

Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, Me Thierry GRANTURCO est spécialiste de droit du Sport et baigne dans le milieu du football professionnel depuis plus de 25 ans. Il est notamment l’un des avocats conseil de la commission européenne dans le cadre de l’arrêt Bosman rendu en 1995 par la Cour de Justice de l’Union Européenne. C’est avec grand plaisir que nous avons pu échanger avec lui et revenir sur son parcours et son expertise en matière juridique.
LA DÉCOUVERTE DU SPORT
Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvez-vous revenir sur votre enfance, le contexte dans lequel vous avez grandi ?
Je suis né au sein d’une famille italienne, à Lyon, où j’ai grandi dans les quartiers alors très populaires de Gerland. J’ai eu la chance d’être entouré de parents aimants et d’une famille très soudée, comme le sont souvent les familles d’immigrés.
Quels sont vos premiers souvenirs de football ?
Dans mon quartier, au milieu de la cité, il y avait un mini-terrain de foot en bitume, avec des graviers. Quand on tombait, on s’en souvenait longtemps. Mes premiers souvenirs sont donc des souvenirs d’enfant, puis d’adolescent, avec mes amis, à se faire des heures et des heures de foot. A se chambrer, à jouer à la vie à la mort.
Jeunes, aviez-vous des idoles ?
L’idole des gens de ma génération, c’était Platini. Qui d’autre ? Mais à part lui, personne. C’est le seul joueur que j’ai idolâtré.


Etiez-vous supporter d’un club ?
Oui, supporter de l’OL, le club de mon cœur. J’y ai joué pendant très longtemps et je continue de suivre les performances du club de très près.
Vous avez également touché le doigt du sport de haut niveau. Pouvez-vous revenir sur ce passage à l’OL, votre arrivée au club, votre poste, votre expérience au centre de formation… et votre départ de l’OL ?
J’ai grandi à Gerland, donc le club de quartier pour moi, c’était l’OL. J’y ai signé dès l’âge de 5 ans, un an avant l’âge autorisé à l’époque. J’ai fait toutes mes classes à l’OL en remportant tous les championnats possibles et imaginables chez les jeunes.
Le président Aulas est arrivé, il a nommé Raymond Domenech à la tête de l’équipe pro, le club s’est professionnalisé et il n’y avait plus de place pour un jeune qui étudiait et qui s’entraînait quand il pouvait.
J’ai été 2 fois champion de France et été international scolaire, comme on disait à l’époque. J’ai intégré le centre de formation du club vers mes 17 ans, tout en passant mon baccalauréat, ce qui était rare à l’époque. J’ai joué en D3 (National) puisque le football était alors organisé différemment, j’ai intégré le groupe pro à l’entrainement tout en continuant mes études de droit. Puis le Président Aulas est arrivé, il a nommé Raymond Domenech à la tête de l’équipe pro, le club s’est professionnalisé et il n’y avait plus de place pour un jeune qui étudiait et qui s’entraînait quand il pouvait.
On m’a demandé d’arrêter les études. J’étais en maitrise de droit et j’allais passer le concours d’avocat. J’ai refusé et j’ai donc dû quitter le club.
UNE CARRIÈRE D’AVOCAT SPÉCIALISTE DE DROIT DU SPORT
Sport et Régulations
A travers votre départ de l’OL, comment le droit du sport est venu à vous ?
Je suis devenu avocat très jeune et beaucoup de mes amis étaient alors joueurs pros. Donc bien que plutôt spécialiste de droit des affaires, ils m’ont très vite confié leurs intérêts. Cela les rassurait de savoir que je connaissais bien le foot, les intérêts des uns et des autres et les us et coutumes du milieu.
Je suis donc très vite devenu l’avocat de joueurs, de coaches, de clubs, puis de la FFF, de l’UCPF, de l’UEFA et finalement de la FIFA.

Accord de Cotonou en 1976, Arrêt Bosman en 95, Jurisprudence Malaga en 2002… Pouvez-vous revenir sur ces grandes décisions qui ont régulé le sport et le droit du football professionnel ?
Ce qu’il faut retenir de l’évolution du droit et de la jurisprudence en la matière est en réalité relativement simple. Essayons d’être didactique plutôt que technique. « Joue simple Thierry » dirait un coach.
