PRO – Entretien avec Thierry GUILLOU, auteur du livre « Football et formation, une certaine idée de jeu »

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Son premier match de football professionnel dans un stade en tant que spectateur ? Thierry Guillou en garde un souvenir indélébile : 1/16ème de finale de coupe de France 1994 entre le FC Lorient de Christian Gourcuff et le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau, dans un stade du Moustoir plein à craquer. Depuis, l’auteur, qui intègre le staff technique du centre de formation du FC Lorient en 2013, est imprégné d’une certaine idée du football et de la formation qu’il structure et partage dans ce livre. Afin d’appréhender son approche du football, l’auteur nous éclaire et nous invite à réfléchir sur quelques concepts-clés à travers un entretien pour notre plus grand plaisir.

DE LA DÉCOUVERTE DU SPORT AU MÉTIER D’ÉDUCATEUR

Comment le sport est entré dans votre vie ? Pratiquiez-vous un sport et si oui à quel niveau ?

Le sport a fait très rapidement partie intégrante de ma vie : à 5 ans, je jouais au football en club (gardien de but) et à partir de 7 ans, en parallèle, je pratiquais l’escrime. Dans ces deux disciplines, l’une collective, l’autre individuelle, je m’accomplissais et obtenais de bons résultats (champion de Bretagne à 13 ans dans les deux sports). Mais à 15 ans, lorsque j’ai intégré le centre de formation du FC Lorient, il m’a fallu faire un choix et ça a été le football.

A quand datent vos premiers souvenirs de football ? Quel est le plus marquant ?

Mes souvenirs en tant que joueur sont très nombreux, je pense avoir profité pleinement de ma passion pendant ma jeunesse. Les tournois et autres challenges régionaux dans les petites catégories avec mon club de Lorient-Sport sont d’excellents premiers souvenirs.

En tant que spectateur, mon premier match au stade du Moustoir entre le FC Lorient de Christian Gourcuff et le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau m’a fortement marqué. J’ai aussi eu beaucoup de chance d’assister au quart finale de Champions League 1996 entre le FC Nantes et le Spartak de Moscou puis à la demi-finale face à la Juventus de Turin de Peruzzi, Deschamps, Del Piero, Vialli… Du côté du FC Nantes, il y avait Makélélé, Pedros, N’Doram, Ouedec…

 Étiez-vous ou êtes-vous supporter d’un club de football ?

Comme de nombreux enfants de ma génération, à une époque à laquelle l’accès aux matchs à la TV était beaucoup plus restreint qu’aujourd’hui, j’ai été porté par le succès de l’OM contre le Milan AC en 1993. Par ailleurs, en habitant Lorient dans les années 90, la Beaujoire était LA destination pour assister à un match de L1. Il y a donc eu également une identification au FC Nantes.

A ce jour, je n’ai pas d’attachement particulier envers un club si ce n’est envers le club dans lequel j’exerce ma profession. Lorsque je regarde un match, je favorise l’équipe qui prend des initiatives, l’équipe qui propose un football construit et fluide, l’équipe qui me touche par son jeu.

Je favorise l’équipe qui prend des initiatives, l’équipe qui propose un football construit et fluide, l’équipe qui me touche par son jeu.

Enfant, quelles étaient vos idoles ?

Je n’ai jamais eu d’idole à proprement dit mais j’ai été fortement influencé par Bernard Lama. La qualité de sa prise de balle, son agilité et sa domination dans les airs ont donné une dimension supplémentaire au poste de gardien de but. Il avait un côté esthétique et spectaculaire !

Adolescent, aviez-vous déjà en tête une carrière d’éducateur ?

Non, car j’entretenais l’espoir de devenir footballeur professionnel. Mon objectif était uniquement orienté dans ce sens. Ce n’est qu’après avoir intégré le fait que je ne jouerais jamais au haut niveau que la perspective de devenir éducateur a germé. C’est à 18 ans que j’ai encadré ma première équipe de jeunes, les benjamins (C) au CEP Lorient.

Vous avez orientez vos études dans ce sens ? Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Après trois années au centre de formation du FC Lorient, je n’ai pas été conservé. J’ai obtenu un bac ES et me suis orienté vers l’Université STAPS de Brest tout en passant les premiers diplômes d’entraîneurs (CFF1, CFF2, CFF3) délivrés par la FFF. J’ai poursuivi mes études universitaires par un Master en management du sport à Nantes avec notamment un stage de trois mois au MUC72 (Le Mans). A cette époque, le MUC72 présentait l’effectif professionnel le plus jeune d’Europe, était entraîné par Rudi Garcia et composé de joueurs comme Pelé, Basa, Sessegnon, Gervinho, De Melo, Grafite…etc. En équipe réserve, il y avait Sébastien Corchia ou encore Mathieu Dossevi ! Parallèlement, j’ai passé mon brevet d’état d’entraîneur de football et je jouais toujours au football au niveau régional.

