WEB – Entretien avec Nicolas COUGOT, fondateur de Lucarne Opposée

Nicolas Cougot - LO
Nicolas COUGOT – Source [1]

Site spécialisé dans le football non européen, Lucarne Opposée (LO) produit des podcasts réguliers concernant chacune des confédérations. L’aventure LO, ce sont aussi des émissions quotidiennes pour faire vivre la Copa Ameria, la CAN ou la Coupe du Monde 2018 des quatre coins du globe, et un magazine papier autour de la culture football. Qui se cache derrière Lucarne opposée ? Comment ce blog amateur est devenu en 10 ans un média indépendant professionnel et reconnu sur la toile ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre, avec Nicolas Cougot, fondateur du site et rédacteur en chef, qui nous fait le plaisir de revenir sur son parcours et ses activités.

Bonjour Nicolas et merci d’avoir accepté notre invitation. Avant toute chose, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, merci pour l’invitation surtout. Alors Nicolas Cougot, journaliste indépendant (comprendre pigiste à durée indéterminée), créateur et rédac chef de Lucarne Opposée, la quarantaine bien passée.

Dans quel contexte avez-vous grandi ?

J’ai grandi dans la région bordelaise, le temps passé entre la vie en famille dans le médoc, l’école et le foot à Bordeaux. Jusqu’à l’entrée à l’université avec ensuite le départ de la région.

Comment est apparu le football dans votre vie ? Quels sont vos premiers souvenirs de football ?

J’ai grandi dans une famille qui n’est pas forcément une famille de footeux comme on dit, mon père aimait bien mais n’est pas addict à ce sport. J’imagine que le foot a commencé à s’ancrer en moi avec l’EURO 84, mon premier grand souvenir. Je n’avais pas encore huit ans, on venait d’avoir la télé couleur à la maison, je sais que cette phrase sort d’un autre temps. Je me souviens du France – Danemark en ouverture, du coup de boule d’Amoros…

Puis je vivais dans la région bordelaise et les années 80, Bordeaux domine outrageusement donc mes premiers souvenirs de matchs sont forcément liés aux Girondins. Je me rappelle de mon premier match à Lescure, un Bordeaux – PSG, j’ai joué aux Girondins quand j’étais gosse, c’était mon premier club, il n’y avait pas d’autre possibilité à mes yeux. Des souvenirs plus précis remontent à mes 8-9-10 ans, ce sont souvent des extraits, des séquences de matchs ou quelques-uns au stade. On n’y allait pas souvent et il n’y avait pas autant de foot à la télé à cette époque. Puis je me souviens du choc Diego en 86.

Vous êtes supporter des girondins j’imagine ?

Oui, je suis les Girondins. Il n’y a pas d’autre place. Je fais partie des vieux, ceux qui se battent désormais avec leurs gosses pour leur dire « je te jure, Bordeaux est un grand club », ceux qui se font désormais vanner par leur fils fan de foot alors qu’il supporte Rennes… À l’étranger, j’ai évidemment des clubs que j’aime particulièrement aux quatre coins du monde, mais je ne suis pas supporter comme je le suis avec Bordeaux. Mon cœur est avant tout marine et blanc.

Aviez-vous des modèles de footballeurs ?

Enfant, j’étais fan de Giresse. Il reste totalement intouchable, je rêve de le rencontrer même si je sais que je vais bloquer et probablement être incapable de parler Puis Diego Maradona a été un choc absolu que je n’ai pas encore oublié, ce qui fait que le footballeur Maradona est à part pour moi. Après, je ne sais pas si ce sont des modèles, disons que mon football idéal est peuplé de joueurs comme Van Basten, Batistuta, Trezeguet, Riquelme, Ronaldo (le Brésilien).

Comment est venue cette attirance pour le football sud-américain ?

Bonne question. Je pense que Diego est vraiment le déclencheur. Ensuite, tu croises les sud-américains qui débarquent en Europe, puis tu as enfin accès aux compétitions continentales. Merci internet. Et une fois que tu commences à tomber dedans, le football n’est plus le même. Tu ne peux plus revenir.

