leur faire prendre conscience des outils à disposition pour grandir au sein du club. Aujourd’hui, ils sont minoritaires mais demain ils pourraient devenir majoritaires.

Est-il réalisable qu’un ou des investisseurs puissent, par le biais d’une association reconnue d’utilité publique et grâce à un montage financier, prendre une partie ou la Majorité des parts d’un club de L1 ou de L2 ?
Oui, je pense que c’est possible. Certaines commencent d’ailleurs à émerger avec ce qu’il vient d’être introduit dans le droit français : la S.C.I.C. Elle permet de gérer un club sans forcément en faire un objet de profit.
Une structure de socios avec des moyens et des personnes motivées et convaincues peuvent prendre le contrôle d’un club notamment dans les divisions inférieures. J’en suis persuadé. A termes, il pourrait bien y avoir aussi des personnes intéressées pour les clubs d’échelon supérieur.
Bastia a opté pour ce statut S.C.I.C. Que pensez-vous de ce statut et quels sont ses avantages et inconvénients ?
J’en pense le plus grand bien. Ce statut permet de réunir plusieurs familles dans des catégories différentes et qui peuvent avoirs des intérêts divergents. Comme je le disais, la recette du « tout profit » ne peut pas être la principale raison de créer une S.C.I.C parce qu’il faut réinvestir une grande partie du résultat. Il n’y a pas de possibilité de faire de l’argent et cela facilite grandement l’arrivée des schémas de socios au niveau professionnel.
Je vois dans la S.C.I.C un moyen de loger au capital d’un club de football professionnel une structure pour « regrouper » les supporters sous toutes ses formes.
Pensez-vous que par le biais de l’association, des entreprises ou des investisseurs potentiels aient droit à une défiscalisation comme les adhérents de l’association ?
Je n’ai pas creusé le point. Ces critères sont très précis et je ne les ai pas en tête. C’est peut être une piste à creuser mais je ne pense pas qu’en l’état cela soit le cas.
Ce genre de projet est-il faisable via une SASP ?
Oui mais avec ce schéma ce sera une opération commerciale beaucoup plus classique. Pour le football tu peux le faire en format SASP, mais je pense que le format d’une S.C.I.C est quand même très bien adapté.
Que doit-on changer pour qu’un tel projet se concrétise concrètement ?
Les changements doivent se faire à tous les niveaux.
Les collectivités détenant le stade, elles ont forcément un rôle à jouer. Il faut qu’elles se mobilisent.
Les supporters de football qui ont les moyens et il y en a en France, doivent investir dans ces entreprises, que ce soit en National ou au plus haut niveau en L1. Il y a de la place pour les passionnés qui viennent de manière rationnelle pour aider le sport. Le but premier d’un club n’est pas de faire des profits, mais de gagner et de faire le spectacle. Ceux qui viennent dans le football juste pour spéculer en repartiront un jour ou l’autre, car on sait que cela n’est pas compatible avec les valeurs du sport et avec son ADN.
Ce qu’il faut désormais, c’est une régulation afin de trouver un modèle harmonieux faisant coexister le football, les valeurs du sport, le soutien populaire, et ne pas oublier qu’il reste aussi une économie. Bref, un rééquilibre des choses.
Le législateur s’est-il trompé en passant les clubs d’un statut associatif à un statut d’entreprise sportive ?
Je considère toujours que les choses ont un sens et que si cela s’est fait dans cet ordre, c’est qu’il y a une raison. Je ne reviens généralement pas sur le passé. Prenons-le comme tel.
On est passé d’une certaine forme d’amateurisme à un niveau de professionnalisme avec des moyens élevés et une approche du football très capitaliste. On observe les excès de ce format actuel. Ce qu’il faut désormais, c’est une régulation afin de trouver un modèle harmonieux faisant coexister le football, les valeurs du sport, le soutien populaire, et ne pas oublier qu’il reste aussi une économie. Bref, un rééquilibre des choses.
Existe-t-il un frein culturel en France ?
Pour le moment, il existe surtout un frein psychologique des propriétaires qui voient les supporters souvent comme des sources de problèmes. Selon moi, c’est là qu’ils se trompent. Les supporters sont une forme de richesse.
Ce genre de projet est sans nul doute l’opportunité de pérenniser le club et de le rendre plus puissant.
Comment faire pour que la culture française devienne « socio compatible » ? Cela passe par des changements importants non ?
Il faut que les collectivités publiques prennent conscience que les socios sont un plus et il faut que les nouveaux propriétaires soient ouverts à ce genre de projet. Le meilleur moment pour lancer ce genre de projet est au moment de reprise d’un club, je pense notamment à Saint-Étienne ou Bordeaux par exemple. Si ce n’est pas fait au niveau de la vente, c’est très difficile de le mettre en place après. Il faut savoir saisir ces opportunités-là.
