PRO – Entretien avec Arnaud RAMSAY, journaliste (2/2)

Portrait Guy Martin

Seconde partie de l’entretien consacré à Arnaud Ramsay

PARCOURS PROFESSIONNEL JOURNALISTIQUE

On vous avait quitté en fin de première partie évoquant votre expérience sur France 5 dans l’émission « L’esprit du Sport. » Comment s’oriente la suite de votre parcours ?

Membre du Vivier de L’ÉQUIPE sous l’égide de Richard Montaignac – le Vivier était une sorte de centre de formation – je continuais à venir le week-end au journal pour faire des relectures, j’étais là aussi pour les Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. Comme les épreuves se déroulaient la nuit compte tenu du décalage horaire, nous étions quelques uns à remettre en forme les papiers reçus à l’aube. J’étais tous les jours sur place, je traînais dans les bureaux, et j’ai appris énormément. J’ai commencé à proposer des papiers transversaux, par exemple Bernard Kouchner parlant de sa passion pour le marathon.

L’émission L’Esprit du Sport s’est arrêtée en 1997 et j’ai embrayé avec Dominique Grimault sur l’émission La Planète Ronde, présentée par Maxime Bossis et Stéphane Paoli. On avait reçu le grand Ferenc Puskás, qu’on avait été chercher à l’aéroport, je l’avais accompagné au Parc des Princes. Çà ne peut plus arriver ce genre de choses. On tournait aussi des reportages sur les stades qui allaient accueillir la coupe du monde. J’apprenais le métier avec des caméramen, travaillais à poser ma voix. Cette émission s’est arrêtée comme prévu au début de la coupe du monde 1998. J’en garde de très bons souvenirs.

J’ai lu que c’est vous qui aviez fait le papier principal sur la nomination de Roger Lemerre pour L’ÉQUIPE. Vous confirmez ?

Oui, après le traumatisme avec Jacquet, et comme je connaissais Lemerre du Bataillon de Joinville, c’est moi jeune pigiste qui ai fait le papier principal pour non pas annoncer sa nomination en Bleu mais dresser son portrait. Quand j’y repense, cela parait anormal. Ce n’était pas à moi de faire ça !

Dans quelles conditions travaillez-vous à cette époque ?

Comme je papillonnais à droite à gauche car j’adore avoir un regard transversal, et que ça l’agaçait, Jérôme Bureau voulait que je me pose. Il m’a mis à la rubrique foot. J’ai alors couvert les matches, et pour ceux en direct il fallait faire un papier en 3 partie : le milieu de l’article qu’on envoyait à la mi-temps, la fin près du coup de sifflet final, le début et le chapeau quelques minutes plus tard. Ce n’est pas si vieux mais ça parait schizophrénique et sidérant aujourd’hui. Mais la première qualité principale du journaliste (de sport) est d’être malin, débrouillard et de savoir écrire vite.

Arnaud Ramsay et Olivier Dacourt
Arnaud Ramsay et Olivier Dacourt

En 1999, vous intégrez France-Football. Dans quelles circonstances rejoignez-vous cet hebdomadaire ?

Le groupe L’ÉQUIPE avait décidé deux choses dans l’optique de la Coupe du monde 98.

  • Lancer L’EQUIPE du dimanche, qui devait être un ballon d’essai mais est devenu un succès immédiat
  • Doubler France Football avec un complément le vendredi.

Devant le carton de la Coupe du Monde, cette décision s’est pérennisée. France Foot a eu la garantie de sortir deux éditions par semaine : garder l’édition du mardi très magazine et celle du vendredi plus actu, bouclées respectivement le dimanche soir et jeudi matin. J’ai donc bénéficié des trois créations de poste en CDI, avec Pascal Ferré (aujourd’hui directeur de la rédaction) et Laurent Campisteron (à la rubrique rugby aujourd’hui).

Quels souvenirs gardez-vous de ces six ans ? Et pourquoi démissionnez vous en 2005 ?

Comme tout se passait bien, on m’a demandé de suivre les bleus, j’ai voyagé en Australie, au Chili, couvert la coupe du monde 2002, l’Euro 2004. Ce sont des souvenirs intenses et j’étais très heureux. J’ai pris un plaisir fou à France Football. Ce magazine m’a permis d’avoir un salaire, une vie de bureau, des collègues réguliers, de balayer tout le spectre du foot, des droits télé aux transferts, des portraits aux enquêtes.

