PRO – Entretien avec Jean-Marie LANOË – Partie 2

Jean-Marie Lanoë et Raymond Kopa - Source Photo Presse Sports

Deuxième partie de notre entretien avec Jean-Marie, qui dresse un regard, sans concession, sur son métier et son évolution.

Si vous deviez donner une définition du journaliste, quelle serait-elle ? Qu’est-ce que vous préférez faire ?

Est-ce que je raisonne en fonction de ce qu’est le boulot aujourd’hui, ou de ce qu’était la presse quand on était jeune et beau ? Le boulot a tellement changé. La bonne définition est peut-être la version officielle des écoles de journalisme. Mais d’une, je n’ai pas fait d’école, et de deux, j’ai progressé à un moment où cinq médias se battaient en duel. Il y avait un besoin de raconter, ce que nous journalistes, nous voyions et vivions. C’est ce que j’ai toujours préféré faire et que j’affectionne toujours. Raconter, rencontrer, relater, témoigner.

Pour moi, l’essence du métier et de mon épanouissement est dans le déplacement. Ça rejoint la géographie qu’on évoquait en première partie. Je détestais couvrir les clubs parisiens. Aller au camp des loges était une punition, couvrir le Red Star ou le Racing, ça me faisait chier. Je ne demandais qu’une chose : prendre le train pour aller à Auxerre, partout, mais pas à Paris. Ce n’est pas une bonne indication pour le métier de journaliste. Le vrai journaliste doit prendre son pied quoi qu’il fasse. Ce n’était pas mon cas. Encore une fois, je n’ai pas été formé à ce boulot, j’ai beaucoup de cases en moins, certaines en plus – je pense notamment un recul sur la profession. Mais aussi beaucoup de manques par rapport à ce qu’on demande au journaliste.

Comme le professeur que vous étiez, on peut dire que vous êtes un conteur d’histoires ?

Oui, je suis plus un conteur d’histoires. J’aime bien les mots, le vocabulaire, le ressenti. J’aime faire ressortir ce que je ressens, que ce soit verbalement ou par écrit. Le côté émotionnel et sentimental m’importe plus que la réalité objective de chiffres et de faits. C’est comme ça que je fonctionne. J’ai toujours dit « l’info je m’en fous ». Alors c’est très dommageable pour moi mais j’ai passé l’âge et je suis tranquille. Mais, on me fait travailler en fonction de mes qualités et mes défauts. Et mon vrai défaut est de ne pas aller assez vers l’info.

L’info d’aujourd’hui, je la trouve nulle, souvent grotesque et du coup, comme je la ressens comme telle, elle ne m’intéresse guère.

Comment jugez-vous les médias actuels ?

L’info d’aujourd’hui, je la trouve nulle, souvent grotesque et du coup, comme je la ressens comme telle, elle ne m’intéresse guère. Je vois des gens qui pensent un peu comme moi, mais qui vont quand même aux émissions de télévision pour soutenir un avis et polémiquer. Mais le foot ne peut pas être polémique puisque quelque part, ce n’est pas une science exacte. Je ne dis pas qu’on ne peut pas en parler, mais le traitement actuel et le prisme par lequel est vu le foot aujourd’hui par RMC, BFM, Canal me donnent la nausée. Jamais je n’irai me balader sur ces plateaux. Tout d’abord, parce que je ne connais pas assez bien les dossiers, et que je n’ai pas envie de les connaître. Et puis parce que je ne suis pas invité. Et si je l’étais, je potasserais mes archives et j’aurais une position mesurée, et ce n’est pas celle qu’on souhaite.

Quelles sont les qualités requises sur lesquelles on ne peut transiger ?

D’abord, il ne faut pas être flemmard. Il n’y a qu’en allant vers les autres que tu réussis à choper des infos ou des idées de sujets. Il faut cette volonté d’ouverture, être culotté, ouvrir ses yeux et ses oreilles pour être le plus objectif possible. Et il ne faut pas avoir perdu cette âme à soixante balais. J’ai vu tellement d’anciens rester dans leur chambre.

J’ai grandi dans la belle époque de la presse écrite. Tu pouvais, et c’est ce que j’appréciais, essayer d’être objectif, tout en exprimant un peu ce qu’on avait dans le ventre : Avoir un style, une patte que l’on reconnaissait. Après, certains journalistes avaient un tel style qu’ils déformaient complètement la réalité et racontaient n’importe quoi. Alors c’était super bien écrit, mais ils écrivaient que ce qu’ils avaient envie d’écrire. Et à l’époque, tu n’avais aucun moyen de vérifier ce qu’il racontait.

Jean-Marie Lanoë, Laurent Wetzel et Jean-Paul Oudot – Source Photo Presse Sports

Justement, vous avez en tête des erreurs ?

Oui. Je me rappelle de la Coupe du monde en Italie en 1990, où un ancien journaliste était présent, alors qu’il n’avait pas le permis. Il restait dans sa chambre toute la matinée, couvrait l’Allemagne et ne parlait pas un mot d’allemand. Les allemands ne parlaient pas à la presse et c’est Rainer Kalb, notre correspondant, qui lui faisait des petits topos. Mais un jour, sort une interview exclusive de Jürgen Klinsmann. Nous savions que ce journaliste n’avait jamais croisé Klinsmann. Et dans les questions posées à Jurgen, Et le journaliste faisait mine qu’il avait été en contact : « Au fait Jurgen, votre combat pour les verts, vous qui êtes écolo ? », ce à quoi répond Jürgen « Je vois que monsieur est bien informé ». (Rires)

Nous étions estomaqués par autant de culot. Mais plus grave, plus loin dans le papier, il faisait dire à Klinsmann qu’il était content de sa première saison à l’inter et moins de la seconde. Or, Klinsmann n’avait joué qu’une saison à l’Inter. Alors tu as le droit de te tromper, ça peut arriver, mais en n’aucune façon Klinsmann n’avait pu lui dire ça. C’est un mensonge et il a été pris la main dans le sac. On a quand même appelé le responsable pour avertir du truc, ce à quoi on nous a répondu « Je vous trouve bien sévère, voilà ». Très longtemps, les anciens on les protégeait. C’est une autre époque. Je raconte cette histoire très connue dans le milieu pour bien montrer quels aspects pouvaient revêtir certains excès à l’ancienne.

