Grand reporter à France Football, Jean-Marie Lanoë a eu la gentillesse de répondre à nos questions, revenir sur ses débuts à L’Équipe, son parcours professionnel à France Football, sa vision du métier et son évolution. Une carrière marquée à vie par la catastrophe de Furiani le 5 Mai 1992, qu’il aborde non sans émotion.
ENFANCE ET DÉCOUVERTE DU SPORT
Avant de revenir sur votre carrière professionnelle, revenons sur votre enfance, la découverte du football et le contexte dans lequel vous avez grandi.
Mon père est décédé lorsque j’avais 10 mois. Mon frère et moi avons été élevés par des femmes. C’est par mon frère cadet que le football est venu à la maison. Il était gardien de but au CA Montreuil, un bon club de jeunes à l’époque. C’était la doublure de Christian Delachet, qui par la suite est devenu gardien de but à Marseille. Par ailleurs, un ami de ma mère jouait au football en vétéran au Perreux sur Marne et discutait beaucoup de football avec mon frangin.
Plus tard, mon frère et moi avons fréquenté le Stade Bauer à Saint-Ouen. C’est comme ça que, j’ai vu Red Star / Marseille et des joueurs comme Skoblar, Gueniche, Magnusson, avec une paire de défenseurs Ahache et Monin qui découpaient tout ce qui se présentait. A cette période, le foot était violent.
Quels sont vos premiers souvenirs de foot ?
Ils sont en noir et blanc, pour la Coupe du monde 1966 en Angleterre. Lorsque, j’ai commencé à m’intéresser au foot, le football français était dans une période épouvantable. Un jour, je suis allé au cinéma le « Le Kosmos » à Fontenay-sous-Bois pour voir la rétrospective de la oupe du monde 1970. L’éblouissement de cette Coupe du monde et de ce Brésil m’ont donné l’envie de faire du foot et je me suis inscrit à Neuilly-Plaisance.
A quel niveau avez-vous joué ?
Je n’étais pas très bon. En catégorie benjamin ou cadet, tu pouvais rencontrer des mecs qui avaient 10 cm de plus que toi. On me faisait jouer dans les buts alors que j’étais haut comme trois pommes. Je jouais en équipe B et on se prenait des taules épouvantables. Ce sont des souvenirs à la fois sympas, mais aussi douloureux parce qu’on perdait tout le temps.
Quels sont les grands sportifs, footballeurs qui vous ont marqué ?
A cette époque, ma mère avait une femme de ménage yougoslave, dont le fils dormait à la maison. Il avait 2/3 ans de plus que moi, Yougo comme on disait dans le temps, et c’est lui qui m’a appris les rudiments du foot. Son idole était Ivan Osim et c’est devenu rapidement une des miennes aussitôt. Il était très grand pour l’époque, n’allait pas très vite, mais il dribblait tout le monde avec une technique de tous les diables. Il était absolument invraisemblable. Et je me suis mis à aimer les mecs lents avec un pied, gauche ou droit très fort. J’aimais aussi beaucoup Michel Watteau et Daniel Leclercq.
Quel est votre premier match au stade ?
C’est un France B / Hongrie B en 1966 dans l’ancien Parc des Princes. J’avais 10 ans et la France a gagné 4/1, avec Dogliani qui distribuait des grandes balles. J’ai toujours adoré ce type de joueur, un peu comme Daniel Leclerq ou Rivelino au Brésil. Les joueurs un peu lambins m’ont tout de suite plu. Peut-être que je m’assimilais à eux car je n’étais pas rapide. Mais j’aimais bien. Il y avait Van Hanegem et Günter Netzer à Mönchengladbach.
Günter Netzer – Source Sportmagazine Van Hanegem – Source Nieuwsblad Rivelino – Source Lucarne Opposée
Etiez-vous ou êtes-vous supporter d’un club en particulier ?
J’étais supporter de l’équipe de France mais pas du tout supporter d’un club. Quand je suis devenu journaliste, je devenais sympathisant du club que je couvrais. Ça a été Auxerre, Marseille dans les années 1990, Montpellier avec Loulou. Mais je n’ai jamais été supporter. Ça me met en porte-à-faux à France Foot parce que les journalistes sont quasiment tous supporters d’un club.
Adolescent, aviez-vous déjà en tête une carrière de journaliste ?
Non, pas du tout. Adolescent, je n’avais rien en tête, à part les nanas qui me prenaient bien la tête. La vocation de devenir journaliste s’est déclarée fort tard chez moi.
PARCOURS PROFESSIONNEL
Pouvez-vous revenir sur votre formation et vos débuts dans la profession ?
En 1981, je me suis présenté au concours d’entrée l’école de journaliste de Paris, Le CFJ. J’avais super potassé. Le concours se passait sur deux épreuves : Une sur les 6 mois d’actualité qui précédaient le concours et pour laquelle j’ai eu de très bonnes notes. Une autre, épreuve libre propos, qui s’appelait « Narcisse », et là j’ai eu 5 points sur 30. J’étais très scolaire, j’ai dû faire une sorte de dissertation pitoyable. Je n’ai pas été pris et déjà trop vieux pour me présenter l’année suivante.