A quel moment est né le projet d’un site sur le football Sud-Américain ? Comment tout a commencé ? Pourquoi ce nom « Lucarne Opposée » ?

Il est né fin 2008, il n’était pas véritablement un « projet » en tant que tel. Au départ, c’était juste un petit blog que je tenais dans mon coin, pour parler du football que je suivais, que j’aimais ou pas. Au départ et encore aujourd’hui, ce n’était pas forcément que Sudam, d’ailleurs, le premier billet parle de la Coupe du Monde féminine des u20, puis rapidement, je fais un dossier sur le football en Australie… Pourquoi Lucarne Opposée ? C’était un jeu de mot entre le football que je suivais et celui qui faisait les unes des grands médias, parce que déjà à l’époque, je m’éloignais de plus en plus de ce dernier.

Quelle était la ligne éditoriale au tout départ de l’aventure ?

Au final, elle était à peu près la même qu’aujourd’hui mais en beaucoup moins complète, c’était plus une ébauche. L’idée était de faire découvrir d’autres footballs, de donner envie aux gens de s’y intéresser. C’est toujours ce qui nous guide aujourd’hui.

Vous avez longtemps été « amateur », en exerçant un travail à côté. Quel poste occupiez-vous ?

J’étais chercheur post-doctorant au CNRS. Je faisais de la biologie cellulaire, mes journées se passaient derrière des microscopes à étudier des mécanismes qui lorsque dérégulés étaient impliqués dans des phénomènes cancéreux.

Comment était-ce compatible ? Combien de temps consacriez-vous à votre site par semaine ?

C’était un blog, donc sans « pression » en termes de production du contenu. Donc c’était facile à rendre compatible avec mon vrai métier. Je bossais sur LO la nuit, je dors très peu donc ça aide. Mais au final, je devais y passer quelques dizaines d’heures par semaine.

A quel moment le site est devenu un « média professionnel » ?

Le tournant c’est 2014-2015. En 2014, je décide que ma vie de chercheur est terminée, j’arrête tout. Le temps de se mettre les idées dans le bon sens, de voir ce que j’ai véritablement envie de faire, je me tourne vers LO qui change alors. Et ça va assez vite en fait.

Chercheur au CNRS… c’est 10 ans d’études et de sacrifices. Qu’est ce qui a motivé ce choix de laisser ce métier pour se lancer dans l’aventure du journalisme, qui est instable et précaire ?

C’est une question à 1000 € ça (rires). Bon déjà, post-doc au CNRS, c’est aussi un métier instable et précaire. On ne se rend pas compte à quel point les gamins qui entrent dans un cursus universitaire qui les conduira à la thèse puis à la recherche académique n’ont absolument pas choisi la facilité, bien au contraire, il faut les encourager parce qu’ils ont choisi un sacré chemin dont les moyens diminuent d’années en années (merci aux politiques menées). On vit de CDD en CDD au gré des demandes de financements. Et quand on en obtient, c’est max 2 ans de « tranquillité ». Donc dans l’absolu, c’est pareil. Et là aussi, la seule chose qui peut te porter, te pousser à continuer, c’est de garder la flamme. Personnellement, je pense qu’elle s’est éteinte. J’en ai eu marre de vadrouiller de ville en ville, de passer mon temps à courir après des carottes qui n’existent pas, de me heurter à devoir stopper des projets mis en place depuis des années par manque de moyens, d’aller quémander auprès de jurys, composés souvent de tes compétiteurs directs qui n’ont donc aucun intérêt à ce que tu poursuives, demander l’autorisation de pouvoir travailler encore quelques mois ou obtenir un poste. Je pense que j’étais usé de tout cela et ça a tué le feu intérieur. On m’a dit une fois que j’avais une vision trop romantique de la science, je ne voulais que passer mon temps à poser des questions, proposer des expériences pour y répondre, m’asseoir au microscope pour voir tout cela, obtenir des résultats qui généraient de nouvelles questions et recommencer. Quand j’ai compris que je n’aurais jamais le moindre poste, la moindre stabilité d’emploi, qu’on ne me permettrait jamais de bosser tranquillement, c’en était fini de tout cela. Qu’importe les 10 ans d’études (un peu moins en fait, j’ai fait ma thèse en 3 ans), les prix de thèses et autres trucs que tu accomplis pour « faire tes preuves », le ressort était cassé. Et pourtant, chercheur, c’est le plus beau métier du monde, il ne faut pas s’y tromper.

