

Après une première partie consacrée à la découverte du football et sa carrière professionnelle, suite et fin de l’entretien avec Philippe Malige autour de son après-carrière et sa vision de l’arbitrage actuel.
L’après carrière est-elle une appréhension pour un arbitre de haut niveau ?
Cela doit dépendre des individus. En ce qui me concerne, je m’y étais préparé, je savais qu’à la fin de la saison, je rangerais les cartons et le sifflet. Cela a été d’autant plus facile, qu’à l’époque, il y avait une limite d’âge fixée à 45 ans, alors que maintenant, c’est aux arbitres de prendre la décision…sous réserve de la réussite aux tests physiques, encore plus durs qu’à mon époque.
Quel est selon vous le niveau de l’arbitrage français par rapport aux autres pays européens ?
L’arbitrage français a longtemps souffert d’un manque de leader. Aujourd’hui et depuis l’Euro 2016 Clément Turpin remplit ce rôle, suivi de près par Benoit Bastien et Ruddy Buquet. Le vrai problème c’est le manque d’influence des dirigeants français au niveau international.



Le Directeur Technique de l’Arbitrage est un illustre inconnu au delà de nos frontières, à l’inverse de ses confrères européens, et à ce niveau, c’est très important. Par ailleurs, la formation française oublie selon moi de développer et d’encourager un aspect très important dans l’arbitrage: la personnalité, le charisme. L’accent est mis sur la condition physique, la technique, qui sont aussi des piliers essentiels, mais pas les seuls.
Vous avez occupé pendant 4 ans, le rôle d’observateur d’arbitres de ligue 1. Quel était votre rôle ? Et sur quel critère juge-t-on un arbitre ?
A l’origine, les arbitres de L1 étaient observés et notés à tous les matchs par des observateurs comme moi. En fin de saison, un classement était établi en faisant la moyenne de toutes les notes de tous les arbitres. Les critères étaient, la condition physique, l’application des lois du jeu, la justesse des décisions, la manière de manager.
Comment fonctionne le système de notation des arbitres ? Juge-t-on les arbitres individuellement (arbitre central, puis assistant) ou par équipe ?
On juge chaque membre de l’équipe arbitrale séparément, en tenant compte quand même de leur connivence, de leur manière de collaborer.
J’ai eu le tort d’exprimer, en interne, mon désaccord avec le fonctionnement de l’arbitrage et le rôle de moins en moins important accordé aux observateurs.
Pourquoi avoir arrêté cette activité ?
J’ai eu le tort d’exprimer, en interne, mon désaccord avec le fonctionnement de l’arbitrage et le rôle de moins en moins important accordé aux observateurs.
Malgré la création de la Direction Nationale de l’Arbitrage, le milieu autour de l’arbitrage semble flou et peu clair. Comment l’expliquez-vous ?
Le problème, c’est qu’il est replié sur lui-même et ne s’ouvre pas suffisamment vers les autres composantes du football, les médias…Cette frilosité est préjudiciable aux arbitres.
Un arbitre peut-il être totalement neutre ? Peut-il être influencé par des paramètres extérieurs (préférence d’une équipe, stades, pression sur le match, joueurs)
TOUS les arbitres sont neutres, d’ailleurs, on ne peut pas être désigné pour diriger un club de sa ligue, afin d’éviter toute polémique. La plupart des arbitres qui évoluent au haut niveau a suffisamment d’expérience pour gérer et supporter la pression d’un stade ou de l’enjeu d’une rencontre, après ce sont aussi des êtres humains et ils peuvent, dans des situations extrêmes et comme les joueurs, être déstabilisés. Cela reste heureusement assez rare.
La saison dernière a été entaché de ce geste de Tony Chapron sur Diego Carlos lors du match entre Nantes et le PSG. Qu’avez-vous pensé de ce geste ?
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, Tony a eu un geste malheureux, un mauvais réflexe que l’on ne doit pas voir de la part d’un arbitre, il l’a lui même reconnu et regretté. Ce que je déplore le plus, c’est l’absence de soutien reçu de la part de sa hiérarchie. Non seulement, on a interdit à Tony de s’exprimer après la rencontre, mais son propre directeur l’a condamné dans les médias, chose qu’on ne verrait jamais dans un club quand un de ses joueurs a un comportement fautif.