J’ai eu la chance que Philippe Bouin, le grand pape du Tennis, connaisse ma frangine. Et une fois, Philippe m’a dit « Tiens si jamais tu veux entrer à L’Équipe, montre-moi ce que tu sais faire ». J’avais vu un match de l’équipe de France à la télévision et je lui ai bricolé un compte rendu de la rencontre. Il m’a répondu qu’il me tenait au courant et m’a rappelé par la suite. Le journal cherchait des gugusses comme moi pour relire de la copie. Et c’est comme ça que tout a commencé. J’ai appris sur le tas, en pleine période de Coupe du monde 1982.
1982 – Débuts à L’Équipe
Vous étiez pigiste, mais brusquement vous vous tournez vers le professorat. Comment devenez-vous prof d’Histoire-Géo ?
Oui, j’ai commencé pigiste au journal. Mais la Coupe du monde étant finie, je n’avais pas grand-chose à faire. On me faisait faire des petits matchs de temps en temps, mais on avait très peu de boulot. Faute de clarté sur mon avenir, comme j’avais une licence d’histoire-géo, je me suis inscrit à la fédération diocésaine. A peine ai-je écrit que j’ai été sélectionné pour être remplaçant à « La Providence », un bahut privé, à Vincennes.
Puis vous revenez définitivement au Sport. Comment se fait ce retour à vos premières amours ?
Au bout de 15 jours de prof, Didier Braun m’appelle pour me proposer de compléter toutes les compositions d’équipe de chaque journée de championnat, de remplir des cahiers, tenir et compléter les archives. J’ai immédiatement accepté. Le fait de remplir les cahiers de Didier Braun me donnait une raison d’être très souvent au journal et je me suis mis à arpenter les couloirs de L’Équipe. Je suis arrivé en Juillet et j’ai appris sur le tas. Très rapidement, on m’a demandé de relire les dépêches AFP des envoyés spéciaux que les sténos tapaient. Il n’y avait pas de portable, pas d’ordi. Je corrigeais au Stabilo, je renvoyais la copie, je mettais un titre etc… Et j’ai appris mon métier comme ça.
Les responsables ont commencé à me confier des petits matchs sur Paris. Jusqu’en 1985, L’Équipe et France Foot avaient une rédaction commune et des pages consacrées sur Paris. J’ai alors débuté par des papiers sur Avia Club, d’Issy les Moulineaux, couvert des petits matchs sur Paris avec des comptes rendus de 10 lignes sur Police Paris contre Lion d’Alfortville à Bobigny. J’ai fait des tas de derbys parisiens. Progressivement, on m’a donné des matchs de D3, puis un forfait à la semaine pour m’occuper de la division 3 et ça a commencé à me sédentariser à L’Équipe.
Aviez-vous des modèles dans ce métier ? Si oui, quels sont-ils ?
Oui, Gérard Ejnès. C’est un mec qui me fascinait et qui me fascine presque toujours. Quand je lisais un de ses papiers, je le trouvais assez proche de ce que j’aurais aimé faire. Je le trouvais brillant, drôle ; un peu le Woody Allen du foot. J’ai fait sa connaissance ainsi que celle de Patrick Urbini, Patrick Lemoine quand ils sont revenus d’Espagne. A l’époque, j’avais les cheveux aux épaules, une salopette en jean et mes lunettes rondes. J’étais un peu un extra-terrestre, culotté. Ils s’en souviennent encore et on en reparle souvent.
Pour moi, le foot m’a permis d’assouvir ma passion géographique, que j’ai toujours.
J’ai fait partie de cette génération qui a appris, sans le savoir, à positionner des villes sur une carte. Le football est un bon moyen d’apprendre la géographie, la politique, la culture d’un pays grâce au foot.
Je te retourne le truc. Pour moi, le foot m’a permis d’assouvir ma passion géographique, que j’ai toujours. J’adore la géo, quand j’étais petit, je connaissais les villes et populations du guide Michelin par cœur. Les déplacements m’ont permis d’assouvir ma soif de découvrir des villes : Auxerre, Sochaux, puis les villes d’Europe. Ça correspondait à une sensibilité que j’ai gardée. Dans mes papiers, dès que je peux, je place un peu de géographie. J’aime ça.
Quel est votre premier déplacement ? Quels sont les souvenirs de cette rencontre ?
Mon premier déplacement, je suis pigiste pour la finale de division 3 Auxerre / Nice à Valence au stade Georges-Pompidou. C’est là que j’ai connu Patrick Lafayette, qui était journaliste pour le Dauphiné libéré à l’époque.
Je ne connaissais aucun joueur. A la fin du match, je débarque dans les vestiaires niçois et je chope un joueur au passage, et je lui dis « Alors le match ? ». Il commence à me parler de la première mi-temps qui n’était pas mal, de la seconde mi-temps un peu moins bien. Pendant qu’il me parle, je me dis « Merde, c’est qui ? et comment lui demander sans être lourd ». Il parle trois minutes, je note ce qu’il me raconte et puis je me lance « Excusez-moi, mais vous êtes qui ? ». Et là, il me répond : « Je suis le chauffeur du car ».
C’est une anecdote cuisante que toute la presse sportive connaît ! C’était mon premier déplacement et j’étais marqué au fer rouge. Je n’avais aucune formation de journaliste. J’ai appris sur le tas, en prenant des taquets comme ça. Mais je t’assure que c’est formateur. Cette histoire a rebondi 30 années plus tard lorsque je croise Alain Giresse, sélectionneur de la Géorgie, dans un vieux Tupolev antédiluvien. Je lui raconte cette anecdote et il me dit « Tu sais, nous quand on ne voulait pas être emmerdé par les journalistes, on leur disait ça : je suis le chauffeur du car ». Il m’a mis le doute 30 ans après ce premier déplacement à Valence pour la finale de D3.