Quelle est alors l’étape de lancement de LO version professionnelle ?

Début 2015, on lance le financement participatif pour couvrir la Copa America au Chili, il fonctionne alors qu’on avait demandé une somme totalement folle (7000€). Entre-temps, Ma Chaine Sport m’avait appelé pour venir commenter des matchs sud-américains. C’était parti. Depuis, l’idée est toujours la même : Continuer de développer notre média, d’aller plus loin par de la production d’écrits, la réalisation de reportages, bref, plein de projets.

Chili 2015
Copa America 2015Source lucarne-opposée

Journalistes, magazines, journaux… Aviez-vous des références en la matière ?

Pour être franc, je n’ai aucun modèle de journaliste. Je n’ai pas une vraie culture du milieu journalistique, je viens d’un autre monde donc je n’ai pas de modèles, je n’ai pas une ou des références qui m’ont marqué. Après, en termes de médias, j’avoue que les Cahiers du Foot restent pour moi la référence en France, et sur les modèles magazines/journaux, la référence ultime reste The Blizzard.

Comment êtes-vous financés ? Combien rapporte votre site ?

On n’est pas financés. LO ne nous rapporte rien, ni à moi, ni à ceux qui écrivent dessus. On a réussi avec le magazine papier à générer quelques entrées d’argents qui sont pour l’instant uniquement utilisées pour l’achat de matériel ou participer aux reportages que l’on fait. On a couvert une partie des frais au Brésil par exemple grâce à cela, on a financé du matériel pour la production de nos podcasts, le reportage sur la sélection de Martinique.

Votre site ne comporte aucune pub… J’imagine que vous avez été sollicité. Pourquoi un tel choix ?

Parce que je ne crois pas au modèle du financement par la pub. C’est peut-être (sans doute) une erreur mais j’attends qu’on me démontre le contraire. Je préfère que l’on produise quelque chose que les gens aient envie d’acheter, proposer un produit donc, plutôt que mettre des pubs. C’est d’ailleurs dans cette direction que l’on travaille et on va bientôt faire appel à nos lecteurs/auditeurs pour nous aider à cela parce qu’on a décidé d’aller plus loin dans la « fabrication » de contenus estampillés LO.

Comment vivez-vous financièrement ?

Je m’accroche et j’ai la chance d’avoir la meilleure femme du monde. Je cours après les piges et me heurte souvent au manque d’intérêt du foot Sudam chez les grands médias (donc je possède une collection unique de refus, mais bon, on est des milliers comme ça). Je ne te cache pas que c’est de plus en plus difficile, que je ne tiendrai pas des années comme cela. Mais je ne suis pas là pour m’apitoyer sur mon sort, je l’ai choisi. Après, c’est aussi pour ça que LO va devoir changer dans les prochains mois en faisant éclore de nouveaux projets. Sinon, ce sera probablement la fin.

Combien de personnes travaillent aujourd’hui pour Lucarne Opposée ? Combien de personnes se consacrent à 100% au site ? Et combien ont gardé une activité à côté ?

Nous sommes 21 au total. De par notre absence totale de financement, personne ne peut se consacrer à 100% au site, même si je t’avoue que je suis proche des 95% et y passer 12h/jour. On a tous les profils sur LO : des étudiants, des pigistes, des gens qui ont un autre métier à côté.

Où sont basées vos collègues ? Comment s’accommoder des décalages horaires ?

Ils sont un peu partout. Beaucoup sont en France mais on a des gens sur place dans certains pays (Colombie, Pérou, Chili), on en a qui font des allers-retours vers leur pays de prédilection, etc… L’organisation est simple, on a un outil de communication entre nous, ouvert 24h/24, on tourne aussi avec WhatsApp, bref, on est en relation constante, donc c’est assez simple. Concernant les décalages horaire, ce n’est pas vraiment un souci, je dors peu donc suis assez joignable.