En parallèle, les supporters doivent apprendre à se structurer par eux-même, comprendre que cela se met en place par des structures et par des canaux et qu’il y a des règles du jeu, qu’il faut les respecter. Cela les mettra de facto en face des propriétaires. Il y a certainement une phase de responsabilisation des supporters, c’est vrai. En revanche les supporters ont vraiment tout à gagner.

Selon vous, la vente d’un club est donc le moment adéquate pour instaurer un projet socio ?
Oui, c’est le moment idoine quand il y a un appel d’offres et surtout plusieurs candidats. Il faut savoir valoriser les socios et s’en servir comme moyen de pression pour favoriser le candidat que les supporters veulent. Il faut parvenir à en faire un critère de sélection du futur repreneur. C’est une manière très concrète de vérifier si le futur acquéreur fait juste l’investissement pour lui, ou s’il le fait pour le club. S’il vient pour le club, il sait qu’il devra faire une place aux supporters. S’il vient pour lui, il aura une réticence à ouvrir son capital aux supporters.
Vous feriez donc participer des supporters à la vente du club ?
Oui je leur donnerais l’opportunité de se faire leur opinion et de nouer un accord avec un repreneur. Il n’y a rien qui oblige l’un des candidats à dire « j’ai un accord avec une association de socios ou futur socios » voire même des associations de supporters…
Nous avons des outils juridiques pour permettre cela. Aujourd’hui on peut sceller un accord entre des futurs potentiels acquéreurs et des supporters pour que les supporters pèsent sur le choix du vendeur comme cela aurait pu être le cas à Bordeaux via le tribunal. Je pense même que c’est une nécessité, car si vous subissez les choses, après c’est plus compliqué de le dire. Alors que si vous avez eu l’opportunité d’être dans l’histoire et d’avoir des droits, vous pourrez peser dans le mode de fonctionnement du club pour que vous soyez entendu.
J’ai eu des sujets de discussions avec un représentant des Ultras Bordelais à ce sujet notamment, on n’a pas toujours été d’accord mais je pense que cela mérite d’être creusé. Je ferais le parallèle avec l’histoire de la super League. Ce sont les supporters qui ont contribué à retirer le projet, pas les instances. Les supporters sont les gardiens du temple du football. Ils n’agissent pas par intérêts, ils agissent juste pour leur club et parce qu’ils se reconnaissent dans celui-ci.

Comment faire pour que les supporters deviennent des socios ?
La différence principale entre les supporters et les socios est que les socios ont vraiment leur destin en main. Ils se disent : « nous sommes vraiment un élément de stabilité du club et de pérennité du club ». Comme en Angleterre, avec l’exemple de Tottenham où vous avez des trusts. C’est exactement ce que je fais. Ce sont des fiducies. Vous pouvez aujourd’hui avoir au sein du capital une forme structurée qui permet aux au supporter d’être entendus, d’avoir des canaux de discussion, du droit de la capacité à défendre des positions…
Être supporters, c’est formidable hein, je ne dis pas le contraire. Mais désormais, nous sommes dans la cours des grands, avec des enjeux qui sont colossaux. Et les financiers qui sont arrivés dans le foot sont des gens très sophistiqués, avec beaucoup de moyens et de nombreux avocats. Il faut que les supporters se donnent les moyens aussi de rentrer dans ce jeu-là qui est très complexe c’est vrai. Ils seront toujours supporter, mais en plus ils auront cette capacité à dialoguer et être reconnu par les dirigeants.
J’avais notamment cette discussion avec les un représentant d’Ultras dans un club. Je les compare souvent à un syndicat. Les grands syndicats pèsent face aux patronats. Grâce à la structuration de la représentation collective, un syndicat a un intérêt. On peut préférer bien sûr des modes plus libres ou plus anarchiques, mais personnellement je préfère des modes plus structurés et organisés.
J’avais notamment cette discussion avec un représentant d’Ultras dans un club. Je les compare souvent à un syndicat. Les grands syndicats pèsent face aux patronats..
Pourquoi les propriétaires actuels sont si frileux ?
Je pense qu’il y a deux raisons :
La première : Comme il n’y a aucun canal de discussion vraiment structuré et que les règles du jeu ne sont pas claires, cela engendre des excès qui effrayent. Les propriétaires se disent « On ne va jamais y arriver, ils sont fous furieux et ils ne veulent rien entendre ». C’est vraiment dommage car c’est la désorganisation actuellement en place qui conduit à ces excès. Ces excès sont perçus comme la finalité alors qu’ils sont en réalité la conséquence de cette désorganisation.