Comment jugez-vous la culture football en France ?
Le foot n’est pas culturel en France contrairement à l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. En France, le foot est comparable au théâtre, les gens viennent au stade pour voir du beau jeu, mais ne sont pas tant supporter que ça, sauf traditionnellement à Marseille, Lens, à Sainté ou Paris.
Mais il n’y a aucune culture, aucun souvenir. Le passé en France n’a aucune importance et il n’y a qu’un seul musée dédié au foot, à Saint-Etienne. Basile Boli est en train de mettre ça en place à Marseille. Denis Law, Ballon d’Or 1967, quand il se baladait dans les rues en Angleterre, il provoquait un attroupement. En France, Raymond Kopa se baladait dans les années 80 en toute tranquillité.
Jean-Marie Lanoë et Raymond Kopa – Source Photo Presse Sports Jean-Marie Lanoë et Raymond Kopa – Source Photo Presse Sports
Comment l’expliquez-vous ?
Tout part de l’école. Déjà de mon temps, on faisait 2h de cours de gym par semaine et on disait qu’il n’y en avait pas assez. Je ne suis pas certain qu’on en ait plus aujourd’hui.
La France est un peuple et un pays trop cérébral, avec un mauvais rapport au corps. J’en parle parce que je suis en train de développer ça que maintenant et je sais de quoi je parle. On a un mauvais rapport au corps et on ne le développe pas contrairement aux pays nordiques. Et dans le foot, il n’y a pas de club d’importance culturelle qui ait l’équivalent du Barca, du Real ou du Bayern. Les clubs anglais, je n’en parle même pas. C’est quand même incroyable qu’il y ait autant de clubs londoniens et qu’à Paris tu n’en aies qu’un. C’est la preuve par A+B du manque d’intérêt quelque part pour le football. Ça ne me dérange pas personnellement mais c’est curieux.
En 1982, vous être pigiste pour L’Équipe pendant cette Coupe du monde en Espagne. Avez-vous conscience que cette compétition va marquer une génération et l’histoire du football français ?
Oui j’en ai conscience rapidement. D’abord, l’équipe de France brillait, ce qui n’était plus arrivé depuis 1958. Elle avait certes progressé dans les années 1970 avec Kovacs et Hidalgo mais en 1978, elle avait été rapidement éliminée. Il y a eu les Verts entre-temps, mais ce n’était pas l’équipe de France. Et en 1982, les bleus jouent très bien.
Avec France / RFA, on était revenu à une hystérie anti-allemande et on a refait la guerre
J’ai un souvenir dantesque du retour chez moi le soir du France / RFA. J’étais dans le métro, et les gens étaient en larmes. A travers Schumacher, le scenario du match, être éliminé après avoir mené 3/1 aux prolongations…C’était terrible, même si personnellement je n’ai jamais cru une seconde qu’on allait gagner et j’étais sûr que les allemands allaient revenir.
Ce match-là reste historique, imprimé dans l’inconscient des gens, avec une résonance au-delà d’un simple match de foot. Avec France / RFA, on était revenu à une hystérie anti-allemande et on a refait la guerre. Pour ma mère qui a vécu la guerre, les allemands étaient redevenus les « sales boches ». C’était très étonnant.
De 1988 à 1996 – Grand reporter à L’Équipe
Comment devenez-vous grand reporter à L’Équipe en 1988 ?
Je deviens grand reporter au moment de la création du journal Le Sport. Pas mal de gens de L’Équipe que j’aimais bien sont partis en 1988 pour créer Le Sport : Gérard Ejnès, Jérôme Bureau, Patrick Lemoine, Éric Maîtrot. J’avais bien sympathisé avec ces mecs-là et j’avais un peu envie de les suivre, j’avais des contacts informels. Et en même temps, je me disais « Putain tu débutes à peine à L’Équipe, c’est peut-être un peu prématuré ». Je suis allé voir Gérard Ernault en lui expliquant la situation. Il a hurlé en me disant que je n’avais pas le droit, il l’a mal pris, mais du coup, je suis resté en passant reporter. A partir de 1988, j’ai commencé à faire les matchs de D1, me balader un peu partout, et Pierre Ménès a pris la D2.
Quel est votre premier déplacement international ?
C’est un match de l’équipe de France en 1987, URSS / France où on avait fait 1-1. J’avais fait le déplacement avec Patrick Urbini et Patrick Dessault dans l’avion avec les joueurs. Dans les pays de l’Est, c’était toujours épique. Tu galérais à avoir un visa, on te dévisageait pendant une demi-heure. En termes de moyens, on avait un téléphone dans le stade pour 15 journalistes. Tu attendais ta communication à l’hôtel pendant des heures, tu pouvais l’avoir en pleine nuit. C’est formateur, mais ce sont des années de plomb si je puis dire, avec des galères en pagaille et un stress inouï pour pouvoir passer tes papiers.
Quelles images gardez-vous de votre premier déplacement européen ?