Au-delà de l’approche terrain, votre site est également un voyage à travers la rubrique « culture football ». C’est une rubrique qui doit bien marcher, j’imagine. Avez-vous senti un manque dans les grands médias de foot à ce niveau ?

Je ne sais pas. Il y a quand même des grands formats plutôt bien faits sur L’équipe, des papiers plus culture foot dans France Football par exemple. Après, j’avoue qu’on n’a pas créé cette rubrique par rapport aux grands médias. Comme je disais, on a une idée directrice : donner envie aux gens de suivre nos footballs. Et dans mon esprit, pour que quelqu’un s’intéresse à un football, quel qu’il soit, il d’une part qu’il puisse suivre son actualité. Cela passe par un suivi des championnats/compétitions continentales, portraits de joueurs actuels. Mais d’autre part qu’il connaisse mieux son histoire, d’où les articles culture-foot.

Vous avez couvert la Copa America en 2015 sur place au Chili, vous étiez présents également au Brésil cette année. Comment s’organise un tel évènement ? Êtes-vous connectés avec des personnes sur place ?

Pour le Chili, c’était les débuts de LO en tant que projet pro. On a fait quelques erreurs sur l’organisation et sans doute celui de n’avoir que trop focalisé sur la compétition. On n’était parti sans aucun contact sur place, rien, l’idée c’était de couvrir le max de matchs. Ce qu’on a fait puisqu’on en a couvert 15 entre l’ouverture et la finale. Ça a été un mois de sprint, on est rentrés totalement rincés mais fiers de ce qu’on avait fait et vécu.

Cette année au Brésil, vous vous êtes organisés différemment ?

Oui, le Brésil a été différent. On est parti à quatre, on avait une expérience des reportages à l’étranger puisqu’on avait tourné au Mexique sur l’America, suivi la Martinique. On savait ce qu’on voulait faire et comment le faire. L’idée était de bien mixer football actuel (la Copa 2019) et culture-foot (les reportages).

Exemple d'article Culture Foot LO
Exemple d’article Culture Foot LO Source Lucarne-opposée

On a pris davantage notre temps, on a eu plus l’occasion de se plonger dans le football auriverde. On n’avait pas réussi à être accrédités, alors on a couvert six matchs depuis les tribunes et passé le reste du temps à tourner des reportages à São Paulo, Rio et Belo Horizonte. On est entré en contact avec des gens sur place oui, on a pris le temps de les trouver et préparer avec eux. On se retrouve avec plus de cinq heures d’entretiens à transcrire, près d’une dizaine de reportages à monter/produire mais surtout, on a vécu des choses exceptionnelles, on va faire découvrir des gens, des clubs, des projets, c’est assez fou.

Comment se prépare la couverture d’un tel événement ?

Le Chili, c’était l’inconnue donc on s’est préparé uniquement pour couvrir les matchs, on découvrait ce à quoi ressemblait la couverture d’une compétition en étant accrédités (car on l’était). Au Brésil, il y a eu un travail en amont au niveau des reportages que l’on souhaitait réaliser en parallèle (leur choix, l’angle). On n’était pas accrédités cette année, donc ça changeait aussi notre approche et notre couverture de la compétition. On y est allé plus nombreux, ce qui permettait aussi une meilleure répartition des rôles et de mieux réaliser l’ensemble.

Comment est vécu le football dans ces deux régions du globe que sont l’Amérique (et l’Amérique du Sud) et l’Afrique ?

C’est difficile de généraliser. Néanmoins, pour moi l’AmSud et l’Afrique sont les mêmes : le football se vit intensément, la passion est immense et surtout, il n’est pas qu’un sport. Il est un vecteur social, un générateur d’histoires, il percute souvent la grande histoire, il est fou, capable de tout (dans tous les sens du terme), entier, total. Ces deux continents sont frères jumeaux.

Comment le football européen est perçu dans les différentes conférences du globe ?

Il est vécu avec un respect qui ne me parait pas bien réciproque (en tout cas chez nous). Il est souvent un modèle à suivre, beaucoup s’en inspirent (parfois malheureusement au détriment de ce qui fait la spécificité locale), viennent voir comment le foot européen et ses clubs sont organisés. Puis du côté des fans, il est suivi avec attention, souvent parce que les grands joueurs des pays concernés y évoluent.