Hamari Traoré et Jean-Marc Guillou

Cela a été des années très denses. L’Université de Nantes m’a ensuite proposé de poursuivre mes recherches à travers un Doctorat mais j’ai décidé de partir plusieurs semaines observer le travail de Jean-Marc Guillou avec les jeunes académiciens à Bamako au Mali. Comme pensionnaires de l’académie, il y avait alors Hamari Traoré (SRFC) et Adama Traoré (ASM) par exemple. A mon retour en France, j’ai entraîné bénévolement les jeunes au CEP Lorient puis je suis devenu salarié à temps plein au FC Quimperlé. Après trois saisons là-bas, j’ai intégré le centre de formation du FC Lorient en tant qu’éducateur.

Football et FormationAUTEUR DU LIVRE« FOOTBALL ET FORMATION, UNE CERTAINE IDÉE DE JEU »

Vous êtes l’auteur du livre « football et formation », sorti en début d’année 2018. Pourquoi avoir décidé de réaliser un livre sur la formation ?

C’est une thématique, à mon sens, riche et passionnante qui n’est que peu exposée dans la littérature spécialisée. D’une certaine manière, il y avait la volonté de répondre à un manque. Une quasi-absence qui peut s’expliquer par le fait que le domaine de la formation vit dans l’ombre du football « starisé », beaucoup plus porteur auprès du grand public.

La formation vit dans l’ombre du football « starisé », beaucoup plus porteur auprès du grand public.

Votre livre est préfacé/postfacé par Christian Gourcuff et Jean-Marc Guillou. Pouvez-vous nous décrire l’influence de ces deux personnes dans votre idée de formation ?

Plus qu’une manière d’appréhender la formation, ils ont eu une influence sur ma manière de percevoir le football. Ce sont deux références à mes yeux ! Ils font partie de mon histoire, de ma construction en tant qu’éducateur. Ce sont des rencontres marquantes. C’était une évidence de les solliciter dans le cadre de cet ouvrage. Il s’agit de deux grands personnages du football français qui incarnent à merveille l’esprit du livre car ils défendent depuis plusieurs décennies une certaine idée du jeu.

Jean Marc Guillou
Académie Jean-Marc Guillou – Source [5]

N’y a t-il pas une course à la jeunesse… quand on voit que l’éclosion des joueurs se faisaient certainement plus tard dans le passé (Exemple : la signature de Zidane à la Juventus à 24 ans) ?

Il ne faut pas vivre avec nostalgie. Il y a eu effectivement une évolution des pratiques influencée par la libéralisation du marché du football symbolisée par l’arrêt Bosman notamment. En France, la réponse apportée par les clubs à ce changement a été la formation et l’exportation des jeunes footballeurs. Le modèle économique des clubs français s’est construit sur la vente des joueurs formés au sein du club. Pourquoi ? Tout d’abord, parce qu’il y avait un savoir-faire. Ensuite, parce qu’il y avait une demande importante. Mais surtout, parce que les clubs présentaient des déficits budgétaires.

Quelle importance attachez-vous au classement des centres de formation ?

A partir du moment où il y a une classification réalisée, il y a des choix de critères. Et faire des choix, c’est exclure ! Il y a donc une part de subjectivité. Aussi, le classement des centres est une photographie partielle, certainement imparfaite, mais qui a le mérite d’être assez cohérente et de donner quelques repères. Le problème, c’est lorsque les clubs mènent des actions avec uniquement comme visée de glaner quelques points dans ce classement alors même qu’il n’y a pas réellement de sens mis derrière ces actions.

Le football est un JEU et pour jouer il faut une certaine liberté. La liberté est source de plaisir et d’apprentissage. Et l’erreur fait partie intégrante du processus d’apprentissage.

Dans votre livre, vous évoquez l’importance de l’erreur dans le processus de formation d’un joueur, et l’importance de laisser le joueur libre… Le processus de formation est-il trop en attente de « résultat » ?

Le football est un JEU et pour jouer il faut une certaine liberté. La liberté est source de plaisir et d’apprentissage. Et l’erreur fait partie intégrante du processus d’apprentissage. Mais le football est également un jeu COLLECTIF qui nécessite donc des interactions, des relations, des codes communs, qui ne peuvent émerger que si la liberté du joueur ne bascule pas dans l’individualisme et la non-considération de l’autre. Il faut que cela devienne un PLAISIR PARTAGÉ. C’est comme dans la société.

Quid du résultat ?

Le problème de l’omniprésence du résultat sur les équipes de jeunes est la place accordée à l’erreur. Dans ce cadre, l’erreur n’est alors plus permise, plus tolérée. A partir de ce moment-là, la créativité, le goût des nouvelles choses, la prise de risque sont mis en « danger » et l’évolution qualitative du football par la même occasion.

Dans un de nos articles publiés sur la formation, nous évoquions une formation Laguiole» vs formation « Couteau Suisse ». Qu’en pensez-vous ?

Il ne faut pas omettre de considérer que le football évolue. L’animation du jeu évolue. Les joueurs évoluent. Par exemple, le concept de jeu de position afin d’être souple, élaboré et indescriptible pour l’adversaire demande une polyvalence de plus en plus grande des joueurs tout en optimisant leurs points forts. Pour s’extraire du débat formation « laguiole » ou « couteau suisse », il faut surtout permettre au joueur d’exploiter et développer son intelligence de jeu.