En réalité, la règlementation du sport a longtemps été coupée de tout lien organique avec le droit ordinaire. Les fédérations internationales établissaient des règles, qui s’imposaient aux fédérations nationales, qui rajoutaient des couches de règlementation à leur niveau et au final, on aboutissait à un système auto-régulé. Dit autrement, le sport s’autogérait. Sauf que progressivement, le sport est devenu un business. Pour ce qui relève du foot, les clubs de foot sont devenus des entreprises, les joueurs sont devenus des travailleurs, les contrats commerciaux passés par les clubs avec des partenaires extérieurs se sont développés… Bref, le football est devenu une véritable activité économique.
Il n’y avait du coup plus vraiment de raison objective à ce que le foot échappe aux règles applicables aux autres activités économiques. Les dirigeants du foot ont très longtemps joué à faire l’autruche. C’était sans compter sur la Commission européenne, qui est chargée de faire respecter la bonne application du droit européen et qui, à un moment donné, à siffler la fin de la récréation.
Dans l’arrêt Bosman, qui est vraiment l’arrêt fondamental en la matière, elle a dit que le foot devait se plier au droit commun. Donc, puisqu’un joueur de foot professionnel a un contrat de travail, il faut le considérer juridiquement comme un travailleur. D’ailleurs, en France, c’est souvent devant le Conseil de Prud’hommes que les désaccords entre clubs-employeurs et joueurs-salariés se règlent. Et puisque c’est un travailleur, il doit pouvoir bénéficier de la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. La Commission européenne a donc intimé l’ordre à la FIFA de modifier son règlement sur les transferts internationaux de joueurs. Stupeur à Zurich ! La FIFA devait se soumettre à des règles de droit autres que celles qu’elle adopte elle-même.
A partir de là, la brèche était ouverte et d’autres arrêts ont été prononcés qui aujourd’hui remettent totalement en cause l’organisation même du sport au niveau international, européen et même national.

Chaque pays bénéficie de règlements sur le nombre de joueurs étrangers, extra-communautaires et formés dans leur championnat. Peut-on envisager une harmonisation de ces règles à l’avenir ?
Ces règles sont adoptées par les fédérations. Par conséquent, dès lors qu’elles n’enfreignent pas le droit commun, et notamment pour ce qui nous concerne, le droit de l’Union européenne et la liberté de circulation des travailleurs-joueurs, elles pourraient effectivement être harmonisées.
Ceci étant dit, comme chaque fédération essaye de protéger son football national, l’harmonisation est tout sauf évidente. Il serait ainsi – théoriquement – plus facile de limiter le nombre de joueurs étrangers au sein du championnat d’Albanie, peu attractif, qu’au sein du championnat anglais qui attire les plus grandes stars de la planète. Du coup, comment mettre d’accord l’Albanie et l’Angleterre ?
Une régulation du football sans un cadre offert à l’UEFA par l’Union Européenne est-elle possible ?
Non. Une fédération doit réguler un sport et sa pratique. Toutefois, elle ne doit pas et ne peut pas réguler, par exemple, les aspects liés à l’exploitation commerciale de son sport.
Pour prendre un exemple clair : ce n’est pas à l’Union européenne d’adopter les lois du jeu et d’expliquer quand il y a ou non hors-jeu. Mais, inversement, ce n’est pas à l’UEFA d’adopter les règles relatives à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. A chacun son domaine de compétence.
Offrir à l’UEFA toute l’autonomie pour réguler et légiférer son sport, est-ce légal ? Si oui, est-ce la solution ?
Non. Pour la raisons expliquées ci-dessus. Les acteurs du foot ne vivent pas sur une autre planète. Ils doivent s’adapter au droit commun et arrêter de constamment pleurnicher pour demander des exemptions à ceci, des exceptions à cela.
Le droit européen est-il compatible avec la notion d’équipe nationale ?
Oui bien sûr. Comme il l’est avec une armée nationale, des impôts nationaux, des charges sociales nationales, etc… L’Union européenne, ce n’est pas la disparition des nations. C’est leur coopération et leur intégration progressive, via le rapprochement des droits nationaux et parfois leur harmonisation. Mais ceci dit, il est étonnant, par exemple, qu’une sélection de l’Union européenne n’est jamais été constituée. De manière symbolique bien sûr. Mais cela aurait été un beau symbole de la construction de l’Union européenne.