Quels sont les grands souvenirs de la Copa America 2015 et 2019 ? Si vous aviez deux anecdotes à nous raconter pour chacune d’entre elles, quelles seraient-elles ?

Les plus beaux souvenirs au Chili sont forcément liés à la compétition : l’hymne chilien au Nacional, celui chanté a capella face à la Bolivie et conclu par le but du 5-0… J’en ai encore les frissons. Je retiens également la chaleur du Colombie-Brésil post-Coupe du Monde, l’ambiance était folle. Je me souviens de notre folie de faire Santiago – Antafagasta puis Antofagasta – Rancagua en trois jours. Pour vous donner une idée, il y a environ 1400 km entre Santiago et Antofagasta et une centaine de plus pour faire Antofagasta – Rancagua. On les a faits en voiture (on a tout fait en voiture au Chili). La traversée du désert d’Atacama de nuit à l’aller, était immense. Le retour dans la foulée du match Uruguay – Jamaïque (parce qu’on devait être à Colombie-Venezuela le lendemain en début d’après-midi) c’était pas mal non plus avec à 3h du mat, au milieu du désert, le fait d’être arrêtés par la police et manquer d’un rien d’écraser le policier au milieu de la route…

Et au Brésil ?

Au Brésil, les souvenirs des à-côtés sont plus nombreux. Le plus marquant reste Rio qui est une ville incroyable. Les déplacements en dehors de la ville, les reportages. On a marché sur les traces de géants locaux, on a rencontré pour certains leurs descendants, on est allé voir des clubs qui ont autrefois fait l’histoire du foot brésilien, on est allé dans une favela rencontrer une association locale. Je ne peux pas trop en dire pour ne pas dévoiler tous nos reportages tant qu’ils ne sont pas montés, mais il y a énormément d’images gravées. Sinon, comme anecdote je peux citer celle Claudio Borghi, ancien sélectionneur du Chili par exemple, croisé à la boutique de Flamengo, ou encore les chèvres de Pau Grande que l’on a cherchées partout avant de finalement en trouver quelques-unes. Les fans de Garrincha comprendront la référence.

Arrivez-vous à obtenir des accréditations pour couvrir de tels tournois ?

En 2015 oui, sans aucun problème. En 2016 aussi, on avait une personne sur place à la Copa América Centenario qui a été accréditée pour la compétition. Cette année, malheureusement non…pas pour des raisons de « carte de presse » mais pour une affaire d’organisation à la Brésilienne je dirai.

Votre manière de travailler est-elle la même entre une couverture de la Copa America et la CAN ? Adaptez-vous votre approche de travail au contexte culturel ?

On a la chance d’avoir toujours soit un local de l’étape, soit un spécialiste qui a déjà vécu sur le continent ou dans le pays. Lorsque l’on part en Afrique faire des reportages ou des insides, la personne qui le fait connait le contexte local. Pareil lorsqu’on part en reportage ailleurs dans le monde. Donc dans un sens, on s’adapte au contexte culturel même si notre approche reste la même au départ. Dès que l’on s’intéresse à une compétition, qu’on veut et va la couvrir, l’idée reste de susciter la curiosité.

Votre activité vous a certainement permis de faire de formidables rencontres et se construire de superbes souvenirs… Quelles sont les personnes phare que vous avez en tête ?

Oui, on commence à accumuler les souvenirs. Je garde un souvenir ému de Francisco Reyes alors responsable presse de l’America au Mexique, qui a été adorable avec nous, nous accueillait en criant en français « mes amis ! » lorsqu’on arrivait devant le portail bleu du centre d’entraînement sous les yeux ébahis des journalistes mexicains qui attendaient.

portailbleu

On a été reçu comme des princes au Mexique, on a eu un accès total, même à l’Azteca où on pouvait aller où bon nous semblait, jusqu’à sur le terrain un soir de clasico. C’était exceptionnel. Au Brésil, les rencontres ont été nombreuses : les gamins de l’association Gol de Letra et les responsables de l’asso, les anciens joueurs de grands clubs, les gens croisés à Pau Grande ou à São Cristovão. En fait, en me remémorant tout cela, je me rends compte d’une chose : l’incroyable bienveillance de tout le monde. Dès lors qu’il s’agit de parler de leur club, de leur travail, de leur histoire, on se rend compte que les gens sont fiers de vouloir parler de leur club et donc nous ouvrent toutes les portes. C’est sans doute ce qu’il manque en France par exemple où l’on ne rencontre que des portes closes.