Mon premier déplacement européen est marqué à vie. C’était Bordeaux / Fenerbahce en 1985. J’étais accompagné de Jean-Paul Oudot, Jean-Philippe Rethacker et Victor Peroni. Mais Rethacker me faisait peur, c’était une sommité mais il n’était pas fondamentalement aimable au premier abord. Bref, je n’en menais pas large. La veille du match, nous allons manger tous les quatre dans un resto assez chic. J’ai pris un verre de vin et comme je parle beaucoup avec les mains… ce qui devait arriver arriva. Je renverse mon verre de vin, qui se fracasse en miettes. Tout le vin tombe sur les genoux de Rethacker, qui était pincé. Les autres étaient morts de rire. Dans la profession, je passe pour le mec à qui il est arrivé plein de conneries. C’est aussi parce que je raconte beaucoup, que je n’ai jamais eu peur de parler de mes faiblesses et de ces histoires plutôt rigolotes. Beaucoup de personnes ne les évoquent pas par fierté. Mais moi, je dis facilement qu’il m’est arrivé une collection de conneries.
Jean-Marie Lanoë et Thierry Marchand – Source Jean-Marie Lanoë Jean-Marie Lanoë et Jacques Hébert – Source Jean-Marie Lanoë
Sur ce match de Coupe d’Europe, Bordeaux / Fenerbahce, Bordeaux prend trois buts sur trois boulettes de Dropsy. Ejnès avait demandé à Oudot d’interviewer Dropsy, mais Jean-Paul était assez réticent à l’idée de faire l’entretien. Je me disais en mon for intérieur : « Si tu ne veux pas y aller, j’y vais. Ok c’est tangent mais c’est le boulot ». Au final, Jean-Paul a fait l’entretien et Dropsy a répondu très zen en avouant ses erreurs et plaidant coupable.
Vous allez assez peu suivre l’équipe de France. Pourquoi ?
Finalement, mon suivi de l’équipe de France a été éphémère. J’ai fait la Coupe du monde 1990, mais l’équipe de France n’y était pas. En 1994, elle n’était pas qualifiée non plus. Je devais couvrir l’Euro 1992. J’avais visité les installations avec Michel Platini et Gérard Houllier. Platini a toujours été quelqu’un de méfiant, un caractère un peu sur la défensive, mais on avait fini par sympathiser. Malheureusement, Furiani a été une vraie cassure et m’a empêché de couvrir cet euro 1992.
J’ai couvert les JO de foot pour France Foot avec les espoirs de Raymond Domenech. J’ai également suivi l’équipe de France pour l’Euro 2008 en Suisse Autriche. C’était encore l’équipe de France de Domenech. Mais ça n’a pas duré longtemps, parce qu’on a été très vite éliminé. Je n’ai pas fait 2010, on n’avait pas un rond et on a envoyé qu’une seule personne sur place.
Vous allez couvrir la Coupe du monde 1990 et 1994. Quelle est celle que vous avez préférée ?
En termes professionnels, la Coupe du monde 1990 est mon meilleur moment. J’avais à faire la page 2 orientée magazine, que je devais envoyer la veille. Ça me faisait faire des circonvolutions mentales, je me déplaçais beaucoup avec les matchs à couvrir. Durant cette période, j’ai beaucoup maigri. Mais il faisait un temps magnifique, j’étais tombé amoureux d’une hôtesse qui me le rendait bien. Je ne prenais plus l’avion et voyageais en bagnole avec elle. J’étais devenu Bourvil dans le Corniaud. J’étais absolument éberlué, il faisait beau tout le temps, les filles étaient belles, et les matchs plutôt sympas. Notamment j’ai vu Maradona à l’entraînement, absolument suffoquant. C’était un mec de cirque, qui jonglait tout le temps. C’était extraordinaire et 1990 est un souvenir professionnel extrêmement fort, plus que 1994.
La Coupe du monde 1994 est moins intéressante en termes de jeu ?
Oui, il faisait tellement chaud que ça a nui à la qualité de jeu. J’étais à Miami, puis Orlando. Il faisait une chaleur accablante. Ensuite, j’étais au Texas où j’ai suivi les Néerlandais puis les brésiliens à Los Angeles. Et je n’ai jamais revu le niveau de jeu que j’avais en tête en 1970.
Depuis 1996 – Chef de service France Football
Comment devenez-vous chef de service de France Football en 1996 ?
Suite à la catastrophe de Furiani, j’ai disparu longtemps : 6 mois puis 4 mois. Entre-temps, les journalistes du journal Le sport étaient revenus mais mon taulier avait changé. Et il faut dire une chose : Dans le journalisme tel que je l’ai connu, il fallait toujours faire partie d’une caste ou d’une cour. Il y a beaucoup de cela dans notre métier. Et moi, je ne l’étais plus puisque j’ai été absent très longtemps. J’ai redémarré tout en bas de l’échelle et je n’ai jamais retrouvé le feu sacré qui était le mien en 1992, avant que je ne me casse la gueule à Furiani.
Et parallèlement à cela, je commençais à en avoir marre du quotidien, ça me saoulait qu’on me demande de la titraille excessive et qu’on veuille de la polémique. A l’époque, notre métier prenait déjà cette direction. On me demandait de plus en plus de l’information racoleuse, que je ne trouvais pas intéressante. J’en avais assez et j’ai donc frappé à la porte de France Foot, où étaient passés mes anciens tauliers Denis Chaumier, Gérard Ernault. Comme à l’époque, France Foot avait un souci relationnel avec Laurent Moisset, nous avons été échangés comme des prisonniers allemands sur un pont pendant la guerre froide. Laurent Moisset qui devait faire les JO de 1996 a fait l’Euro 1996 en Angleterre, et moi j’ai couvert les JO de Foot pour France Foot avec notamment l’équipe de France espoirs de Raymond Domenech. Quelques mois plus tard, Denis Chaumier cherchait un responsable du football étranger. J’ai levé le doigt et il m’a pris.