Quelles seraient les conséquences d’un BREXIT sur le football anglais ? Comment le milieu pro (clubs, joueurs, agents et avocats dans le droit du sport) anticipent-ils cette possibilité ?
Elles sont difficiles à définir de manière certaine. On peut imaginer dans un premier temps une plus grande difficulté pour les clubs anglais à recruter des joueurs de l’Union européenne, puisque ceux-ci ne bénéficiant plus des dispositions communautaires sur la libre circulation des travailleurs, ils pourraient alors avoir à être soumis aux mêmes conditions d’entrée sur le territoire britannique que les autres joueurs étrangers. Et ces conditions, sont relativement sévères.
Nous pourrions aussi imaginer une dévaluation sérieuse de la livre sterling, qui viendrait impacter les salaires des joueurs ou la possibilité pour les clubs de recruter autant de joueurs étrangers qu’ils le font actuellement.
On pourrait imaginer que si les clubs anglais devaient avoir moins de joueurs étrangers dans leurs effectifs qu’aujourd’hui, les droits TV de la Premier League viendraient à baisser, notamment à l’international. Et que du coup, en chaîne, les ressources financières des clubs viennent à baisser.
Mais très franchement, tout ceci n’est que supputation. Je crois pour ma part que le foot anglais survivra très bien au Brexit. Qu’il s’agisse d’un Brexit dur ou d’un Brexit négocié.
Je crois pour ma part que le foot anglais survivra très bien au Brexit. Qu’il s’agisse d’un Brexit dur ou d’un Brexit négocié.
Les joueurs voulant rejoindre la Premier League sont-ils conscients de cet impact. Comment adaptez-vous les futurs contrats des joueurs à cette éventualité?
Aujourd’hui, personne ne voit très clairement ce que l’après Brexit donnera. Personne. Ceux qui viennent avec des points d’exclamation plutôt qu’avec des points d’interrogation, sont des rigolos.
Les joueurs et les clubs sont dans la même situation. Du coup, les avocats impliqués dans des deals avec des clubs de Premier League, négocient principalement des clauses palliant à une éventuelle dévaluation de la livre sterling en demandant à ce que les salaires des joueurs soient fixés en euros, et payés en livres sterling.
Relation joueurs/clubs et contrats
Vous êtes intervenu récemment dans le cadre du transfert de Harold Moukoudi à l’A.S.S.E. Quelles sont vos actions dans le cadre d’un transfert ?
J’estime qu’un avocat est un juriste. Pas un agent de joueurs. Donc, malgré ma connaissance profonde du football et de son milieu, je laisse l’agent faire son boulot. C’est à lui de trouver un club pour le joueur, d’analyser le discours du coach qui souhaite le recruter, d’évaluer le projet sportif du club, etc…
Je n’interviens que sur les aspects juridiques d’un transfert. Je dis souvent à mes confrères avocats de ne pas essayer de passer pour ce qu’ils ne sont pas, à savoir des agents. Et j’explique chaque fois que je le peux aux agents, qu’ils ne doivent pas essayer de se prendre pour ce qu’ils ne sont pas, à savoir des avocats.
On entend souvent qu’un club de foot est une entreprise comme une autre. En quoi diffère-t-il d’un point de vue du droit et des contrats ?
Un club est effectivement une entreprise agissant sur un marché économique qui est l’occurrence celui du football. C’est ce que la Cour de Justice de l’Union européenne n’a cessé de répéter, avec constance et détermination, au monde du football.
Donc l’entreprise-club doit appliquer le droit commun dès lors qu’elle agit comme une entreprise commerciale. Et elle doit appliquer les règles propres au football (règlementations relatives au statut du joueur, aux stades, aux compétitions, etc…) dès lors qu’elle agit comme club de football.
Vous êtes amené à défendre les joueurs aux prud’hommes face à leur club. Vous arrive-t-il de défendre des clubs ?