Arnaud Ramsay, Patrick Dessault et Patrick Sowden - Coupe du Monde 2002
Arnaud Ramsay, Patrick Dessault et Patrick Sowden – Coupe du Monde 2002

Après, j’estimais que par rapport à mes envies, je me trouvais « enfermé ». Je trouvais dommage de ne pas pouvoir travailler de manière plus transverse, j’aurais souhaité par exemple évoluer à l’intérieur du groupe, à L’EQUIPE Mag ou ailleurs. J’ai demandé en 2004 à prendre les passerelles évoquées officiellement par la direction mais elles n’existaient pas. Mon patron m’a fait comprendre qu’il ne me lâcherait pas et que en gros je devais trouver mon remplaçant. Alors j’ai commencé à regarder les opportunités autour de moi. J’aimais beaucoup le Journal du Dimanche pour son côté oblique et généraliste. J’ai approché le JDD, qui a répondu favorablement et j’ai démissionné de France Football en octobre 2005.

En passant d’un hebdo spécialisé aux football au JDD, vous découvrez une façon de travailler différente je suppose…

Le JDD étant plus généraliste, j’ai découvert d’autres gens, d’autres plumes, et des façons de travailler dissemblables. Pour France Football, on écrivait des torrents de 30 000 signes sur Henry, Zidane, Figo …. Pour un journal plus généraliste comme le JDD, c’est l’inverse. C’est le sujet qui va dicter le volume du texte. Grace au JDD , j’ai pu toucher à d’autres sports, couvrir les mondiaux de Basket au Japon dans la foulée du Mondial de foot en Allemagne, faire un portrait d’une page sur Beckenbauer dans sa dimension globale, etc.

Comment se prépare-t-on à ces différentes opportunités et s’adapte-t-on aux différents auditoires ?

Forcément, on s’adapte. Certains journalistes embrassent des carrières de directeur sportif ou agent de joueurs ou autres…Depuis 1985, je n’ai jamais dévié du journal « la Belle feuille » de mes 13 ans. Peu importe les « tuyaux » que j’emprunte aujourd’hui (radio, la télé, bouquins, aventures de presse écrite), je reste dans cette vocation : raconter des histoires, écrire, transmettre, partager, décrypter, mettre en perspective. De vivre aussi parfois par procuration. Pour les interviews, notre boulot est d’être l’intermédiaire entre les joueurs et le grand public. Nous ne sommes pas qu’un passeur. Si le joueur s’adresse à moi, c’est pour que les amateurs de foot les connaissent mieux. Actuellement je travaille sur l’autobiographie de Griezmann. C’est un livre bien sûr mais je le conçois comme un article de 300 pages. Tout en enchaînant les différents supports radio, presse, livre, je n’ai pas le sentiment de changer de méthode, d’approche et de faire un métier différent.

Même la télé ?

Le plus dur est peut-être quand j’ai travaillé à M6. La télé d’aujourd’hui fait que tu dois monter toi-même tes sujets, les tourner, et il faut être un peu technicien, ce que je ne suis pas du tout. Aujourd’hui, un jeune qui sort d’école tourne, monte et mixe pour un même salaire. Ce n’est pas très rassurant. Et, dans cette course à l’accélération, il est impossible de tout bien faire.

La Coupe du Monde 2010, Knysna… Comment avez-vous vécu cet épisode ubuesque ?

A ce moment-là, je suis patron des sports de France Soir, et en Afrique du Sud pendant un mois. Nous étions à Knysna, dans une station balnéaire en plein hiver, entourés de journalistes français, dans une bulle. Il était minuit et demie quand la une a commencé à circuler. Les 4/5 journalistes de L’EQUIPE présents à Knysna étaient également partagés, conscients qu’une ligne avait été franchie. Mais de là à imaginer l’onde de choc, l’ampleur du phénomène, la grève, l’exclusion d’Anelka, la prise de parole de Sarkozy, etc. Un véritable traumatisme. On peut dire qu’il y a un AVANT et un APRES Knysna.

Que vous inspire cette UNE ? Journalistiquement, comment l’expliquez vous ?

Avant de répondre à ta question, il faut clairement distinguer deux choses : La vie de reporter que j’ai connue et celle de rédacteur en chef, que j’ai également pratiquée puisque rédacteur en chef à France Soir en 2010. En tant que chef, tu décides, tu encadres, tu signes des feuilles, des budgets. J’ai adoré, mais au bout d’un moment, j’avais le sentiment de passer mon temps en réunion.

