WEB – Entretien avec Romain MOLINA (1/2)

Journaliste et auteur freelance, basé en Andalousie, Romain MOLINA collabore à divers médias, notamment France Football et CNN. Auteur de Galère Football Club (Hugo Sport, 2015 ), d’El Maestro et El Matador, œuvres respectives au sujet d’Unaï Emery et Cavani, Romain est également joueur de basket semi-professionnel et international Gibraltarien. Retour sur un parcours étonnant.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvez-vous revenir sur votre enfance, le contexte dans lequel vous avez grandi ?

J’ai grandi en Isère, dans un village nommé Heyrieux. Je suis donc un Heyriard, un gentilé assez abominable dit ainsi, mais c’est typique de ma région. Je n’ai aucune raison de plaindre mon enfance, bien au contraire. Je suis fier d’être isérois, fier d’avoir vécu pendant plus de vingt ans à Heyrieux, fier d’avoir fait les marchés pour aider mes parents ou grands-parents dès mon plus jeune âge. Bon, je ne sais toujours pas monter un parapluie et je manie parfois le chariot comme un manche à balai, mais je crois qu’ils n’ont pas eu à se plaindre sur les efforts fournis et sur la vente.

Comment le sport est arrivé dans votre vie ? 

Je suis fier d’être isérois, fier d’avoir vécu pendant plus de vingt ans à Heyrieux, fier d’avoir fait les marchés pour aider mes parents ou grands-parents dès mon plus jeune âge.

Au milieu de tout ça, il y a le basket, forcément. J’étais au collège de mémoire, et j’ai commencé à m’entraîner seul au moins une fois ou deux par semaine ; en plus de l’entraînement hebdomadaire avec mon petit club. Je prenais mon ballon et j’allais jusqu’au playground, je tirais, je m’exerçais. Parfois, des potes venaient, on faisait des heures de un-contre-un. Je me souviens que le mercredi, ma mère m’emmenait dans un village voisin, Diémoz, car on avait repéré un genre de mini-playground avec un panier ayant un filet (bon, j’ai pété le filet à force de tirer, tirer, tirer). Une fois, on s’est pris un orage pas possible avec mon ami Kendryck, et on avait continué après. Tu verrais l’endroit, c’était exceptionnel. Au milieu de nulle part, un bout de terrain goudronné, un peu d’herbe à côté, un vieux panneau et deux cons jouant contre les éléments.

Quels sont vos premiers souvenirs de sport et de football ?

Difficile à dire, mais je vais te dire à la cour de l’école maternelle. J’étais assez spécial gamin, je ne voulais parfois pas aller en récréation, je me rebellais quand je jugeais la moindre injustice ; j’avais 3 ou 4 ans, et ma mère m’a raconté que j’ai refusé d’aller à l’école pendant une semaine car j’avais été puni pour quelque chose que je n’avais pas fait. La maîtresse, Madame Faure, est venue chez nous à vélo et on a parlé. Visiblement, elle m’aurait expliqué sa logique, que oui je n’avais rien fait de mal mais qu’elle était obligée de faire ça, donc j’ai consenti à revenir. Il parait que je demandais du travail déjà. Une prof avait d’ailleurs dit à ma mère : « Vous voulez en faire un singe savant ? » Quelle honte quand j’y pense. Madame Morel pour ne pas la nommer. Un souvenir exécrable cette dame, c’était en moyenne section de maternelle. Elle était partisane de la médiocrité, pour rester vraiment dans les rangs. C’était de la faute de mes horribles parents si je savais déjà lire et que je pouvais réciter le petit livre que j’avais sur l’histoire des canards (précisons : je savais la réciter sans le regarder, je l’avais visiblement apprise par cœur. J’avais une enfance fascinante, n’est-ce pas).

Pour revenir à ta question, je dirais donc que mes souvenirs remontent à la cour d’école à taper derrière un ballon, avec mon ami le Brésilien, Jean-Charles, qu’on appelait Ronaldo ensuite ; il est vrai qu’il avait déjà le tour de taille et la puissance. On a joué dans le petit club de Valencin, d’où est d’ailleurs sorti un certain Bryan Bergougnoux !

Quel poste jouiez vous ?

Mes premiers matchs étaient à Heyrieux, comme gardien. Puis, l’entraîneur a voulu me passer dans le champ, et je ne voulais pas, donc je suis allé à Valencin. J’ai encore une coupe de meilleur gardien du tournoi de Diémoz en salle (je vais te faire une cartographie de l’Isère à ce rythme). On avait une belle équipe pour le coup, et je n’étais pas trop mauvais, même si mon jeu au pied était proche du néant. Mon grand-père, qui a été joueur et entraîneur pendant plusieurs décennies, m’emmenait pour les matchs car mes parents étaient au marché. Les souvenirs, ce sont ses conseils, enfin plutôt une liste de tout ce que je faisais mal (et il avait raison), tout ce que je devais améliorer, tout ce qu’on devait améliorer, et surtout : écouter l’entraîneur. Sylvestre, une personne habitant dans le même immeuble que nous, était un gardien ivoirien et un peu la star du club d’Heyrieux. J’ai passé tellement de temps avec lui. C’était un genre d’oncle… je vivais en face de la déchetterie municipale, et il y avait une espèce de champ à côté et on jouait là. C’est bucolique l’image que je donne, n’est-ce pas ? On jouait aussi à un jeu de Formule 1 sur son ordinateur. Putain, Sylvestre, que de souvenirs. C’est cool ces questions, je raconte ma vie, tout le monde s’en fout, mais ça me rappelle de bons moments et ça fera rire ma mère.