Concrètement, comment travailliez-vous à France Football ?
On ne se déplaçait pas énormément. Personnellement, j’avais une vision plus magazine que celle de mes tauliers, et qui n’est pas plus celle d’aujourd’hui qu’hier. France Foot a toujours été très longtemps magazine, un journal de reportage, avec un côté très décalé sur le foot. C’est d’ailleurs une des raisons du départ de Laurent Moisset.
Les tauliers ont changé, ont longtemps travaillé à L’Equipe et n’ont pas perdu le goût de l’actu. Ils ont pensé – peut-être à juste titre – qu’il fallait être en prise avec l’actu. Moi je n’adorais pas ça alors j’essayais très à l’avance d’envoyer quelqu’un sur tel match. Et quatre jours avant, je me rendais compte que ça n’allait pas se passer comme je l’imaginais, qu’on n’avait personne pour y aller, et qu’on allait devoir se retourner. On avait du mal à programmer à l’avance ce qu’on allait faire. Ça s’est accentué quand France Foot est passé à deux numéros par semaine avant la Coupe du monde 1998.
Entre 1996 et 2000, c’était l’âge d’or du métier. Pendant des années, on a vendu 200 000 France Foot le mardi et 100 000 le vendredi.
En 1996, France Football est un hebdomadaire. Quels étaient les chiffres de vente ?
Entre 1996 et 2000, c’était l’âge d’or du métier. Pendant des années, on a vendu 200 000 France Foot le mardi et 100 000 le vendredi, ce qui était énorme. C’est la preuve que nos tauliers avaient raison. Si on vendait autant, c’est qu’il y avait une demande d’actu. Moi ça me faisait chier, je n’aimais pas beaucoup ça, mais je reconnais malgré tout qu’un joueur marseillais balle au pied vendait plus que le portrait de Rinus Michels de l’Ajax.
Quelle était la ligne éditoriale du magazine à votre prise de fonction et qu’en est-elle aujourd’hui ?
Dans le fond, c’est toujours la même ligne éditoriale. Au moment où internet est passé dans la poche via les téléphones, les ventes France Foot n’ont fait que baisser et ce constat a radicalisé l’idée qu’il fallait être rattaché à l’actu, en essayant de la traiter avec recul, mais l’actu quand même. Par exemple, on nous a demandé très longtemps de garder une ou deux pages pour le match du dimanche soir. Quand je suis repassé sur le terrain en 2008, je me disais « Dimanche soir pour mardi, tout a été dit et décortiqué à la télé à la radio. Qu’est-ce qu’on va apporter ? en plus on a la même matière première ». Mais non, il fallait garder une ou deux pages sur le match important. Depuis la double parution, France Foot n’a jamais perdu de vue l’actu pure et dure.
De 2007 à 2011, le groupe Amaury a tenté un repositionnement éditorial avec une forme couplée avec le quotidien l’Equipe. Qu’est ce qui a motivé ce repositionnement éditorial ? Quel retour faites-vous de cette expérience ?
Je vais te dire mon ressenti. Quand les ventes de France Foot ont commencé à se casser la gueule avec Internet, France Foot m’est apparu comme une épine dans le pied du groupe Amaury, qui n’a jamais su très bien quoi faire de France Foot. Il était gênant, en trop, coûtait du blé et n’en rapportait pas du tout. Excepté le lancement du nouveau format (nouvelle maquette, format plus réduit), qui a été supporté avec un peu de pub, il n’a jamais été relancé par le groupe.
Aujourd’hui, c’est un journal qui est fait à 90% home made. On ne se déplace plus et ce qui sort est pas mal de jus de crane. Je trouve le journal très méritoire et brillant dans le contenu, compte tenu du contexte dans lequel il est fait.
Amaury a mis toutes ses billes pour sauver le soldat L’Équipe, qui se cassait la gueule aussi. France Foot est devenu un casse-tête et on a essayé de l’encarter avec L’Équipe, ce qui a été une vraie catastrophe. Ça a été très mal conçu. Pour avoir ton France Foot, il fallait quand même acheter ton Équipe du mardi et tu ne pouvais pas l’avoir si tu l’achetais jeudi. C’était un truc de dingue. Même moi, j’aurais pu penser à ça. C’est dire ! Mais non, tu n’avais ton France Foot que le jour de la parution de L’Équipe et France Foot. Ou alors, c’était conçu pour nous assommer définitivement mais je ne peux pas y croire.
Comment a survécu France Foot ?
Il y a eu des coupes sombres, des plans de licenciement pour des gens qui avaient l’âge que j’ai maintenant, pour les gens de 60 balais. On est devenu moins nombreux. Aujourd’hui, c’est un journal qui est fait à 90% home made. On ne se déplace plus et ce qui sort est pas mal de jus de crane. Je trouve le journal très méritoire et brillant dans le contenu, compte tenu du contexte dans lequel il est fait.
Le confinement ne va rien arranger.