Le fait de ne pas avoir de carte de presse est un inconvénient j’imagine en France ? Ceci explique ce frein ? L’avez-vous ressenti ? Vous n’avez jamais pensé reprendre vos études ?

C’est clairement un frein en France. En fait c’est clair, toutes les portes nous sont fermées en France, la seule exception, et je la cite parce que c’est suffisamment rare, c’est l’OGC Nice qui nous a accueillis comme un vrai média. Notre chance, c’est qu’on ne couvre pas le football français et que lorsque l’on voyage, que l’on va à la rencontre d’un club, comme je l’expliquais à l’instant, on n’a absolument aucun problème. Concernant les études, j’ai passé la quarantaine, j’ai déjà passé près de 10 ans sur les bancs de la fac, je ne suis pas certain que ma femme aimerait me voir y retourner.

Avec votre expertise du football Américain, Sud-Américain, des grands médias français ou étrangers, clubs ou recruteur vous ont-ils proposé des postes, des piges ou des conseils ?

Des conseils, j’avoue que je n’en donne plus, m’étant suffisamment fait avoir notamment par des agents/intermédiaires. Je n’ai eu aucune proposition de clubs, mais je suis disponible, s’ils nous lisent, qu’ils n’hésitent pas. Dans les médias, pas de poste non plus (je n’ai pas envoyé le moindre CV non plus donc bon), mais des piges, surtout à MCS/SFR/RMC, où j’ai eu la chance de commenter une centaine de matchs nord et sudams, de participer à cette magnifique émission qu’était 91e avec Nicolas Vilas, d’être consultant parfois. Mais il y a eu aussi des piges pour Europe 1, des passages radio/télé (RFI, RT France) et plus récemment une publication à FranceFootball. Toutes ces choses nous donnent envie d’en vivre d’autres. Là encore, je suis disponible.

Avez-vous le sentiment de faire du journalisme sans être journaliste ?

Pour tout dire, et sans vouloir paraître prétentieux, je me considère journaliste. Je prends très mal quand on me décrit – et quand on décrit l’un des rédacteurs de LO – comme un simple « suiveur » ou « connaisseur ». Je trouve cela insultant, encore plus quand cela vient d’autres indépendants d’ailleurs.

Quelle est votre vision du métier de journaliste ?

Pour moi, un journaliste doit susciter la curiosité, donner envie de s’intéresser au sujet qu’il propose. Il n’est pas là pour faire transparaître son avis, il est juste un passeur d’histoires.

Quelles sont les règles de travail ou morales que vous vous fixez ? Quels sont les pièges à éviter ?

Pour moi, il n’y a que deux règles : rigueur et objectivité. La rigueur, elle permet de respecter le lecteur/auditeur, il s’agit d’être précis, pointu, dès lors que l’on s’attaque à un sujet. J’ai déjà entendu des commentaires de type « faut pas aller trop loin, ce n’est pas ce que veut le lecteur », ce n’est pas vrai. On peut être super pointu sur un sujet à partir du moment où l’on raconte une histoire avec rigueur et envie de faire naître la curiosité. Le lecteur suivra toujours si on l’emmène dans une histoire. Mais cela signifie qu’il n’y a pour moi pas de place à l’improvisation : Tout doit être préparé, méticuleusement travaillé, documenté. L’objectivité, c’est celle qui ne laisse aucune place à l’avis personnel. Je considère que le lecteur (ou l’auditeur) se moque totalement de ce que je pense, je ne suis pas là pour donner mon avis, je suis là pour lui raconter une histoire. Ça fait un peu donneur de leçon, et je ne suis personne pour en donner, mais c’est d’ailleurs, je trouve, le piège des temps modernes avec la multiplication des émissions de talk-show, dont je ne suis pas client. Je trouve qu’elles ont tendance à faire confondre angle et parti pris.