La pluralité des médias a eu du positif…

Oui, la multiplication des médias aura au moins recentré sur la probité des journalistes.

Selon une enquête de 2014, le métier de journaliste était l’un des plus détesté en France. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Je pense que c’est amour / haine. Beaucoup de gens qui détestent le métier de journaliste aimeraient être à notre place. Chez les jeunes, je reçois plein de courriers, de fils de potes qui me demandent comment faire pour devenir journaliste. Une nouvelle culture est apparue depuis l’avènement des jeux vidéo et du football sur internet. Je connais plein de jeunes journalistes de vingt ans qui connaissent mille fois mieux le foot que j’ai pu connaître… Là où on collectionnait les vignettes Panini, eux ils sont 24/24 sur les outils, internet et connaissent sur le bout des doigts les équipes, les transferts et les dossiers. Cette nouvelle culture donne envie aux gamins de devenir journalistes.

Vous avez beaucoup voyagé en tant que reporter. Le métier est-il le même en France et à l’étranger ? Existe-t-il une différence d’approche journalistique suivant le pays dans lequel il est exercé ?

Oui il y en avait. Selon moi, le pire était de voyager en Angleterre, même si mon pote Biedermann ne serait pas d’accord. Mais en étant Monsieur Manchester, Érik est devenu Anglais. A partir du moment où tu es spécialiste, les choses sont peut-être plus simples. Mais quand tu y allais de temps en temps comme moi, tu montais en tribunes, le téléphone n’était pas prêt alors que la demande avait été faite quinze jours avant. En Angleterre, c’était compliqué de faire son boulot, il fallait hurler pour avoir son accréditation ou son téléphone.

Jean-Marie Lanoë et Bernard Lacombe – Source Photo Presse Sports

Vous n’étiez pas spécialisé sur une région du monde ?

Avant la démolition du, j’étais devenu le spécialiste des pays de l’Est. A la base, c’était Victor Sinet qui s’y collait mais j’ai pris la relève quand il a commencé à faire moins de déplacements. J’ai donc voyagé en Tchécoslovaquie, en URSS, en Roumanie, en Yougoslavie, en Hongrie, en Allemagne de l’Est pour Leipzig / Bordeaux avec les débuts de Battiston. C’était compliqué pour avoir un téléphone.

Après la chute du mur, L’Équipe et France Foot avaient un tel retentissement dans les pays de l’Est qu’on nous ouvrait les portes et on était les rois du monde.

Qu’en est-il de l’approche des journaliste étrangers. Sont-ils journaliste supporter ?

Oui, il y a des journalistes qui sont très supporters. Je me souviens de déplacement en Turquie ou Grèce où tu te faisais presque agresser par ce que tu étais d’un bord différent que le journaliste en question. Alors que moi, je n’en avais rien à foutre, et les journalistes français non plus. Je me rappelle de confrères turcs qui applaudissaient l’entraîneur quand il passait en salle de presse. Ils étaient complètement inféodés à l’équipe nationale ou à l’équipe qu’ils couvraient.

J’ai toujours su que Mitterrand avait été décoré par le Maréchal. Les médias ont fait en sorte de ne pas en parler parce que Mitterrand leur avait demandé de ne pas évoquer le sujet.

Comment se positionnent les français par rapport aux anglosaxons ?

En France, on a toujours été un peu plus inféodé que dans les pays Anglosaxons, et ce dans tous les domaines. En politique, c’est pareil. Mitterrand et la Francisque de Pétain, ma mère le savait en ayant fait la guerre et j’ai toujours su que Mitterrand avait été décoré par le Maréchal. Les médias ont fait en sorte de ne pas en parler parce que Mitterrand leur avait demandé de ne pas évoquer le sujet. C’est pareil pour Mazarine Pingeot.

Dans le foot, c’était un peu cela aussi. Les journalistes avaient un peu de déférence envers les acteurs du football. A l’époque, tu entrais dans le bureau de Chaban-Delmas, il te disait ce qu’il voulait, il t’empêchait de poser des questions vénéneuses parce qu’il savait très bien faire, tu n’insistais pas et tu retranscrivais. Mais bon, je te parle d’une période qui n’a pas loin de quarante ans.

Dans les pays anglosaxons, il y a toujours eu une barrière beaucoup plus importante entre le journalisme et la politique. C’est la raison pour laquelle il y a plus d’émissions politiques que chez nous. Les médias avaient une fantastique indépendance qu’en France, on avait moins. L’Équipe a commencé à en avoir plus en 98 et ça ne s’est pas bien passé.

Ce que vous décrivez va à l’encontre de ce que nous a évoqué Daniel Riolo sur le journalisme supporter : « En France, on a eu très longtemps le journalisme supporter, essentiellement là pour faire véhiculer l’émotion comme disait Charles Biétry, un des grands initiateurs et formateurs de ce métier. Un journalisme à l’image de Jacques Vendroux, ami des joueurs, qui s’entraînait avec Saint-Etienne. Était-ce du journalisme ? Je n’en sais rien. Charles Biétry a apporté l’analyse tactique et technique. Il expliquait des choses que personne n’avait expliquées auparavant. En revanche, il n’y avait pas de critiques, d’esprit critique, d’avis et de jugement, dans le bon ou dans le mauvais sens. Alors qu’en art, en politique, le rôle du journaliste est de critiquer, donner son point de vue, se servir de son expérience pour dire ce qu’il pense de l’événement, cela n’existait pas dans le football. Moi ça me gênait. Pourquoi le sport échappait-il à ça ? Dans le sport, le rôle du journaliste est-il de se réjouir de la victoire et pleurer à l’antenne parce que l’adversaire l’a emporté ? ». Etes-vous d’accord avec l’évolution du métier ?

Riolo parle des journalistes télé et radio. Thierry Roland a connu l’ORTF, et l’ORTF était la voix du gouvernement. Culturellement, ça reste. C’est dur et long à décoller.