Je n’ose pas imaginer ce qui va se passer suite au confinement. Il était question qu’on devienne mensuel. C’était plus ou moins avalisé à la rentrée prochaine. Cette temporalité me va très bien et j’ai envie de travailler avec France Football à parution mensuelle. Avec le confinement, France Foot ne sort plus que tous les quinze jours. C’est une sorte de répétition générale avant l’heure. A l’époque, j’achetais le journal de BD Pilote, avec les pauvres Cabu, Gotlib et Bretécher. Quand les ventes n’ont plus été suffisantes, le journal a évolué en mensuel. Quand tu passes mensuel, ce n’est jamais très bon signe et tu ne tiens pas très longtemps. C’est dommage, parce que France Foot a un retentissement incroyable en Europe centrale, par exemple. Dans les pays des Balkans ou en Europe de l’est, on t’ouvre les portes. Je l’ai constaté en 2016, date de mes derniers déplacements à l’étranger pour l’Euro.
Mais je comparerais France Foot à Manufrance : Un nom absolument prestigieux, que le Ballon d’or continue de véhiculer, même si c’est de plus en plus le Ballon d’or de L’Équipe, qui mentionne de moins en moins France Football dans leur annonce. C’est peut-être fait exprès, une sorte de transfert progressif de l’un à l’autre. Après, je comprends le groupe et je ne critique pas, je constate que France Foot est probablement devenu emmerdant à l’heure où tu recentres toutes tes activités.
Et L’Équipe ?
La façon dont travaille L’Equipe depuis un an maintenant fait très mal aux anciens. Pour eux, c’est un cauchemar à travailler en 3X8. Un Jean Philippe Cointot que j’ai connu à mes débuts, refait des gardes ! On en revient à ce qu’on faisait à l’époque où on scrutait ce qui tombait sur le télex AFP. Là, aujourd’hui, tu as tous les comptes twitter des joueurs les plus importants et tu regardes ça pendant 24h. On a fait des Coupes du monde, des Euros… et quarante ans plus tard, tu te retrouves aligné comme un débutant…On te dit « Bah ouais, c’est ton tour de garde vieux ». On te file un club à suivre sur twitter ; si tu as le malheur de ne pas bien maîtriser le club quand tombe une info, t’es obligé de prévenir la personne attitrée qui suit le club et qui n’était pas de garde. T’es obligé de le déranger pendant son repos. C’est ce qui m’est revenu aux oreilles. La presse sportive numérique a pris ce pli-là et je le regrette. A France Foot, on coule, on le sait, mais on coule dans la bonne humeur.
Jean-Marie Lanoë et Raymond Kopa – Source Photo Presse Sports Jean-Marie Lanoë – Source Photo Presse Sports
Depuis 1956, France Football décerne le Ballon d’Or, initialement décerné par un jury de journalistes jusqu’en 2010 et la fusion avec le « FIFA Ballon d’Or ». Beaucoup d’amateurs de football dénoncent l’esprit du ballon d’Or actuel, qui aujourd’hui récompense le meilleur joueur au monde, et non le joueur qui avait fait la meilleure saison et marqué les esprits dans une grande compétition internationale. Le comprenez-vous ?
Je l’explique parce que les médias et le regard sur le football ont changé. On a tous morflé à France Football quand le Ballon d’or est devenu le France Football/Fifa. En rajoutant les votes des entraineurs, et des capitaines des équipes, c’était couru d’avance que les gens allaient voter pour leurs potes. C’est pour cette raison que Sneijder et Ribéry n’ont pas été élus alors que les journalistes les avaient mis tous les deux vainqueurs, respectivement en 2010 et 2013. J’ai regretté que Mané ne l’ait pas gagné cette année. Personnellement, j’aurais voté pour lui.
Que répondez-vous aux critiques du duel Ronaldo / Messi ?
En même temps, ce n’est pas un déni de justice que Messi et Ronaldo trustent les Ballons d’or. Le problème c’est l’augmentation du nombre de correspondants. Le correspondant de Turks-et-Caïcos par exemple, il prend ce qu’il voit à la télé et il voit Ronaldo et Messi. Comment échapper au matraquage télévisuel qui consiste à te passer la Premier League, la Liga ou le Calcio trois ou quatre fois par semaine ? Les médias ont changé, on est informé à chaque seconde, et à chaque seconde on parle de Messi et Ronaldo, car on a décidé que c’était ça qui intéressait les gens. C’est le foot système. A travers ce vote individuel, totalement dénué de collectif, on a un résultat individuel et une approche jeu vidéo du football.
Quel sens donnez-vous à un titre individuel dans un sport collectif ? Comment comparer de joueurs à des postes différents ?
C’est difficile. Mais dans l’esprit des gens et des votants, le foot consiste à marquer des buts. C’est le mythe du marqueur de but, Platini, Zidane, Kopa, Van Basten, Cruyff. C’est ce que les gamins préfèrent. Dans les écoles de foot, tu ne verras jamais un gamin te dire qu’il veut devenir défenseur. Ça n’existe pas. On épouse quelque chose qui est atavique chez l’Homme. Je joue pour marquer, pour briller et faire briller, et briller c’est faire des belles passes et marquer des buts. Tu n’as pas idée de tacler proprement quand tu as quinze ans. Dans les écoles de football de préformation, c’est un vrai casse-tête parce qu’il n’y a pas un défenseur qui sorte du lot. Les formateurs sont dans l’obligation de faire reculer quelqu’un, qui a priori est un peu lambin, manque de ceci ou cela…mais c’est comme ça que ça se passe.