On sent la patte de l’ancien chercheur, scientifique dans vos propos. Pensez-vous que votre ancien métier est un vrai plus dans un milieu ou majoritairement les journalistes sont des « littéraires » ?

Je ne pense pas qu’il y ait une route directe vers le journalisme, qu’il soit nécessaire d’être plus littéraire que scientifique ou inversement (même si évidemment, il faut savoir écrire un minimum quand même). Je pense que la base, c’est l’envie de raconter des histoires. Ensuite, lorsqu’on se laisse emporter par celles-ci, les mots viennent tous seuls.

Qu’est-ce que vous avez gardé de votre passé de chercheur au CNRS ?

Probablement la rigueur, le désir de précision et le besoin de faire un gros travail de bibliographie pour chaque article culture foot.

Au fil des années, vous avez diversifié votre activité, à travers une chaine Youtube, la création de podcasts… Internet, les podcasts et Youtube sont-ils des alternatives aux grands médias professionnels ?

Très clairement. À notre niveau, aucun grand média ne va s’intéresser à nos productions (je parle en termes de partenariat ou relations véritablement professionnelles). Notre visibilité, elle n’est donc que sur notre site. Mais, on reste sur une niche et si l’on veut exister auprès du grand public, il nous faut des espaces en dehors de notre site web. Cela veut dire production de podcasts que l’on peut déposer sur plusieurs plateformes et émissions/reportages sur Youtube. Youtube offre la possibilité de produire notre propre contenu et l’offrir à tous à une plus grande échelle. C’est clairement l’un de nos axes de développement, on prépare des émissions, des reportages…

Vous avez également créé un magazine « LO ». A l’heure où la presse papier est en souffrance, c’est un choix osé et courageux. Pour quelles raisons avoir lancé ce magazine ? Quels étaient les objectifs ?

Osé et courageux je ne sais pas, on est quand même sur une niche, on ne tire pas à 50 000 exemplaires par numéro, même si j’en rêve hein. On a lancé le mag dans l’idée de produire un objet que les gens pourraient garder. On s’est vite rendu compte que le contenu publié sur le web se dissout dans le temps, on a tendance à oublier les écrits en ligne, alors que paradoxalement, ils restent disponibles. Avec un mag, on peut raconter nos histoires et les gens peuvent les emmener avec eux. C’était l’idée. Et puis, cela permettait aussi de générer quelques entrées d’argent qui serviraient à nous développer (je ne parle pas de nous payer encore, on en est loin). Et dans les faits, comme je le disais, on a pu acheter du matériel, couvrir quelques frais pour des reportages grâce à cela.

Papiers, Site internet, Audio et vidéo, quel média permet le mieux de vous exprimer ?

Chacun offre des possibilités différentes de raconter des histoires. À titre personnel, je n’ai pas de préférence même si évidemment, j’ai une affection particulière pour le papier, en tant qu’objet.

Les réseaux sociaux sont un formidable outil, mais peuvent être également un piège… Comment vous accommodez-vous des nouvelles technologies ?

Le principal danger c’est de considérer que les Réseaux Sociaux sont la vraie vie. C’est un débat intense à la rédac de LO, c’est un prisme déformant. J’avoue ne pas maîtriser véritablement Facebook et lui préférer Twitter, que je trouve plus propice aux échanges. Je ne réfléchis pas trop à comment aborder les réseaux, je n’ai pas de « plan de communication » à ce sujet, c’est le seul endroit où je laisse place à l’improvisation.

Enfin une dernière question. Le livre « Lucarne Opposée », vous y pensez ?

On pense aux livres LO. Ils sont dans un grand projet que l’on va lancer à la rentrée avec une campagne de financement participatif. Ils font partie de la prochaine étape de notre développement

Nous tenons à remercier Nicolas pour sa disponibilité et son professionnalisme, et nous lui souhaitons bonne continuation dans ses différents projets. N’hésitez pas à faire un tour sur le site lucarne-opposee et commander les magazines LO.

JM