Oui bien entendu. Je n’ai pas de position idéologique qui m’empêcherait de défendre le salarié contre l’employeur, ou inversement de défendre le patron contre le salarié. Je suis avocat et je défends les causes qui me semblent moralement défendables.
Harold Moukoudi a fait l’objet d’un transfert sans indemnité de transfert, puisqu’il était en fin de contrat. Cette situation est-elle simple à gérer ?
Elle devrait l’être. En pratique elle ne l’est pas, car les clubs ont du mal à accepter la décision d’un joueur de ne pas prolonger pour partir libre. On l’a vu avec le cas Rabiot au PSG et avec le cas Moukoudi à Saint-Etienne. Et pourtant, aller au bout d’un CDD n’est rien d’autre qu’une interprétation stricte et correcte de la loi.

Le contrat entre un joueur et un club peut être propice à des situations compliquées : soit le joueur peut s’accrocher à un contrat et vouloir partir libre, soit le joueur veut forcer un départ… Êtes-vous aussi mandaté pour gérer ce genre de conflit ? Que conseillez-vous dans ces cas-là ?
Je suis avocat mais également dirigeant de club.
L’avocat que je suis a du mal à accepter qu’en dehors des cas de faute grave, lourde ou de force majeure, un CDD ne soit pas respecté. Donc je regrette les situations dans lesquelles un club veut pousser un joueur à partir alors qu’il a signé un contrat avec lui et, inversement, je regrette les situations dans lesquelles un joueur s’engage pour une période déterminée mais souhaite quitter le club avant terme.
Ceci étant dit, je comprends que les indemnités de transfert sont économiquement et budgétairement importantes pour les clubs. De sorte que dans les cas que vous évoquez, l’avocat n’a guère d’autre choix que celui d’amener les parties à discuter. Le dirigeant de club que je suis respecté ses engagements. J’ai serré la main d’un joueur, je signe un contrat et j’engage donc ma parole. Je vis par conséquent mal les situations dans lesquelles un joueur ne respecte pas la sienne.
Quand vous signez, par exemple, 3 ans, vous le faites en connaissance de cause. Vous vous engagez pour 3 ans, pas pour 4 ou 5.
Que ce soit pour Vikash Dhoraso, Hatem Ben Arfa ou Adrien Rabiot…certains clubs n’hésitent pas à mettre un joueur « au placard » suite à des désaccords de prolongations ou conflits internes. Comment jugez-vous ces pratiques ? Quelles sont les obligations des clubs envers le joueur ?
J’ai vécu cela cette année en défendant Harold Moukoudi, qui voulait quitter le HAC libre en fin de contrat. Nous n’avons rien lâché et il est parti libre à Saint-Etienne.
Quand vous signez, par exemple, 3 ans, vous le faites en connaissance de cause. Vous vous engagez pour 3 ans, pas pour 4 ou 5. Donc quand le club essaye de prolonger le joueur mais que celui-ci, pour une raison ou une autre, souhaite partir en fin de contrat, pourquoi diable voulez-vous qu’il prolonge, puisqu’il veut partir ? Pour que le club récupère une indemnité de transfert ? Pourquoi pas, mais il ne faut pas être dupe. Si le joueur, libre, pouvait recevoir – disons – 10 propositions en fin de contrat, justement parce qu’il était libre, il ne va plus en recevoir que 2 ou 3 s’il prolonge comme le lui demande son club.
Donc à partir du moment où le joueur va au bout de son contrat, qu’il respecte sa parole, il n’a pas de raison de prolonger. Et son club qui le met au placard prend une décision que j’estime inacceptable mais aussi illégale.
Écarter un joueur ou ne pas l’écarter mais ne plus le faire jouer, ce qui revient au même, c’est prendre une sanction disciplinaire pour un comportement qui ne devrait pas donner lieu à la moindre sanction.
Quelles sont également les obligations du joueur vis-à-vis de son club ?
Continuer à remplir son contrat : s’entraîner, jouer, prendre soin de son corps, se soumettre aux contraintes définies contractuellement concernant les sponsors et autres obligations promotionnelles, etc…
Un entraîneur a toujours la possibilité de se passer d’un joueur pour des raisons extra-sportives. Est-ce légal ?