Étiez-vous ou êtes-vous supporter d’un club en particulier ? Des joueurs préférés ?

En foot, j’aimais Rennes et le Red Star. J’étais tellement gamin, et vu que ça commençait par un R… Puis, j’aimais visiblement bien emmerder le monde déjà. Tout le monde était pour Lyon, surtout que c’était le grand Lyon, donc ce n’était pas drôle. Mais sinon, j’étais vraiment supporter de l’ASVEL.

J’étais abonné avec ma mère et ma grand-mère. Sauf que je n’étais pas avec elles en tribunes, j’étais dans le petit kop, les Astrogones à l’époque. Le nom a changé depuis. J’ai commencé à aller à l’Astroballe à l’époque de Gregor Beugnot, Jimbo Bilba, Laurent Sciarra, Laurent Pluvy, Shea Seals, Jay Larranaga, puis « Dollar Bill », alias Bill Edwards. Je me souviens que TLM, une télé locale, diffusait en différé les matchs de Coupe d’Europe à l’extérieur. C’était mon Graal !

Quelles sont les personnes qui vous ont inspiré dans votre jeunesse ?

Dollar Bill, quel joueur putain. J’avais vu ASVEL / CSKA Moscou à l’Astroballe, avec un certain Andreï Kirilenko en face. Que de souvenirs ! Après, j’ai été fan absolu de Bernard King (passé ensuite par Le Havre, Roanne, Nancy…). Il était venu en cours de saison, j’avais trouvé sa vision de jeu incroyable. Il était complètement fou dans sa manière de jouer, mais c’était le genre de joueur que j’aime : passeur, créateur, imprévisible. Rowan Barrett après aussi, le shooteur canadien.

Allen Iverson ! Je demandais à ma mère de me lever la nuit pour regarder les matchs des Sixers en direct sur Canal +. J’étais FAN de l’émission de George Eddy le mercredi après-midi, avec un match diffusé (pas l’intégralité, mais pas loin), des highlights, résumés, etc. Iverson était vraiment le joueur qui m’impressionnant, avec cette fabuleuse épopée en 2001 : Eric Snow, Aaron McKie, Dikembe « not in my house BABYYYYYYYYYY » Mutomboooooooooo ! Kevin Lynch, Tyrone Hill, Matt Geiger, Raja Bell et Larry Brown. Cette finale contre les Lakers, ce match 1 au Staples Center, waoooo! Sinon, un grand faible pour Gilbert « Agent 0 » Arenas, Steve Nash (de plus en plus avec le temps), Juan Carlos Navarro, Dimitris Diamantidis, Sarunas Jasikevicius, JR Holden, Boris Diaw et donc Bill Edwards.

En football, je n’avais pas vraiment de joueur préféré, même si j’aimais beaucoup Frédéric Piquionne et surtout Olivier Monterrubio ! Patte gauche magique.

Jeune, quelles étaient vos idoles sportives ?  ?

George Eddy, Jacques Monclar… Dingue quand même car j’ai co-signé plus tard un livre avec George. Et regarde, mon meilleur ami d’enfance, William, avec qui je suis toujours en contact, il était fan aussi. On regardait l’émission de George le mercredi, on allait jouer sur un playground près de chez lui, on se faisait plus tard des soirées NBA Live avec les concours de dunk (si tu me lis William, rappelle-toi de Tim Thomas)… Et quinze ans plus tard, j’écris avec lui.

Le plus beau, c’est que l’idole de mon enfance est celui que j’imaginais. Un mec adorable, classe, un gentleman. C’est ça le plus beau. Geeeet back babyyyyyyy !

Et dans le journalisme ?

Sinon, dans le journalisme, j’ai commencé à lire L’Equipe quotidiennement à 16 ans je pense, et France Football avant (avec Basket-News surtout, feu référence). Jeune, j’avais un grand faible pour Philippe Auclair, avec qui je suis en excellents termes, et qui est aussi un gentleman. J’aimais beaucoup aussi la plume de Vincent Duluc, même si je ne suis pas toujours d’accord avec ses analyses mais l’auteur me plait.

J’ai une tendresse aussi pour Jean-Michel Rouet car j’adorais (et j’adore) le football britannique. Et pareil qu’avec George ou Philippe, Jean-Michel est avant tout une belle personne. C’est ça le modèle au fond. C’est d’être soi-même, c’est-à-dire un être humain. Jean-Michel est profondément lui-même, profondément honnête. Je me souviens l’avoir croisé pour un Leyton Orient / Coventry de D3 anglaise, un soir de semaine, sous le crachin londonien. Dans le Players Lounge, à discuter, refaire le monde. J’en garde d’excellents souvenirs et en plus le match était génial.