J’ai lu l’entretien de Daniel et ce qu’il disait. Biétry et Canal+ ont effectivement changé la vision du football et l’ont amené sur un terrain technique et visuel, plus qu’émotionnel et supporter. Là où je ne le suis pas, c’est sur l’esprit critique. Je suis d’accord pour avoir un esprit critique, mais je n’ai jamais pu m’empêcher de penser que l’entraineur en face de moi connaissait vachement plus son boulot que moi. A partir de là, il y a façon et façon de faire valoir que tu ne sois pas d’accord. Et la manière de certains médias aujourd’hui, c’est no way pour moi. Ça ne m’intéresse pas.

Vous reprochez le ton des médias d’aujourd’hui, c’est ça ?

Si j’interroge Christian Gourcuff, qui est honni des médias alors que c’est tout ce que j’aime, je vais lui apprendre son métier ? Je vais aller lui dire « Putain Christian t’es un gros nul parce que t’as fait tel ou tel choix ». Sur certaines chaines qui font références, j’entends des analyses hallucinantes où ils commentent le match, la progression ou l’inflexion du club, en ne disant pas qu’il manque quatre joueurs majeurs, blessés et/ou suspendus. On est dans une approche résultat, la trajectoire, le nul ou le top. A partir de là, ce n’est pas la peine de critiquer. Si tu critiques, il faut faire valoir des vrais arguments ou en tout cas, si tu ne les as pas, il faut y aller mollo.

J’ai entendu que Liverpool n’irait pas au bout au moins de Janvier dernier. Comment peut-on être si définitif ? Sans confinement, les Reds seraient déjà champions. Domenech, dès sa prise de fonction, on l’a présenté comme le seul entraîneur qui n’avait jamais rien gagné. Oui mais ça tient à un tir au but sur le poteau en finale avec l’équipe de France espoir. S’il est champion d’Europe, la presse a un tout autre regard sur ce mec-là. Domenech a beaucoup cherché les ennuis en étant ce qu’il est, c’est-à-dire un acteur de théâtre avant d’être un entraîneur. Et je l’aime bien parce qu’il n’est pas entraîneur, quelque part.

Mais tout est exagéré pour exciter les gens et pour que ce soit vendeur. Et moi je ne veux pas participer à ça.

L’avis tranché est donc un exercice périlleux ?

Je ne peux pas donner un avis tranché ou alors il faut être une sommité, vivre 24H/24 pour le foot, voir tous les matchs, comme Vincent Duluc, comme Pierre Ménès, qui reste mon pote. On est complètement opposés avec Pierrot mais l’amitié c’est l’amitié. Ça va chercher quelque chose de profond et d’autres ressorts. Ça reste mon pote et il me le rend bien, même si lui participe de quelque chose que je n’aime pas du tout. Et il pourrait aussi dire la même chose à mon sujet. Mais il était déjà comme ça il y a trente ans, et moi aussi. Nous n’avons pas changé.

On sent une vraie colère contre le mode de fonctionnement et l’importance des médias actuels.

Oui. Ce sont les médias qui donnent le tempo au monde et qui battent la cadence. Dans le foot ou comme dans le reste. On a pris une telle importance qu’on se filme entre nous quand on n’a plus les acteurs du foot, on s’interroge entre nous. Les italiens ont été les premiers à le faire. Je me rappelle en 1990, ils s’interviewaient eux-mêmes, et culturellement les journalistes étaient connus. Aujourd’hui chez nous, ils commencent à l’être. Dugarry, Riolo, Ménès… Voilà où on en est. On donne le tempo. Le foot étant l’opium du peuple, pour en parler tous les jours, on est obligé de polémiquer pour que ça rebondisse. Mais le lendemain, les gens qui acceptent de participer à ça, n’ont aucune honte et scrupule à dire exactement le contraire de ce qu’ils ont dit la veille. C’est ça qui est affolant et ça me tue. Les mecs osent tout, et il y a un cynisme dans cette manière de faire. Quelque part, participer presque chaque jour à une émission sur le foot, c’est accepter ce cynisme-là. Moi j’aimerais en parler avec mes mots à moi, comme je t’en parle, mais ce n’est pas sexy du tout pour les gens.

Ce sont les médias qui donnent le tempo au monde et qui battent la cadence.

Entendons-nous bien. Il y a des gens aussi compétents qui font bien leur boulot. Olivier Ménard est un super bon présentateur, je le trouve hyper à l’aise et a des qualités télévisuelles importantes. Je ne chie pas sur tout le monde, c’est juste le principe qui ne m’intéresse pas.

Quel est le foot qui vous plait ?

Je suis resté comme Gourcuff. Toute sa carrière, Il a dit « Moi ce qui m’intéresse en tant qu’entraîneur, ce ne sont pas les résultats mais les progrès de mon équipe ». Moi, c’est ce qui m’intéresse aussi. J’aime bien Lyon, parce que la formation m’intéresse plus que l’achat qatari plein pot. Au fond, je m’en fous que le PSG gagne un jour la ligue des champions en achetant les meilleurs joueurs. Ça va finir par arriver comme Chelsea avec Mourinho. Que Lyon aille loin avec une équipe composée de joueurs du cru, ou même des mecs de vingt ans achetés habillement comme Reine Adelaïde, ça me parle plus. De même que Montpellier me parlait plus… Et puis j’étais extrêmement pote avec Nicollin.

Loulou un être extraordinaire et j’ai été très malheureux le jour de son décès. Mais déontologiquement ce n’est pas l’idéal.

A ce propos, comment trouver la bonne distance avec les amis sans tomber dans du journalisme « supporter » ? Vous avez déjà eu des conflits d’intérêts ?

Avec Loulou, j’ai commencé à être douteux déontologiquement mais je défie quiconque de ne pas être douteux avec Loulou. Il m’aimait bien et n’en avait rien à foutre ce que je mettrais dans les médias. Il ne faisait pas ça pour avoir les médias dans sa poche. Son amitié dépassait très largement le foot, il plaçait l’amitié au-dessus de tout et ça me touchait beaucoup. C’était un être extraordinaire et j’ai été très malheureux le jour de son décès. Mais déontologiquement ce n’est pas l’idéal.