Quand on parle de formation, on évoque souvent Barcelone, mais c’est aussi occulter les tarifs de transferts pour conserver les joueurs et les transferts réalisés sur les dernières années pour encadrer les jeunes du cru : Henry (24m€), Ibrahimovic (50 m€), Eto’o (24 m€) ? Villa (40 m€), Sanchez (26 m€)… la formation en tant que telle est-elle viable au très haut niveau ?

Il faut y croire, bien sûr ! Un joueur issu de la formation du club sera toujours moins onéreux qu’un joueur issu du recrutement, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’indemnité de transfert et que les salaires sont, dans un premier temps, moins élevés. Ce qui coûte en revanche de plus en plus cher, ce n’est pas tant la formation que sa protection ! Mais mener une politique de formation ne doit pas être guidé uniquement par des motifs financiers.

Masia
Centre de formation du FC Barcelone – Source [6]

Ce ne serait qu’exploiter que partiellement la puissance d’une réelle politique de formation. La formation, et le Barça l’a démontré récemment, c’est un moyen unique de développer une identité de jeu. C’est l’identité de jeu qui sera vecteur de succès et générera un cercle économique vertueux (affluences dans le stade, sponsors, merchandising, droit TV…etc.). Le football est un sport avant d’être un marché financier et la formation, un esprit avant d’être un produit.

Comment expliquez-vous qu’un joueur comme Di Méco ait fait carrière en latéral, alors qu’il a commencé attaquant ? On le voit aujourd’hui avec Bouna Sarr, repositionné latéral droit à l’OM… Comment analysez-vous ces trajectoires ??

Et il y en a plein d’autres ! Il n’y a pas qu’un seul chemin. Chaque parcours est singulier. Ça a d’ailleurs un côté assez réconfortant de constater que tout n’est pas déterminé à l’avance. Certainement que leurs diverses expériences ont contribué à les rendre performant au poste qu’il occupe à présent.

Dans un sport de plus en plus individuel, comment redéfinir l’esprit collectif ?

C’est une problématique qui dépasse le strict cadre du football. La société est empreinte de comportements de plus en plus individualistes. Le football n’est qu’un miroir, parfois amplifiant, qui par sa médiatisation permet de révéler aux yeux de tous ces attitudes « égoïstes ». De plus, les médias entretiennent le culte de l’hyper-joueur par de multiples gros plans lors des retransmissions des matchs à la TV, par les notations individuelles des joueurs, par les récompenses individuelles (joueur du match, joueur du mois, ballon d’or…etc.), par les statistiques (nombre de buts, nombre de ballons récupérés…etc.) alors que le football est un jeu complexe ou chaque action est inévitablement influencée par les choix et déplacements des partenaires. Les joueurs doivent intégrer que le porteur de balle ne peut créer que si il a des solutions de jeu offertes par ses partenaires (options contraires entre elles).

Les médias entretiennent le culte de l’hyper-joueur par de multiples gros plans lors des retransmissions des matchs à la TV, par les notations individuelles des joueurs, par les récompenses individuelles.

Au cours d’un entretien avec Anthony Rimasson, éducateur passé par Brest, Rennes et le Benfica expliquait que « Les meilleurs formateurs ne restent pas en bas de l’échelle car les clubs paient plus les formateurs du haut de la pyramide, tout simplement. Il faudrait valoriser convenablement les formateurs de la base, au même titre que ceux du haut de l’échelle et ainsi chacun serait à sa place et non à la place qui le fait mieux vivre. ». Partagez vous ce sentiment ?

Complètement ! Cette considération existe d’ailleurs dans certains pays. Pour le bon développement du football, la priorité est que les éducateurs exercent dans la catégorie dans laquelle ils sont le plus compétent. De plus, les habiletés sensori-motrices des joueurs se construisent en majorité entre 10 et 15 ans. C’est dire l’importance de cette période dans la formation du joueur et donc de l’enseignement dispensé à cet âge par exemple.

Dans votre livre, vous remettez le plaisir au centre du terrain. Trouvez-vous que les joueurs n’en prennent pas assez ?

Il y a de multiples manières de prendre du plaisir sur un terrain de football. Par exemple, par le résultat, gagner procure du plaisir. Par le goût de l’effort, « tout donner » dans un cadre compétitif procure du plaisir. Par les émotions, coopérer et réaliser des actions collectives élaborées procure du plaisir. C’est cette dernière source de plaisir qui me semble trop peu présente au même titre que le plaisir de vivre de sa passion au quotidien !

Du plaisir, nous avons pris beaucoup en lisant Football et Formation. Nous remercions chaleureusement Thierry Guillou et les éditions L’Harmattan. Si vous souhaitez acheter ce livre, n’hésitez pas à le commander via amazon

Références

[1] – Site wikipedia

[2] – Site l’Internaut

[3] – Site Ouest France

[4] – Site Africatime

[5] – Site Afrique360ma

[6] – Site Sofoot