Le Ballon d’or est donc soit un milieu offensif, soit un attaquant. C’est pour ça qu’un seul gardien l’a obtenu – Yachine en 1963 – avant qu’on ne donne un prix spécifique. C’est la raison pour laquelle Maldini ne l’a jamais eu et que Canavaro est le dernier défenseur lauréat en 2006 avec l’Italie championne du monde. C’est en ça que c’est contestable.
L’édition 2019 a délivré le premier trophée Yachine à Alisson Becker, prix récompensant le meilleur gardien de l’année civile. Se dirige-t-on vers un ballon d’or par poste ?
Je ne crois pas qu’on aille vers un Ballon d’or par poste. Il est bien d’avoir créé un prix spécifique au gardien. On pourrait également faire des Ballons d’or d’honneur.
Enfin, difficile de retracer votre carrière sans évoquer la catastrophe de Furiani le 5 Mai 1992 lors de la demi-finale de Coupe de France entre Bastia et Marseille. Vous l’avez abordé tout à l’heure, mais acceptez-vous qu’on s’y attarde un peu ?
Oui absolument. J’ai la « chance » de me souvenir jusqu’à une demi-seconde avant que je ne tombe. J’étais au téléphone avec ma fiancée et ça a coupé. J’étais en train de lui dire que j’avais les jetons. J’ai sévèrement morflé et j’ai fait un gros traumatisme crânien. Je sais que j’ai discuté avec les secours, avec les pompiers et Basile Boli notamment, mais je ne m’en souviens pas. Je n’ai pas de souvenir de souffrance. C’est ça, ma chance. Au contraire, j’ai plutôt un sentiment de nirvana puisque j’étais sous morphine à haute dose pour ne pas avoir mal. Je n’ai pas de vision de sang ou de douleurs. Contrairement à des copains qui ont moins trinqué que moi, eux se souviennent de tout et ont beaucoup de mal à en parler. Au final, je peux en parler assez facilement.
Avez-vous senti que quelque chose d’anormal se passait ? Aviez-vous des craintes ?
Non. Le problème est là. Quand nous sommes arrivés en dessous à 16h, la tribune Claude Papi était pleine. Nous devions passer par en dessous, et j’ai vu que les tubulures reposaient sur des cales en bois. Je me suis dit « C’est cheap », alors que je n’y connaissais rien. On est monté dans cette gigantesque tribune, tout en haut au dernier étage. Et je regardais derrière moi, il y avait quinze mètres de vide. Mais c’était une crainte qui ne dépassait pas le cadre de l’inquiétude.
Catastrophe de Furiani – Source France 3 Catastrophe de Furiani – Source Midilibre Banderole – Source Sportsorange
Puis, la tribune a commencé à bouger ?
Oui, cinq minutes avant qu’elle ne s’écoule, la tribune bougeait de droite à gauche alors que le speaker Jean-Pierre Paoli demandait aux gens d’arrêter de taper des pieds. Mais moi, j’avais une ambiance écho pour L’Équipe à réaliser et je devais la rendre avant que ne débute le match. A l’époque, on travaillait avec des moyens, c’est à peine croyable. On avait la machine Tandy, première machine à traitement de texte. On mettait des bonnettes, espèce de gros écouteurs sur son téléphone et ça transmettait. Et j’avais appelé le papier « la nuit des Maures vivants ». Au fur et à mesure que les vibrations et tremblements s’accentuaient, je retapais le texte « Tremblement 8 sur l’échelle de Richter Papi ». Bref, je faisais même des petits jeux de mots, j’indiquais que le public n’était pas sympa avec Thierry Roland. J’étais complètement dans mon papier. Avant de l’envoyer, j’ai préféré appeler ma compagne, en lui disant quand même que je n’étais pas tranquille et que la tribune bougeait beaucoup. Et puis on est tombé et le papier n’est jamais parti.
Vous n’avez donc pas imaginé une seconde de quitter la tribune ?
Non. J’ai appris que des collègues journalistes avaient foutu le camp. Ils devaient s’occuper des interviews d’après matchs, et sentaient qu’il se passait quelque chose de sérieux. Moi, j’avais conscience que ça bougeait, mais j’étais dans mon métier, et la retranscription de ce que je vivais. A aucun moment, je me suis dit « Putain il faut se barrer ».
Comment se déroulent les jours suivants ?
Le premier verdict tombe et c’est la chaise roulante. J’ai fait un scanner à Bastia. Basile Boli que j’avais interviewé trois jours plus tôt, m’a reconnu et m’a mis de force dans l’ambulance car ils n’embarquaient que les corses. On est frère de sang avec Basile. Je l’ai toujours au téléphone Basile et à chaque fois qu’il y a du Basile Boli dans France Foot, c’est moi qui m’en occupe.
J’ai été opéré en catastrophe à Nice. Le chirurgien a été si brillant, que j’ai échappé à la chaise roulante qui m’était promise. J’ai eu ce qu’on appelle un syndrome queue de cheval, des vertèbres lombaires pétées, et la moelle épinière très endommagée. Ce qui fait que je n’ai pas de sensibilité dans une partie de la jambe et je prends des médicaments pour pisser. J’en passe et des meilleurs. Si je schématise, si tu me coupes la bite dans le sens longitudinal et tu prends le côté droit (ventre, cul, cuisse, jambe et pied), je n’ai aucune sensibilité. Je peux marcher dans les braises avec mon talon droit, je ne sens rien. Ça marche mais je ne ressens rien. C’est comme une anesthésie dentaire. C’est très bizarre.
Quelle a été la réaction du milieu sportif ?