Jean-Marie Lanoë et Louis Nicollin – Source Jean-Marie Lanoë

C’est-à-dire ?

J’ai eu ce problème avec Loulou, quand il a viré Fred Hantz, avec qui j’étais très pote parce que c’est un entraîneur très intelligent, à part, qui n’est pas dans le circuit traditionnel. Et j’ai donc eu Hantz et Loulou en interviewes, et ça n’a pas empêché Loulou d’insulter Hantz par ma plume quelque part. Il m’est aussi arrivé d’émasculer un tout petit peu ce qu’il pouvait me dire. Quand il a demandé à Claude Barrabé de « descendre de son cocotier » à l’époque de Montpellier / Manchester United, je crois que je ne l’ai pas écrit. D’autres l’ont écrit. Quand ça dépassait les limites, je ne le mettais pas. J’aurais peut-être dû. Je reste un peu comme ça.

Et les joueurs ? Comment gérer la relation Journaliste-joueur en interview quand on les juge aussi à travers les notes ?

Je me rappelle d’une discussion dans un avion avec Emmanuel Petit à l’époque à Monaco. Après un match de D1, Monaco se déplaçait en Coupe d’Europe et je devais faire un papier sur Manu que je connaissais assez bien. Assis à côté de lui en avion, je lui explique notre difficulté de faire ce qu’on appelle « le jeu et joueur », c’est-à-dire noter vingt-deux joueurs en direct pour L’Équipe. En particulier, j’aborde le problème de juger l’arrière droit, très loin de moi et que je n’ai pas vu avant la pause, ou encore le milieu défensif obscur que je ne reconnais pas à la différence de lui, qui ne passait pas inaperçu avec sa chevelure blonde. Et surtout, je ne connais pas les consignes données par l’entraîneur et il est donc délicat de juger les vingt-deux joueurs sans avoir les tenants et les aboutissants. Il me répond qu’il comprend, qu’il est content d’avoir discuté avec moi et ajoute comme bon nombre de joueurs « De toute façon je ne regarde pas les notes. Je m’en fous ».

Le lendemain, je le vois et il me dit « Alors combien tu m’as mis ? ». Je lui avais mis 4. Il prend mon carnet de notes, il le déchire et le fout à la poubelle en me disant « Je ne fais pas le papier avec toi ». Alors je me suis rabattu sur Wenger…

C’est difficile d’être neutre en fin de compte ?

Oui, et les joueurs avaient probablement le sentiment que si on avait une relation un peu amicale, ça arrondirait les angles. C’était le paradoxe. Ceci dit, je pense que ça n’a pas complètement disparu. Il m’a semblé qu’il y a dans le passé des notes à L’Équipe un peu surcotées parce qu’il y avait un entretien après. C’est en tout cas le sentiment que j’avais.

Pierre Ménès que nous avions interviewé nous disait que l’objectivité était compatible avec l’amitié pour certains joueurs : « Je parle à des millions de gens qui ont vu le match sur lequel je m’exprime. Je ne vois pas comment je pourrais ne pas être objectif. En même temps ceux qui m’accusent de ça sont des supporters de club donc…Après des amis oui j’en ai plein. Beaucoup plus que d’ennemis d’ailleurs. ». Le rejoignez-vous ?

Peut-être que lui y arrive, mais d’autres moins. Mais Pierre a toujours eu une indépendance de ton qui lui permettait de tout dire. Pierrot suivait aussi beaucoup Arsenal et ses français de l’équipe de France. A partir du moment où tu as un relationnel suivi et un contact régulier au téléphone, tu peux te permettre d’avoir une indépendance de jugement. Pierrot avait su faire accepter aux joueurs avec qui il était proche, la nécessite d’accepter d’avoir une mauvaise note.

Tweet Pierre Ménès

Pierre Ménès a eu des mots sympathiques à votre égard, que ce soit sur Twitter, ou au Canal Football Club. Vous vous connaissez bien ?

J’ai quatre-cinq ans de plus que lui et je l’ai vu débuté à l’époque où il était « passeur de plat » à L’Équipe. Tout de suite, c’est un mec qui m’a fait rire, qui a un sens de la répartie assez inouï, un peu comme pourrait avoir Laurent Ruquier, même s’il le déteste. Tu allais au resto avec Pierre, cinq minutes après, tu étais invité à la table d’à côté. Il n’avait peur de rien. Moi j’adore déconner, mais je ne déconne pas avec les gens que je ne connais pas. Alors que Pierrot déconne tout de suite, et c’est à prendre ou à laisser. Dans les années 85/90, nous allions en boite ensemble et j’ai connu ma femme avec lui car c’est lui qui la draguait. (Rires)

Pierrot n’a jamais oublié ce qui m’était arrivé à Furiani. Il est venu me voir à la Salpêtrière, j’étais dans un corset en plastique et je ne pouvais pas beaucoup bouger. Il était arrivé avec un ballon de foot, il jonglait dans la chambre et s’était fait gauler par une infirmière. (Rires)

Comment le définiriez-vous ? Comment qualifieriez-vous votre relation ?

Tout ça crée des liens qui dépassent ce que je peux penser de lui déontologiquement. On est différent, je connais ses défauts, je connais les miens aussi. Mais c’est mon pote. Je suis allé le voir le lendemain de sa double transplantation. C’était normal car il n’a jamais oublié mon accident à Furiani. Il fait partie de ces quelques personnes comme Boli ou Gourcuff, que je suis à peu près sûr d’avoir au téléphone, même pour faire un papier dans France Football. Même s’il ne porte pas France Football dans son cœur, moi il me porte dans son cœur, et il me répond toujours. L’amitié c’est ça.