La 2ème raison concerne la notion de confidentialité de certains sujets, notamment sur les transferts. Vous ne pouvez pas tout partager sur la place publique. Si tout se sait, cela peut paralyser une partie de votre club. C’est ce sujet de confidentialité et de gouvernance techniques qui peuvent faire peur.
Que répondez-vous à ces craintes ?
C’est là que je réponds en tant que technicien : « nous on sait faire ». Aujourd’hui, on sait créer un mode de représentation qui permet de garantir la confidentialité. Les clubs aujourd’hui n’ont pas de raison de ne pas mettre en place des schémas de socios à la française.
D’ailleurs si cela ne vous dérange pas, je préfère donner un autre nom que « socios » alors inventons un terme ensemble. Je préfère supportAIRES. Oublions les socios et vive les supportAIRES, ceux qui sont et seront propriétaires de leur club à la française.
Je préfère donner un autre nom que « socios » alors inventons un terme ensemble. Je préfère supportAIRES. Oublions les socios et vive les supportAIRES, ceux qui sont et seront propriétaires de leur club à la française.
Comment arriver à trouver un équilibre entre supporters et propriétaires ?
Il faut arriver à cet équilibre entre les gens qui investissent, qui ont des attentes légitime et qui veulent avoir un retour sur investissement et les supporters. C’est l’un des enjeux de ces dix prochaines années.
Ça ne fonctionnera que si chacun fait preuve de respect. Le principal problème est cela. Le football est un catalyseur « du tout pour sa gueule ». Ce n’est pas propre uniquement au football mais à la société.
On a oublié le respect, la bienveillance et je pense que si on réintroduit du respect, de la bienveillance et de l’écoute, on peut aboutir à des choses intéressantes. Vos lecteurs vont se dire « Poulmaire c’est un poète, il fait de la poésie et il a oublié que c’est un avocat ».
Non, je n’oublie rien. Je double ces valeurs qui sont également les miennes, d’outils qui permettent de s’assurer que l’équilibre, ce respect, ces valeurs, sont bien les règles du jeu communes des protagonistes. C’est mon métier d’établir ces règles du jeu, des règles de fonctionnement, des règles de gouvernance permettant de garantir un équilibre. C’est ce qu’on appelle l’affectio societatis en termes juridique : Le fait de vouloir faire ensemble.
Croyez-vous possible qu’un groupe de supportAIRES puisse obtenir une subvention de l’état ?
Ça va être compliqué. Je ne pense pas qu’il faille compter sur l’état. On voit que le sens de l’histoire n’est pas celui-là, et que l’état ainsi que les collectivités ont tendance à se décharger de responsabilités vis-à-vis des clubs notamment via la vente des stades qu’elles ont en gestion.
Il ne faut pas trop compter là-dessus. En revanche, que l’état mette en place un arsenal législatif légal qui soit protecteur et gardien du temple du sport, ça j’en suis intimement convaincu. L’état et les collectivités qui sont intéressés doivent jouer un rôle dans le mode de fonctionnement pour obtenir un équilibre des règles du jeu. Quelque part, le sport continue à avoir une vocation sociale : Le sport, ça fait du bien, ça rend heureux et meilleur. Il permet de vivre des émotions communes, de réunir des gens qui ne se verraient nulle part ailleurs. Moi, je suis pour protéger et sanctuariser les stades. Je pense que les clubs sportifs de demain joueront un rôle essentiel en tant que « bien commun ».
Le monde devient de plus en plus coopératif au sein des entreprises notamment. Vous pensez que ce genre de modèle est l’avenir ?
Oui. Dans la société de tous les jours, ce modèle est de plus en plus courant. Je ne demande pas non plus au supportAIRE de gérer un club au jour le jour. C’est un vrai métier. En revanche, il est important de s’exprimer pour les grosses décisions. Il faut qu’ils fassent part de leur vision des choses.
Croyez-vous que des sponsors « nouveaux » peuvent être attirés par un système coopératif dans le football pour associer leur image à des projets différents ?
J’en suis convaincu. Des nouveaux sponsors vont émerger avec des nouvelles formes d’intérêts économiques dans le football lié à ce schéma différent.
Dans le football moderne, il existe aussi une rivalité économique entre les clubs. Ce genre de modèle peut-il faire la différence pour se démarquer des autres clubs ?
Tout à fait. Ce système ne doit pas être conçu pour ça bien sûr. Mais cela peut avoir comme conséquence une fracture : D’un côté, des clubs qui auront la recherche des gains à tout prix. De l’autre, des clubs avec une dimension non commerciale ou peu commerciale. Personnellement, je crois aux « entreprises à mission », aux entreprises qui ont un but, qui annoncent ce qu’elles ont et où elles vont. Je pense que les clubs devraient être des « entreprises à mission »
Êtes-vous pour ou contre la super League ?