Si ce sont des raisons disciplinaires, bien sûr. Mais ne pas faire jouer un joueur sous prétexte qu’il ne veut pas prolonger son contrat, alors qu’il n’a aucune obligation de le faire, n’a rien à voir avec la discipline et c’est donc illégal.
Philippe PIAT déplorait dans un entretien en 2013 le système des transferts et je cite « Quand on a signé un contrat de trois ans normalement c’est pour rester trois ans. Ce n’est pas comme ça se passe en ce moment : on fait signer une prolongation de contrat fin juin à un joueur pour le revendre le 5 juillet… On l’a fait signer non pas pour le prolonger et le faire jouer, mais pour le vendre quinze jours plus tard, beaucoup plus cher. C’est ça la réalité des choses. Le transfert ou la rupture de contrat avant terme devrait être une exception. Dans 95% des cas, on devrait aller au bout des contrats. » Le rejoignez-vous ?
Oui tout à fait.
L’opération de transfert a-t-elle une définition légale dans le code du travail ou dans le code du sport ?
Les transferts internationaux sont régulés par la FIFA. C’est donc dans les règlements de la FIFA que vous retrouvez toutes les règles qui y sont relatives. Les transferts nationaux sont quant à eux réglementés par les règlements de la FFF et de la LFP.
L’arrêt Bosman a provoqué une flambée des salaires, une bulle financière… Aujourd’hui, les joueurs coûtent de plus en plus cher en transfert. Jusqu’où peut-on aller? Peut-on craindre une explosion de cette bulle ?
Non je ne crois pas. J’ai été l’un des avocats de la Commission européenne dans le cadre de l’arrêt Bosman. J’étais tout jeune. Dès l’arrêt prononcé, j’ai été harcelé par les uns et les autres, qui me disaient qu’on venait d’accoucher d’un monstre, que tout allait partir à vau-l’eau, etc… Bref, c’était la fin du monde.
Nous sommes 24 ans plus tard et beaucoup de ceux qui prédisaient les pires malheurs sont aujourd’hui hyperactifs dans le football et particulièrement heureux de son développement. On est passé en 24 ans d’un football de sociétés d’économie mixte qui fonctionnaient avec l’argent des contribuables, à un football qui rapporte de l’argent aux contribuables en étant un gros contributeur fiscal et social.
Alors tout est loin d’être parfait. Mais penser que le football vivrait dans une bulle spéculative me semble tout à fait erroné. En tout cas, si bulle spéculative il y a, cela fait 24 ans que nous vivons dedans et elle a encore de très belles années devant elle. C’est donc une bulle sacrément difficile à faire exploser.
Agent officiel, intermédiaires multiples…Que dit la loi sur les personnes qui défendent les intérêts des joueurs ? Trouvez-vous les joueurs mal « conseillés » ?
La profession d’agent a d’abord été d’accès libre, puis elle a été régulée par la FIFA, puis dérégulée par cette même FIFA en 2015 et il est dorénavant question que la FIFA la régule de nouveau.
En France, elle est restée régulée et devenir agent suppose de passer un examen qui n’est pas simple à réussir. Mais de manière générale, il y a trop d’agents, parmi ceux-ci trop sont incompétents et parmi ceux-ci, trop ne sont pas intègres. Donc oui, il y a un gros problème avec les agents de joueurs.

La France échappe-t-elle à ce constat ?
La France est relativement épargnée du fait de la règlementation de la FFF à ce sujet et de la surveillance qu’elle opère sur les agents. Mais je répète parce que c’est important : un agent n’est pas un avocat. Ce n’est pas non plus un conseiller fiscal, un conseiller financier, un médecin, etc… Si déjà l’agent connaissait ses limites, ce serait pas mal pour les joueurs.
En 2011 le ministère des sports avait étudié « la possibilité juridique de renforcer la liste des incompatibilités s’appliquant à l’activité d’agent, notamment pour interdire à un agent de joueur d’être également agent d’entraîneur ». Une disposition réclamée depuis plusieurs mois par le service juridique de la FFF, dans un souci de moralisation de la profession. Où en est-on aujourd’hui ?
Nulle part.
Le licenciement d’un entraineur professionnel de football répond-il aux mêmes règles que celles applicables au reste des salariés ? Qu’est ce qui diffère ?