Pierrot n’a jamais oublié ce qui m’était arrivé à Furiani. Il est venu me voir à la Salpêtrière. Il était arrivé avec un ballon de foot, il jonglait dans la chambre et s’était fait gauler par une infirmière. (Rires)

Vous êtes également amis avec Arnaud Ramsay, que vous avez connu très tôt. Il nous a raconté dans un entretien avoir appelé le journal LÉquipe au téléphone alors qu’il était tout jeune : « Après quelques minutes, on me transmet Jean-Marie Lanoë, qui suivait l’équipe de France. Je lui demande s’il est possible que quelqu’un du journal m’accompagne à Clairefontaine. Jean-Marie accepte, me fixe rendez-vous au Pont de Sèvres. A Clairefontaine, il me fait passer pour un stagiaire du journal alors que j’ai 17 ans… C’est absolument surréaliste. ». Vous rappelez vous de cette scène ?

Oui je m’en souviens. A l’époque, on pouvait tout se permettre. Je lui ai mis le pied à l’étrier. J’avais prévenu Philippe Tournon, responsable presse, que je venais avec Arnaud, et les joueurs n’en avaient rien à faire de savoir si Arnaud était officiellement journaliste ou pas. Il voyait un petit jeune, il le trouvait sympa. Arnaud et son profil de médaille. Il pourrait figurer sur des Francs, avec son nez bourbon. Il a une tête de régent du roi. (Rires)

Jean-Marie Lanoë et Arnaud Ramsay – Source Jean-Marie Lanoë

Comment définiriez-vous son style ?

J’ai essayé de lui faire valoir tout ce que je pense des médias actuels et ma vision des choses. Ce recul-là, je pense qu’il ne l’a jamais perdu. A la base, c’est quelqu’un qui était beaucoup plus journaliste que moi puisqu’à quinze ans, il tenait son propre journal auquel je m’étais abonné. C’était déjà super, il était très pugnace, il allait voir Julien Clerc, Dominique Rocheteau avec un culot incroyable. C’est devenu par la suite un excellent journaliste, qu’on aime bien avoir sur les plateaux, quand il s’agit d’avoir quelqu’un de modéré mais qui connait bien ses sujets. Arnaud a fréquenté beaucoup les grands de ce monde. Il pourrait être diplomate, il a une tête qui pue la diplomatie. Même dans sa façon de se mouvoir, de parler aux gens, c’est un diplomate. Il l’est resté et je l’aime beaucoup.

Quelles sont vos relations aujourd’hui ?

C’est un très bon pote, on se voit où on se joint au téléphone régulièrement. Et je n’oublie pas qu’il a fait mon infirmier en 2001 à la Coupe des confédérations où j’ai failli perdre un œil.

Ah oui…

Oui, je suivais le Japon de Philippe Troussier. Et j’ai commencé à avoir des troubles de la vue, je voyais un petit point, qui est devenu jaune, avec des bandes passantes comme les vieux téléviseurs en noir et blanc. A ce moment-là, je croise Jean-Philippe Cointot de L’Équipe qui me conseille de consulter. Mais bon, on est au Japon, personne ne parle anglais ici ou presque alors j’attends un peu. Mais ça n’allait tellement pas que j’ai finalement été au consulat de France à Tokyo qui m’a redirigé vers une ophtalmo américaine. Verdict : « Monsieur je vous opère demain, vous êtes en train de perdre votre œil ». J’avais une triple déchirure de la rétine.

J’ai donc dû arrêter la couverture des matchs du Japon. Sur les quatre personnes de France Foot, il fallait qu’une d’elle s’occupe un peu de moi, vienne me voir à l’hosto. Les anciens se sont défilés en demandant à « Nestor » (surnom d’Arnaud issu de tintin) de rester avec moi. C’est bien tombé puisqu’on s’aimait bien et il a été adorable avec moi. J’ai une photo mythique de lui et moi avec un énorme pansement sur l’œil, dans un peignoir beaucoup trop grand qu’il m’avait offert.

Jean-Marie Lanoë et Arnaud Ramsay Source Jean-Marie Lanoë

La victoire de la France en Coupe du monde marque un tournant dans le milieu journalistique. Avant la victoire en Coupe du monde 1998, L’Équipe de France ne jouait pas bien et essuyait des critiques à juste titre. Avec le titre en 1998, certains journalistes n’ont-ils pas été sacrifiés, et coupables de ne pas avoir « cru » en l’équipe de France ? Quelle est votre vision des choses ?

Le tournant médiatique, je l’avais déjà observé en 1988 période Tapie et Matra Racing avec le pognon qui déferlait davantage. Mais effectivement, vient ensuite France 98. En schématisant, France Foot roulait pour l’équipe de France. L’Équipe avait le droit de ne pas rouler pour l’équipe de France. Mais oui, L’Équipe a été jugé coupable de ne pas soutenir l’équipe de France. Ça sous-entend que culturellement, nous étions restés longtemps supporter. L’Équipe aurait voulu la gagne et le beau jeu mais ce sont des rêves de journalistes. Ça n’existe pas ou plus, ou si rarement, que quand ça arrive c’est l’extase.

Mais quand tu prends un groupe, tu ne peux pas prendre que les meilleurs. Tu es obligé de penser à la collectivité et de composer avec les caractères de chacun. Et tu ne prends pas Ginola et Cantona parce que tu as peur pour ton groupe et tu as raison d’avoir peur pour ton groupe. Avec l’épisode Cantona qui insulte Henri Michel de sac à merde, et Ginola qui déclare avant le match contre la Bulgarie « il y a les parisiens d’un côté et les marseillais de l’autre », ça fout la zone.

Moi j’étais nuancé. Je comprenais que L’Équipe fasse valoir une indépendance de ton, mais en même temps, le quotidien a pêché, à l’image de certains médias d’aujourd’hui qui pensent avoir la science infuse.

France Foot nous avait expliqué comment Barcelone n’allait faire qu’une bouchée du Milan, parce que c’était le grand Barca. C’était des gens que j’adore : Moisset, Lafayette, le regretté Francis Huertas, qui écrivait formidablement bien. Ils t’expliquaient par A+B que le grand Barca allait triompher. Au final, c’est Milan qui a gagné. C’est toute l’histoire du foot et L’Équipe a péché en 1998, en prétendant être le canal qui détient la vérité.