Comme George ou Philippe, Jean-Michel est avant tout une belle personne. C’est ça le modèle au fond : Etre soi-même, c’est-à-dire un être humain. Jean-Michel est profondément lui-même, profondément honnête.

Adolescent, aviez-vous déjà en tête une carrière de journaliste ?

Pas vraiment. Il parait que je l’avais dit petit, mais je voulais plus travailler autour du sport. Enfin tu me diras, je ne sais pas si je suis journaliste. Je pense faire du journalisme, ça oui, mais être journaliste…mouais, je ne sais pas, je n’ai pas de carte de presse, je n’écris presque pas d’article. Il faut bien un qualificatif tu me diras. Mais si je suis honnête, je te réponds que je suis un conteur d’histoires. Je me vois bien autour d’un feu de bois à raconter des histoires la nuit tombante.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours étudiant ?

J’étais au Collège Jacques Prévert d’Heyrieux messieurs, dames, mais oui ! Truc incroyable. Un surveillant, Nicolas, un fan de basket de la première heure, a sorti ces jours un grand documentaire sur Hervé Dubuisson. Sans savoir ce qu’il était devenu, on s’est « recroisé » par le plus grand des hasards sur Twitter. Dingue. Tout ramène à Heyrieux en fait !

Sinon, j’ai été à un lycée assez spectaculaire. On n’était pas classé ZEP, mais on aurait pu niveau résultat. Je remercie d’ailleurs ma prof d’EPS en seconde, Madame Samprini je crois, qui m’a empêché de rejoindre le centre de formation de Saint-Vallier, en Cadet France deuxième division. J’avais privilégié cette solution à Ugine, près d’Albertville, car je ne voulais pas faire S ; j’aurais pu, mais je n’avais pas envie.

Et ma chère prof m’a tellement démonté que j’ai été refusé sur dossier scolaire à plus de 14 de moyenne générale. Remarquable, non ? Tout ça car je me jetais pour tenter de récupérer les balles au tennis de table et que je lui avais dit que je ne ferais jamais des grandes longueurs à froid (quasi sprint). J’ai toujours eu un problème avec l’autorité, du moins avec celle qui n’est pas légitime, c’est vrai.

Bref, ça va que je n’étais pas le genre à m’effondrer ou à partir en live, mais avec le putain de nombre d’heures que j’ai passé tout seul à m’entraîner pour réaliser mon rêve alors que j’évoluais dans la dernière division départementale, il y avait de quoi être démoralisé. Sinon, j’ai un Bac L (mention bien) et rien d’autre.

Cela dit, l’école des marchés, il n’y a rien de mieux. J’ai connu des gens incroyables, avec qui je suis toujours en contact, comme Romain, sa maman, Gilles, Jean-Pierre, Fromage, Rina, le marchand de volaille (merde, j’ai oublié son nom), Laurent, mon oncle, Adil, Yilmaz, Youssuf, Zo, Emre, tous les employés que mes parents ont eus… Ouais, ça m’a marqué. Certains sont morts, certains avaient des soucis d’alcool (le camion avait la direction assistée pour rentrer, ça allait), mais je peux t’assurer que j’ai énormément appris ici. Je parlais à une personne, on l’appelait Americo. Il fumait des espèces de cigares infâmes. C’était un touche-à-tout : peintre, électricien, etc. Il expliquait qu’il mettait les deux doigts dans la prise pour voir s’il y avait le courant, mais d’une manière spéciale. Un type adorable, qui a rejoint l’autre monde depuis. Des gens de basse condition on va dire, qui venaient autant pour la survie que pour le panache. C’était ça le marché de Vienne : le panache. Chaque samedi, je venais avec le sourire. Je ne cherchais pas à forcer la vente, j’essayais juste d’avoir un petit dialogue avec les gens, d’être honnête, vraiment.

C’est un peu l’école de la vie.

Oui, pourquoi je te parle d’école ? Car quand le client potentiel arrive, tu dois adapter forcément un peu ton discours (blagueur ou pas) au faciès de la personne, à son attitude, ses gestes, l’intonation avec laquelle elle te parle. C’est une étude psychologique avancée, qui m’a beaucoup aidé ensuite dans mes interviews. Je me plantais rarement même si j’ai souvenir d’une cliente. Elle me demande comment sont les melons. Je lui réponds : « Dégoûtants madame, dégoûtants. Je vous en mets combien ? » Et elle me regarde horrifiée : « Et vous n’avez pas honte ? » Et elle est partie furieuse, elle n’a pas compris le second degré. La dame d’à côté était pliée en deux. C’est quand même une question géniale. J’imagine tellement le commerçant te dire : « Dégueulasses ! » Souvent, l’humour passait bien ; puis ma mère achète seulement des bons produits, allez la voir au marché de Vienne le samedi et de St. Priest le dimanche.

On se retrouve très prochainement pour la deuxième partie, autour de son activité professionnelle et la vision, sans détour,  du métier et de son évolution.

JM