Monsieur Chapron a été suspendu 6 mois (3 mois fermes et 3 mois avec sursis). Pourtant, il a été élu meilleur arbitre de la saison par ses pairs. Etonnant non ?
Ce n’est pas si étonnant que ça, c’est la seule façon qu’ont eu les arbitres, à travers un vote anonyme, de lui apporter leur soutien. C’est même réconfortant de constater cette solidarité.
M. Derrien, Quiniou interviennent dans les médias… récemment M. Chapron est devenu consultant pour Canal+. Mais les arbitres en activité s’expriment très peu. Pourquoi ? Le regrettez-vous ?
L’arbitrage français, c’est « la grande muette » , les arbitres ont interdiction de s’exprimer dans les médias, la communication étant réservée à la DTA (Direction technique de l’arbitrage), qui n’intervient…jamais, sauf pour faire son auto-promotion. C’est évidemment regrettable, car les arbitres de Ligue 1 évoluent dans un milieu ultra médiatisés, où tout le monde a le droit de s’exprimer, sauf eux.
L’arbitrage français, c’est « la grande muette » , les arbitres ont interdiction de s’exprimer dans les médias, la communication étant réservée à la DTA qui n’intervient…jamais, sauf pour faire son auto-promotion.
Comment s’organise le système de promotion ou de rétrogradation des arbitres ?
Jusqu’en Ligue 1, c’est un système de classement par les notes, où les meilleurs montent et les moins bons descendent. C’était aussi le cas en Ligue 1 jusqu’à ce qu’apparaisse la professionnalisation. Les arbitres sous contrat sont neutralisés, la descente se joue entre les 3/4 non-professionnels.
Comment un arbitre devient-il international ?
Pendant de nombreuses années, les internationaux étaient, sous conditions d’âge, les 10 premiers (les meilleurs, donc) du classement, maintenant les nominations se font sur proposition de la DTA…
En 2006, les arbitres de ligue 1 ont eu pour consignes de nettoyer les surfaces (cf. Les deux pénalties sifflés contre Mario Yepès pour tirage de maillot). Plus récemment, les mains dans la surface font l’objet d’une attention particulière… Pouvez-vous nous expliquer le concept de « consigne d’arbitrage » ?
Ce sont des axes de travail fixées par la DTA au vu de ce qu’il a pu se passer la saison précédente, ou aussi par les instances internationales pour les mêmes raisons ou dans un but bien précis, favoriser le spectacle, les buts par exemple.
Pourquoi les consignes sont-elles respectées par certains arbitres (cf. Tony Chapron dans l’épisode Yépès) et moins par d’autres ? Les arbitres qui ne respectent pas ces consignes sont-ils mal noté ?
Tous les arbitres reçoivent ces consignes lors du stage d’avant saison et sont sensés les appliquer. Après, chacun a sa sensibilité, son interprétation.
Sepp Blatter a déclaré être « en faveur d’une limitation de la période d’activité des arbitres, mais contre une limite d’âge ». Partagez-vous cette position ?
La limite d’âge, fixée à 45 ans, a été supprimée en France depuis 4 ou 5 ans. Dans le même temps, les exigences physiques se sont considérablement durcies ce qui fait que rares sont ceux qui continuent après 45/46 ans.
Au mondial 2014, la Goal Line Technology a fait son apparition. Une bonne nouvelle selon vous ?
Tout ce qui peut apporter une aide aux arbitres est une bonne chose. Les intérêts sportifs et financiers sont tels qu’on ne peut se permettre de se passer de la technologie.
L’arbitre aurait donc le « droit » de se tromper sur une touche, un corner… mais pas sur une ligne de but. Avec la Goal Line Technology, l’arbitrage vous semble-t-il plus juste ?
La ligne de but est celle dont il est le plus important de savoir si le ballon l’a franchie. Pour les autres lignes, laissons l’humain juger. Il faut pouvoir concilier deux impératifs : Combattre l’injustice sportive en accordant un but inexistant ou en refusant un valable et garder l’aspect humain de l’arbitrage. Le football est aussi fait d’erreurs, c’est un peu ce qui fait son charme…
L’histoire de se sport s’est construite aussi à travers les grandes injustices : l’épisode Battiston / Schumacher en 1982, la main de Maradona en 1986… Quel est votre regard en tant qu’amateur de football ? Et en tant qu’arbitre ?