Estimez-vous que la presse ait été trop loin avec Aimé Jacquet, dans la critique non pas du jeu, mais de son style (hors terrain) ?

Le fameux édito de Gérard Ejnès « Mourir D’aimé » – super titre ! – n’est jamais passé et Jacquet ne lui a jamais pardonné. A tort j’estime, parce qu’il y a toujours moyen de pardonner. Mais bon, Aimé s’est senti blessé profondément. C’est le danger avec ce genre de papier. Tu peux heurter les gens en écrivant des trucs comme ça. J’adorais la plume de Gérard, mais commencer à chercher des poux sur le côté « paysan » d’Aimé, ce n’était pas bien. Je trouvais les propos excessifs.

La Coupe du monde 2010 est également un tournant, avec l’épisode Knysna, la Une de L’Équipe. Que vous inspire cette période et comment l’analysez-vous ?

On est dans les excès, dans ce que je n’aime pas. On veut tellement vendre et être le premier que le titre est venu de « l’homme qui a entendu l’homme qui a entendu … ». On a titré sur une espèce de certitude indirecte, de propos que personne n’a réellement entendu. Et les médias fonctionnent souvent comme ça. On envoie au bûcher n’importe qui, sur une bonne foi, qui est diluée, qui n’est pas complètement vérifiée. On veut aller trop vite et survendre. Moi je n’aurais jamais pu faire ça. C’est pour ça que j’ai quitté L’Équipe quelque part.

D’ailleurs, juste avant que je ne quitte L’Équipe, Pierre-Marie Descamps aux manettes de la rubrique foot, m’interpelle à la suite d’un Auxerre / PSG. Il me dit « Putain Jean-Marie, Weah dit dans le parisien que c’est comme s’il avait grimpé en haut de la Tour Eiffel, et ce n’est pas dans L’Équipe ». Je lui réponds que j’étais dans le vestiaire auxerrois à ce moment-là. Voilà pourquoi je suis parti. Je n’étais pas là au bon moment, et peut être que si j’avais su que Weah avait dit ça, je ne l’aurais pas mis non plus dans le papier parce que ce n’est pas moi qui l’avais entendu. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’avoir la personne en direct. Si c’est l’oncle de la tante du cousin, ça marche. C’est pour ça que je ne regrette pas d’avoir l’âge que j’ai aujourd’hui. Je ne veux pas faire vieux con mais j’essaie de rester conforme à ce que j’ai toujours pensé. Et quelque part je n’aime pas les médias. C’est ce que je dis souvent aux entraîneurs.

La Une de L’Equipe – Source Libération

C’est plutôt étonnant ça.

Si des entraineurs que j’ai connus comme joueurs (Galtier, Gourcuff, ou Laurey) me font confiance, c’est qu’ils savent comment je fonctionne. Ils savent que leur propos ne seront pas déformés. Alors forcément, on peut me dire que je ne fais pas du bon journalisme. Mais qu’est-ce c’est le bon journalisme ? Si c’est pour faire d’autres, balancer des bruits de chiottes…

On demande de plus en plus aux journalistes de donner un leur avis. Est-ce leur rôle ?

Oui à condition que l’avis soit sous-tendu par quelque chose d’objectif. Si tu ne connais pas bien l’équipe, et que tu n’as pas le maximum de tenants et d’aboutissant, ferme là. Le problème, c’est que les tenants et les aboutissants, on ne les pas tous. Je suis pour qu’on ait un avis, mais circonstancié et étayé, et pas pour que ce soit du café du commerce. Et souvent, dans les émissions de télé, c’est le café du commerce et la caricature. Il suffit de brancher un micro dans un bistro pour avoir l’équivalent.

Avec du recul, vous reprendriez le support presse écrite ?

Je referais la presse écrite. J’aime le foot, j’aime ce sport, les gens qui le pratiquent, les entraîneurs, mais je ne suis pas supporter. Le foot, je m’en passe très bien. Je ne peux pas être dans un support radio ou télé où c’est aussi important. On me demanderait des choses que j’ignore ou dont je n’ai rien à carrer.

L’écriture me permet de faire valoir une sorte de distanciation, de petite musique qui me plait. Mais j’aurais tout autant aimé être critique musical. J’aime la musique, le rock progressif, Genesis, Pink Floyd… J’écris comme bénévole dans une revue de rock, Koid’9, qui sort tous les trois mois. Les musiciens ont souvent autre chose que les footeux à faire valoir. Et j’aime raconter ce qu’on me raconte. Et il n’y a que l’écriture pour ça. Ça m’allait très bien tant qu’on n’avait pas de compte à rendre.

C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, tu signes un article. Tu es obligé de mettre ton adresse mail, et tu as donc tous les chieurs qui t’envoient des mails.

Je ne veux pas passer pour un aigri. Je ne le suis absolument pas.
Je n’aime pas ce que sont devenus les médias en général et voilà tout. Je me sens très à l’aise à France Football où j’aime rigoler, faire l’andouille et travailler aux côtés de très bons potes qui m’acceptent comme je suis et qui connaissent par cœur ou presque tout ce que je suis en train de dire. Quand ils liront ça, ils diront « Encore Lanoë et ses vieilles scies! »

Nathalie IANNETTA nous disait « Aujourd’hui, les étudiants se spécialisent dès l’école, non seulement sur leur domaine, mais aussi sur le support. C’est une aberration. ». Êtes-vous d’accord avec elle ? Un journaliste doit-il être polyvalent, capable de travailler sur n’importe quel support et domaine ?

La radio et la télé nécessitent une forme d’ouverture d’esprit. Si tu veux faire carrière, il faut peut-être dépasser le simple sport que le foot. Personnellement je n’ai jamais chroniqué d’autres sports, et c’est un peu un regret. J’aurais aimé suivre le vélo ou la F1. Je pense que Nathalie a raison. C’est intellectuellement plus ouvrant de brasser plusieurs sports, que d’être inféodé à une spécialité.