Pfff…J’ai vu Jean Fournet-Fayard, président de la FFF le surlendemain à la télévision dire « ce n’est pas moi. Responsable mais pas coupable ». J’étais fou de rage. Avec Laurent Wetzel, mon partenaire de chambre, décédé depuis, on l’a vu se défausser en direct. Ça m’a levé le cœur.
Comment êtes-vous pris en charge par la suite ? Gardez-vous des séquelles de cette épreuve aujourd’hui ?
Je suis resté quinze jours en post-op à Nice puis dix jours à Lariboisière à Paris parce que mes analyses neurologiques n’étaient pas parfaites. Et après, je suis resté trois mois à la Salpêtrière pour traiter les problèmes urologiques, neurologiques assez lourds et que j’ai toujours.
Avec la fracture des lombaires, je suis fixe sur quatre vertèbres. Mais je suis toujours très heureux d’être en vie et d’avoir pu faire la Coupe du monde 1994, sans chaise roulante.
Psychologiquement, ce genre d’évènement laisse des traces j’imagine ?
C’est rigolo parce que je me suis aperçu des dégâts psychologiques il y a tout juste dix ans. Je pense que ça a cassé mon ambition. En 1992, j’étais un espoir dont on parlait beaucoup, je faisais l’équipe de France avec Patrick Urbini. Et je suis reparti en bas de l’échelle, avec des gens qui n’étaient pas mes amis directs. Et je n’ai jamais retrouvé cette gâche-là. Je suis reparti sur autre chose et en même temps, ça n’a fait qu’accentuer le recul que j’avais sur le milieu.
Parallèlement à mon état physique et mental, les médias sont devenus de plus en plus hystériques. Et personnellement, j’avais de bonnes raisons de ne pas prendre ce pli-là et être sur le recul frein. Quelque part, cette chute à Furiani est la cause du cirque footballistique.
C’est-à-dire ?
C’est à cause de ce qu’est devenu le foot que nous avons eu cet accident. C’est cette folie du foot, voulant que Tapie et consorts organisent dare-dare la demi-finale de Coupe de France, cette recherche du pognon, du retentissement audiovisuel, du foot spectacle qui est responsable de Furiani, comme le Heysel quelques temps avant. C’est l’hystérie de l’instant, du profit tout de suite. Et moi, je n’aime pas le « tout de suite », et c’est la raison pour laquelle je n’aime pas les médias d’aujourd’hui. C’est pour ça qu’on ne me voit jamais à la radio ou à la télé. Mais on en reparlera.
C’est cette folie du foot, voulant que Tapie et consorts organisent dare-dare la demi-finale de Coupe de France, cette recherche du pognon, du retentissement audiovisuel, du foot spectacle qui est responsable de Furiani
Avec 2357 blessés, 18 morts… Bastia, relayé par beaucoup d’amoureux du foot, de clubs de supporters partout en France, d’anciens joueurs, œuvrent pour que la date du 5 mai soit exclue du calendrier national. Pourquoi la ligue n’y répond pas encore favorablement, même si certaines avancées sont à noter en la matière ? Comment expliquez-vous ces 30 ans passés ?
Je suis solidaire de cette initiative à 100%. Mais j’ai des potes journalistes qui ne comprennent pas et aimeraient fêter ça autrement. Mais oui, ça fait bientôt trente ans de Noman’s land que j’explique par Le Graët et Canal+. Quand Canal+ étaient les tauliers du foot, c’était insupportable économiquement pour eux de faire disparaître des dates. Quant à Le Graët, c’est un politicien fini, toujours à ménager la chèvre et le chou… « oui peut être que, nous allons, mais enfin il faut en parler avant ». Bon an mal an, on a gagné du temps, et il a fallu presque trente ans. L’assemblée nationale a donné le feu vert, mais j’attends toujours la décision des sénateurs pour que cette date soit exclue du football français. Quand on sera revenu dans une politique économique « normale », les annonceurs auront le temps d’utiliser la lenteur administrative pour faire du lobbying afin qu’on opte plutôt pour une minute d’applaudissement.
Ça serait un vrai échec ?
Oui une minute d’applaudissement, c’est que dalle. Alors on va me dire « oui mais Sheffield, ils applaudissent ». Mais applaudir en Angleterre c’est différent. En Angleterre, tout le monde se souvient, applaudit, est ému et a de la mémoire. Ce pays est tellement différent culturellement. En France, personne n’en a rien à foutre d’applaudir. Et du coup, il faut forcer les gens à s’arrêter sur cet événement et commémorer.
C’est l’une des plus grandes catastrophes du Sport Français et la plus grande concernant le foot avec 18 morts, 2357 blessés. J’ajoute que tu fais une bonne action vis-à-vis des corses. J’y suis retourné pour les 20 et 25 ans, et quand tu te balades dans Bastia, tu vois plein de chaises roulantes. Sur les plus de 2300 blessés, il y a eu 500 paraplégiques. Je comprends que les corses tiennent à ce qu’on commémore cette catastrophe. Et j’ajouterai que marquer le coup en excluant le 5 Mai des compétitions redonne un peu de passé à une culture française qui n’en a pas. Les gens qui ne veulent pas qu’on s’arrête là-dessus sont les mêmes qui n’en ont rien à foutre des musées et de la culture footballistique.
Dans la seconde partie de l’entretien, Jean-Marie abordera sa vision du journaliste et l’évolution des médias.