Oui, ces événements font partie de l’histoire. On peut y rajouter le tir sur la transversale de Geoff Hurst lors de la finale de la coupe du monde 1966, dont on ne sait toujours pas si le ballon est rentré ou pas. Mais le football actuel et les intérêts qui y sont rattachés ne peuvent plus s’offrir le luxe de se passer de la technologie moderne. On ne peut raisonnablement plus accepter qu’un titre, une accession ou une rétrogradation se joue sur une injustice qui peut être corrigée.
Après la Goal Line, la VAR a fait son apparition en ligue 1. Étiez-vous favorable à l’utilisation de cet outil ? Que pensez-vous de son utilisation ?
Comme pour la GLT, je suis favorable à tout aide apportée aux arbitres. Son utilisation est bien délimitée aux cas les plus importants ce qui préserve encore l’aspect humain.
Entre l’attente entre la validation ou non d’un but, et le manque de communication au stade… la VAR fait l’objet de beaucoup de critiques, en particulier celle de casser l’instantanéité et l’émotion du football. Comprenez-vous ces critiques ?
Je peux les comprendre, mais ce sont peut être les mêmes personnes qui criaient au scandale quand un but était accordé à tort. C’est malheureusement le prix à payer, même si dans la plupart des cas, le délai d’attente n’est pas si long que ça.
La VAR donne une image sans contexte, sans ressenti de l’action, parfois même avec un ralenti qui atténue le choc ou le contact… Le jugement d’une action devant un écran est-il plus juste que le ressenti d’un arbitre en temps réel ?
La VAR intervient dans 4 cas : Erreur d’identité, Penalty, But marqué et sur un éventuel carton rouge (donné à tort ou oublié). Il n’y a éventuellement que sur ce dernier cas que les images peuvent être trompeuses. Mais n’oublions pas qu’elles ne sont qu’une aide à la décision et qu’au final, c’est l’arbitre qui décide avec son ressenti terrain !
Refuser un but grâce au révélateur de hors jeu, dont l’image dépend de l’action d’un homme dans une cabine, est-elle plus juste que la vision d’un arbitre de touche ?
Les arbitres assistants, si talentueux soient-ils, n’en restent pas moins des humains et le jeu va très vite. Ils doivent en une fraction de seconde voir le départ du ballon, la position de celui qui le reçoit et apprécier si ce dernier influence l’adversaire ou tire un avantage de sa position. Malgré la difficulté de la mission, les erreurs sont rares, mais elles existent. Le VAR est là pour les corriger, à l’aide d’images objectives. Il est à noter qu’en cas de doute, on demande aux assistants de laisser l’action se dérouler jusqu’au but éventuel.
A travers les multiples ralentis, loupes, et caméra, les réalisateurs mettent-ils l’arbitre en porte-à-faux ?
Les réalisateurs ne font que leur travail, il n’y a rien à dire. L’anomalie, corrigée avec la VAR, c’était que tout le monde (téléspectateurs, staff, observateurs d’arbitres) avaient accès aux images, sauf celui qui en avait le plus besoin : l’arbitre !
L’expulsion temporaire vous apparaît-elle une nécessité dans le football actuel ?
Les Lois du jeu sont assez complètes pour permettre aux arbitres de diriger une rencontre, je ne vois pas l’intérêt d’en rajouter. Mais ce n’est que mon avis et certaines ligues régionales expérimentent cette pratique.
Vous occupez aujourd’hui le rôle délégué régional d’Occitanie pour le SAFE (syndicat des arbitres français de l’élite). Quel est votre quotidien ?
A l’instar de ce qui se fait, notamment à l’UNFP, je suis le correspondant local du SAFE, l’intermédiaire entre les adhérents et le bureau national. Je vais aussi à la rencontre des collègues qui viennent arbitrer à Nîmes pour recueillir leur ressenti sur le fonctionnement de l’arbitrage et du syndicat.
Nous tenons à remercier chaleureusement Philippe MALIGE pour sa disponibilité et sa gentillesse et lui souhaitons bonne continuation au sein du SAFE.
Références / Sources
[1] – Site FFF
[2] – Site FFF
[3] – Site Football365