D’ailleurs, l’actualité nous a montré que les passerelles existent. Avec le coronavirus, certains journalistes de sport sont devenus journalistes de terrain. Les études polyvalentes leur permettent de le faire. C’est plus intéressant pour tout le monde d’être ouvert à plein de sports, comme Charles Biétry, ou Dominique Mignon.

Nathalie Iannetta évoquait avec nous le problème du journalisme et de la télé et le fait que « beaucoup aujourd’hui font de la télé, travaillent pour soigner leur propre image. Ils ont oublié que le cœur même de ce métier, c’est de parler et de mettre en valeur les autres. » Partagez-vous son sentiment ?

Instinctivement j’aimais bien Nathalie. J’aimais bien son ton, sa distanciation, par rapport à l’hystérie collective. La preuve, c’est qu’elle a travaillé pour le gouvernement Hollande, ce qui montre sa grande polyvalence. Il y a beaucoup d’exemples. Pape Diouf, qu’on pleure justement aujourd’hui, avait un large spectre et aurait pu être homme politique. Christophe Bouchet que j’ai connu à l’AFP puis président de Marseille, est maire de Tours. C’est leur polyvalence d’esprit qui leur permet d’être là où ils en sont aujourd’hui.

Je comprends que Dugarry ne veuille plus être consultant. Il me l’avait dit lorsque nous nous étions retrouvé le lendemain de l’opération de Pierre Ménès. Il m’avait avoué ne pas vouloir rester trop longtemps à RMC. C’est quelqu’un d’assez ouvert, souvent pris à parti par des gens bas du front. Mais il a raison. il rebondira bien car c’est un mec intelligent comme Liza.

La période des transferts, c’est une grosse période dans le foot. Comment viviez-vous cette période ?

Les transferts c’est de l’info. Et un jour – quand même – j’ai été confronté à ça. En 1988, je couvrais beaucoup l’OM et Auxerre. Cantona était encore à Auxerre. Un jour, mon rédac chef Gérard Ernault vient me voir : « Jean-Marie, je veux le nom du futur club de Cantona demain dans le journal ». Je n’étais pas un mec de proximité directe mais je couvrais les matchs des Espoirs, je connaissais assez bien Cantona, mais je n’avais jamais évoqué son futur et discuté sur ce qu’il souhaitait faire. Et ça faisait plusieurs jours que le journal Le Sport avait l’air super informé sur une possibilité de transfert au Racing. Il y avait visiblement là-bas une taupe qui communiquait avec Lagardère. Moi j’étais planqué à Auxerre. Je n’avais aucune info… Ernault voulant absolument le nom du club dans L’Équipe le lendemain, j’ai fait un papier qui s’appelait « L’OM dans le marc de Canto ».

Jean-Marie Lanoë et Michel Mezy – Source Photo Presse Sports

J’avais le sentiment que lui, l’enfant des Caillols, avec l’OM, ça fonctionnait bien. Et j’ai eu raison. Ça ne se basait que sur de l’intuition et de ce que je connaissais de Cantona. Ça s’est avéré exact et le lendemain, Le Sport nous expliquait les raisons de sa venue au Racing. Ça reste un bon souvenir dans ma carrière. Mais Ernault m’a tellement foutu le trac, que ça achevé de me dégouter d’être le premier à avoir des transferts. Je n’ai jamais voulu être le premier. J’ai toujours souhaité être celui qui aurait le gars le plus longtemps et être celui à qui le gars se confierait. Être le premier, c’est une fable que je n’ai pas apprise, ça m’a toujours manqué et n’a jamais fait partie de ma panoplie.

Aujourd’hui cette période est encore pire ?

(Rires) Ce n’est pas à moi qu’on demande les news (Rires). C’est de l’info pure et dure et je n’aime pas ça. François Vernedet est parti à L’Équipe maintenant, mais c’était le plus informé, avec un gros relationnel entre les joueurs, les copains des joueurs, les agents, les copains des agents. Tu ne pouvais pas aller bouffer sans que ça sonne cinq ou six fois par repas. Je n’ai jamais voulu ça mais c’est une autre génération.

Vous avez fait un peu de radio aussi.

J’ai fait un peu de radio, avec Eugène Saccomano dans On refait le match. Et puis un jour, Eugène nous a demandé de tenir des rôles. Mais moi je ne veux pas dire le contraire de ce que je pense. Après, on a commencé à mettre des caméras dans les studios de radio. Et moi j’ai dit « ah surtout pas, je parle avec les mains, je fais des gestes, je ne veux pas me retrouver en boucle dans les réseaux sociaux ». Je conchie ça.

On entend souvent l’argument que si les médias offrent ces émissions que nous déplorons, c’est qu’il y a une demande. Quelque part, les médias offrent ce que les gens veulent. Êtes-vous d’accord ?

La presse, la main sur le cœur, dit toujours qu’elle propose ce que les gens désirent. Mais ce n’est pas vrai. C’est la presse qui a éduqué les gens à aimer certaines choses. Dans les années 1990, avant que CNN puis la 5 nous donnent des news minute par minute de la première guerre du Golfe, personne ne demandait à être informé chaque minute. Je m’en rappelle, je hurlais déjà. On entendait cette phrase mythique « tous les avions sont rentrés indemne à leur base ». Et les journalistes étaient là à occuper le terrain toute la journée. Et je me faisais cette réflexion : « S’il ne se passe rien, que les avions sont entrés dans leur base, qu’est-ce que vous foutez dans le studio » ?

Puis tout le monde s’y est mis. France info, BFM, LCI et j’en passe et des meilleurs. Mais il ne faut pas oublier : La presse et la société donnent envie aux gens. On les a éduqués, à travers la création d’objet, comme le téléphone portable pour être le support de l’instantanée. Mais moi, je déteste l’instantanée et je hais twitter.

Avant que CNN puis la 5 nous donnent des news minute par minute de la première guerre du Golfe, personne ne demandait à être informé chaque minute.

Justement, un journaliste est-il obligé d’utiliser les réseaux sociaux, comme twitter par exemple ?