Oui, on ne licencie pas un coach différemment d’un salarié ordinaire. La seule différence est la nécessité de soumettre le différend à la conciliation de la LFP. Mais derrière, on retrouve le code de droit du travail, le Conseil de Prud’hommes, etc… Les règles sont les mêmes.
Depuis 2015, un club peut légalement multiplier les CDD dans la relation club/entraineur. Est-ce une bonne chose selon vous ?
Probablement qu’au stade du développement du sport professionnel dans notre société, c’est effectivement une bonne chose. Toutefois, vu le football d’aujourd’hui, faire signer à un coach 3 CDDs de suite relèvera de l’exception à l’exception. Car la durée de vie – si j’ose dire – d’un coach dans un club est très réduite.
Quand les présidents de clubs confortent publiquement les coaches en difficultés, peu de temps, ceux-ci sont remerciés. Quelle est l’utilité de ces propos ? N’est-ce pas du pain béni pour vous en cas de conflit ?
Oui tout à fait. Il faut ensuite qu’ils aillent chercher une faute particulièrement grave pour expliquer que deux matches après, leur coach doit être viré. Ceci étant dit, les tribunaux ne sont plus dupes. Ils savent très bien que le limogeage d’un coach s’explique aujourd’hui principalement par l’absence de résultats sportifs et non par des fautes graves les plus farfelues les unes que les autres.
Est-ce possible de voir des pratiques de finance (contre le market abuse, la transparence, le risque systémique) être mis en place dans le football ?
Oui. Certains clubs ont d’ailleurs déjà commencé à utiliser certaines de ces pratiques.
Le système des transferts est-il voué à disparaitre ? Considérer un être humain comme un actif d’un club est-il légal ?
Non, il ne va pas disparaître car un transfert c’est aussi en partie une indemnité de formation et ce sont aussi des dommages et intérêts pour le dommage subi par le club « quitté » qui perd l’un de ses joueurs avant le terme de son contrat. Donc, non, ce n’est juridiquement pas condamnable. Et pensez qu’aux USA, ils commencent à coter des sportifs en bourse. Alors…
Une limitation d’effectif est-elle contraire au droit européen ?
Pas nécessairement si elle n’est pas discriminatoire et ne vise pas plus les joueurs étrangers que les joueurs nationaux.
Selon l’article 3.1 de l’Annexe 1 sur la mise à disposition des joueurs : « 1.En principe, tout joueur enregistré auprès d’un club est tenu de répondre positivement à une convocation pour jouer pour l’une des équipes représentatives d’une association qu’il est autorisé à représenter sur la base de sa nationalité ». Un joueur de football professionnel peut-il refuser une sélection nationale ? Dans la pratique, c’est possible ?
Non, refuser une sélection nationale, ce n’est légalement pas autorisé. Mais en pratique, il est clair que si un sélectionneur ressent le souhait d’un joueur d’arrêter, il ne le convoquera plus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous entendez régulièrement des joueurs, aux 4 coins de la planète, dire qu’ils arrêtent leur carrière internationale. Comme s’ils pouvaient légalement décider de le faire.
Prime de matchs, primes de but, prime de maintien, bonus versés sur le départ d’un club, j’ai découvert que des bonus versés pouvaient être versés aux coaches sur les transferts de leurs propres joueurs… Cette dernière pratique est-elle courante ?
Non pas du tout. Et je vous avoue ne pas vraiment en comprendre le sens. Est-ce que cela veut dire que si un joueur est transféré, c’est qu’il a été bon et que cela est donc dû au coach ? Cela me semble tiré par les cheveux.
Enfin, en période de mercato, on évoque souvent les clauses libératoires dans les contrats. Sont-elles légales en France ?
Les clauses libératoires sont interdites en France car contraires aussi bien à notre code de droit du travail qu’aux règlements de la LFP. Donc essayer de les cacher dans des actes sous seing-privés ne sert, à mon humble avis, légalement à rien. Elles sont par contre acceptées dans d’autres pays et notamment en Espagne où elles constituent la règle générale.
Nous tenons à remercier chaleureusement Thierry pour avoir accepté cet entretien et nous lui souhaitons bonne continuation dans la suite de ces projets.
JM