Je suis contre la super League car elle est une transposition maladroite, déplacée et injustifiée, sans forme de réussite d’un modèle américain qui est né d’une culture du sport, d’une histoire du sport qui n’a rien à voir avec la nôtre Européenne. Toute cette transposition d’un circuit fermé n’a aucun sens en Europe.

Pourquoi cette super League a-t-elle fait un flop ?
Elle a pensé qu’avec l’argent, on achetait tout alors que dans le sport ce n’est pas l’argent qui compte. On n’achète pas le sport, le sport c’est un bien commun.
Il y a eu en Angleterre une fronde populaire envers certains propriétaires des clubs de football comme Arsenal ou Manchester United. Que pensez-vous de ce mouvement de contestation ?
Je les remercie d’avoir fait ce qu’ils ont fait. Je n’ai pas vu d’autre mouvement d’opposition et je dis BRAVO.
Les supporters, dans le bon sens qui les caractérise, voient un business qui se monte dans leur dos. Ils tolèrent tant que cela ne touche pas les valeurs même de leur sport. Mais à partir du moment où vous touchez à ces valeurs, ils se mobilisent. Les Européens aiment qu’il y ait une prime au mérite, aime que les gens méritent ce qui leur arrive, comme Quevilly qui va en finale de la Coupe de France. Ils ne veulent pas que l’argent règle tout. Alors effectivement, l’argent qui règle tout fonctionne dans beaucoup de secteurs économiques. C’est comme ça. Mais le sport n’est pas une économie comme les autres et l’argent n’achète pas les résultats sportifs. Cela ne marche pas sinon le PSG aurait déjà gagné la Ligue des Champions.
La Superleague est une transposition maladroite, déplacée et injustifiée, sans forme de réussite d’un modèle américain qui est né d’une culture du sport, d’une histoire du sport qui n’a rien à voir avec la nôtre Européenne. Toute cette transposition d’un circuit fermé n’a aucun sens en Europe.
La fameuse incertitude du sport…
Oui. Il faut laisser la place à la glorieuse incertitude du sport qui fait que quand vous entrez dans un stade, même si c’est le PSG en face, vous pouvez l’emporter.
Le sport, c’est aussi la surprise du résultat, les belles histoires et les émotions partagées. C’est pour ça que les gens aiment le sport. Vous imaginez si seuls ceux qui ont l’argent se racontaient des histoires entre eux ? Sans compter qu’au-delà de ces aspects qui relèvent des valeurs et de convictions, il ne faut pas oublier que c’est l’U.E.F.A, association internationale qui organise l’arbitrage. Imaginez une seconde une société commerciale qui veule organiser l’arbitrage. On peut vite aller dans des dérives, un risque que le « tout business » ait un impact sur la qualité de l’arbitrage…
Êtes-vous favorable à une Ligue à 16 ou 18 clubs ?
Je n’ai pas d’avis sur cette question. Je vois les arguments des uns et des autres mais franchement je ne sais pas. A chaque fois qu’on réduit le nombre de clubs, on met un peu du monde de côté. Il serait plus simple d’amener de l’argent au club plutôt que d’enlever des clubs.
Il y a de l’argent en France et de l’investissement dans notre pays. Mais il faut donner envie à ceux qui n’ont pas encore investi dans le football de le faire. Là est le vrai challenge.
Avez-vous des relations avec les élus locaux ?
Oui, j’ai de plus en plus de relations avec les élus locaux et je suis de plus en plus sollicité par ceux-ci. Ils veulent être conseillés notamment dans la transition pour les clubs en vente.
Entretenez-vous des discussions avec différents organismes de supporters comme l’association nationale des supporter ou fans Europe (FSE)?
J’ai co-animé une conférence sur le sport qui a été mis en place par le secrétaire au sport de l’époque, Thierry braillard. On avait entendu différentes organisations qui représentent les supporters. Je pense que c’est bien qu’ils soient entendus. Il faut que ces initiatives perdurent. Je serais ravi d’échanger à nouveaux avec eux.
Dernière question : Auriez-vous un conseil si jamais un de nos lecteurs voulait mettre en place des supportAIRES dans son club ?
Je lui conseille surtout de venir me voir (rires). Le principal est d’y croire, ne jamais penser que c’est impossible et se souvenir : « c’était impossible et c’est pour cela qu’ils l’ont fait ».
Nous tenons à remercier chaleureusement Didier pour sa grande disponibilité et lui souhaitons bonne continuation dans la suite de ses projets.
JM & Jerem