On nous avait demandé de nous abonner à Twitter. Il y a des gens qui adorent ça, qui sont complètement dans le foot, comme Duluc, Riou, Ménès. Ils donnent à manger aux troupeaux de followers. Moi j’ai une telle distanciation par rapport à ça que je n’ai aucune envie de communiquer minute par minute sur le foot. C’est un vrai défaut mais à France football j’ai la chance de travailler avec des gens qui savent comment je suis. C’est un immense privilège, je dois l’avouer.

Pour moi le journaliste rêvé, c’est Philppe Auclair. « Châtié » – ce que je ne suis pas – hyper documenté et « non violent » dans les mots qu’il emploie où qu’il prononce. Et il s’agit de la plus belle écriture du circuit avec Duluc. Ça n’est pas pour rien qu’il est le parrain d’une de mes filles. Lui aussi semble venir d’une autre époque !

Jean-Marie Lanoë et Philippe Auclair – Source Jean-Marie Lanoë

Quid de l’influence des réseaux sociaux dans l’évolution de votre métier ? Vous avez été victime en 2016 de violences et menaces de morts. Pouvez-vous revenir sur cet évènement ?

J’avais 30 followers, c’est dire. Et puis un jour, j’ai une info béton sur l’arrivée à Marseille de Lopez avec Bielsa. Je la donne sur twitter puis les choses s’emballent. Nabil Djellit fait immédiatement changer le contenu de L’Équipe 21 en direct en disant « Jean-Marie vient de donner une super info sur Bielsa ». Je suis passé de 30 followers à 3000 en 48 heures, avec 200 menaces de morts. « On t’a retrouvé sur copainsdavant, on sait que tu as une maison au nord du Mans, on va venir brûler ta maison, planque tes enfants. ». Ça n’avait aucun sens. Je donnais juste une info. Mais les gens sont dingues. Pour les uns, j’étais un suppo de Labrune, pour les autres j’étais un enculé de parisien. Pendant une semaine, ça a été un cauchemar. En plus, le truc ne s’est pas fait. Finalement, l’OM a choisi Frank Mc Court. Margarita a changé d’avis au dernier moment mais ce n’était pas de ma faute.

J’ai immédiatement fermé mon compte. Le foot ne m’intéresse pas au point d’être insulté et menacé de mort. Twitter déchaîne une violence, c’est effarant. On est dans un monde de hargne et de violence qui n’est pas le mien. Pour rien au monde, je ne voudrais être un Duluc, Ménès ou Riou, qui drainent derrière eux une tonne de followers. Moi je n’en ai rien à faire d’avoir des followers.

Comment s’accommoder de l’échelle « temps », de plus en plus courte ou les gens peuvent réagir en temps réel à une émission de télé ?

(Rires). Olala …putain (rires). Quelle horreur ! (Rires).

Est-ce que vous imaginez qu’on fasse marche arrière pour retrouver un journalisme de qualité ?

J’aimerais. Je pense qu’en Angleterre, la culture newspaper n’a pas fait mourir The Guardian, qui au contraire s’est relevé grâce à internet en proposant des papiers décalés et magazine. Mais c’est l’Angleterre et son rapport au journal. En France, on a un rapport avec le passé qui est nul. On est quand même des sacrés troupeaux, les gens suivent, gueulent, s’invectivent mais n’avancent pas et rabâchent.

De Facebook, j’ai enlevé tous ceux qui ont écrit « Le Covid-19, c’est la faute à Macron ». Oui bien sûr, l’hôpital ça fait 25 ans qu’on lui tond la laisse sur le dos. Oui, on s’y est pris trop tard. Oui, la pénurie de masques, c’est scandaleux mais maintenant, il faut arrêter avec ça et on n’en est plus là. Il faut qu’on sorte de cette situation, c’est la seule chose qui vaille le coup. Confinez-vous les mecs et arrêtez de gueuler tout en essayant d’arranger votre pré carré pour continuer de voir les potes en catimini. Stop. On peut être porteur sain et le refiler. Mettez-vous ça dans la tête. Putain, je ne sais pas comment on est ailleurs, mais souvent j’ai honte d’être français et ça me fait chier.

Tant qu’on donnera de l’immédiateté au temps, on ne fera que flatter ce que les gens ont de plus mauvais en eux. Et tu n’obtiendras d’eux dans cette folle urgence, qu’une sorte de spasme : Un pet, un rot, une réaction viscérale, l’avis stupide, non réfléchi.

Que faire selon vous ?

J’adore le moment présent, je ne vis que pour ça. Je profite, je prends conscience de ce que je profite, je médite, je conscientise. Mais tant qu’on donnera de l’immédiateté au temps, on ne fera que flatter ce que les gens ont de plus mauvais en eux. Et tu n’obtiendras d’eux dans cette folle urgence, qu’une sorte de spasme : Un pet, un rot, une réaction viscérale, l’avis stupide, non réfléchi. Et les fakes news que les gugusses gobent à 100%.

Maintenant, je ne sais pas quand on va sortir du coronavirus, beaucoup plus tard que ce qu’on veut envisager. Ça va être très long, mais si on pouvait repartir sur des bases autres, ça serait génial. Mais je crains que les choses reviennent comme avant, avec le même rapport au temps, qui a laminé entre autres les professions des photographes. Aujourd’hui, le plus important n’est pas la qualité de la photo mais ton misérable selfie, pris sur le vif, dans des conditions pitoyables. Tu as un mec qui enjambe un pont et va se suicider. Au lieu d’aller l’aider, le premier réflexe est de prendre une photo à toute vitesse. On est dans ce que je déteste.

Les médias gagneraient à ne plus donner le tempo du monde. Et pour ne plus donner le tempo du monde, il faut retourner à ce qu’on faisait avant, informer deux/trois fois par jour et laisser les gens digérer l’info, la comprendre et l’analyser. Cela va être dur de rebooter les gens, ça va prendre du temps. Mais c’est un enjeu majeur.

Nous tenons à remercier chaleureusement Jean-Marie pour sa gentillesse et sa disponibilité et nous lui souhaitons bonne continuation pour la suite de ses projets.

Lire la première partie de l’entretien.