Après pourquoi faire cette une ? L’EQUIPE a croisé ses sources, et estimé que l ‘équipe de France allait à la catastrophe et ils ont eu raison d’ailleurs. Il s’agit à mon sens du choix d’un patron de résumer et illustrer l’état de déliquescence dans lequel se trouvait l’équipe de France, et dont le fautif principal à mes yeux reste Raymond Domenech, triste spectateur impuissant d’un naufrage dont il a été un piètre capitaine. Il a amené les joueurs dans le mur. On pourrait évoquer la lettre lue par Raymond, où j’étais à trois mètres…. L’élimination piteuse contre le Mexique. C’était surréaliste.

Après, journalistiquement, c’est un très un joli coup dont on parle encore aujourd’hui. Financièrement, ce n’est pas vraiment le cas puisque les événements ont eu lieu un samedi, et les tirages de L’ÉQUIPE Magazine sont programmés en amont. Mais c’est un événement médiatique important comme celui du Canard Enchaîné avec Fillon.

Il s’agit à mon sens du choix d’un patron de résumer et illustrer l’état de déliquescence dans lequel se trouvait l’équipe de France

Cette une vous-a-elle choqué ? L’auriez- vous réalisé en tant que rédacteur en chef ?

Ce qui m’a gêné le plus dans cette une est le photomontage avec l’impression de face contre face. Ce n’est absolument pas comme cela que ça s’est passé. Par ailleurs, Anelka était un bouc-émissaire facile et tout trouvé. Mais, encore une fois, il n’avait pas à avoir ce genre de comportement, même si les propos de la une ne reflètent pas, selon lui, ce qu’il s’est dit dans l’intimité du vestiaire.

Je ne l’aurais donc pas faite, mais je ne suis pas objectif, parce que je connais très bien Nicolas Anelka.

Comment vous-êtes vous connus ?

J’ai connu Nicolas Anelka très simplement alors que je faisais des piges pour L’ÉQUIPE. Le journal tentait de se diversifier en créant un magazine « XL » à destination des jeunes. J’étais motivé et on m’a demandé de faire un reportage de 24h sur la vie d’un joueur professionnel. Je me suis tourné vers le PSG. J’ai appelé le club, on m’a évoqué un très bon jeune, un certain Nicolas Anelka. A l’époque il a 16 ans et on accroche immédiatement. En l’observant, je sens immédiatement qu’il a un truc en plus. Je vois en face de moi un animal à sang froid, intelligent, à la fois très timide mais très ambitieux.

Cette proximité avec Anelka a été bénéfique pour vos différentes employeurs. Vous-a-t-elle aussi créé quelques soucis, notamment en 2010 ? Comment trouver la bonne distance avec un proche dans ce métier ?

Anelka j’en ai fait profiter L’ÉQUIPE, France Football, Le JDD, M6, France Soir, Aujourd’hui Sport. J’assume ma proximité avec Anelka, personnage très attachant, très apprécié des joueurs, bien loin de l’image qu’il peut avoir mais c’est ainsi. Je connais sa femme, ses frères, etc. Je me souviens d’une interview retentissante à Madrid après qu’il ait quitté l’entraînement. Je me suis retrouvé presque, à mon corps défendant, son unique interlocuteur, et réduit en « homme de confiance d’Anelka », alors que je ne me suis jamais pris pour son agent ou autres. J’ai toujours su où était ma place même si, médiatiquement, j’étais son seul filtre pour s’exprimer.

Une du 19 Juin 2010 – Source [1]

La une de L’ÉQUIPE en 2010 m’a effectivement gêné, d’autant plus que j’étais un acteur indirect. Même si j’ai des rapports privilégiés avec certains joueurs, je ne mélange pas les genres. Par exemple, je ne les contacte pas pendant les compétitions. Le vendredi 18 Juin 2010,vers minuit et demie, tout le monde commence à s’agiter et les messages pleuvent sur mon téléphone « Est-ce que tu es au courant, il parait que ça a chauffé entre Domenech et Anelka ». Non je n’étais pas au courant. Devant l’ampleur du moment, je me permets d’envoyer un message à Anelka « Est-ce que ça s’est arrangé avec Raymond » avec un petit smiley sans me douter qu’il allait répondre dans la seconde. « Lol, tu es déjà au courant »…Soudain, je l’informe de la une de L’ÉQUIPE le lendemain, il m’appelle et m’explique longuement sa version et surtout pourquoi les Bleus foncent dans le mur depuis des semaines. Alors que J’étais censé être off le samedi (jour de la sortie de la une), j’ai répondu à 150 interviews, pour Bein, RMC, RTL, j’étais en duplex avec Thomas Thouroude, etc. J’ai contacté Anelka en lui expliquant qu’il devait s’exprimer, ne serait-ce que pour mon employeur, France Soir, car je parlais à sa place. Et ce n’était pas mon métier.

Pourquoi Anelka ne prend-il pas la parole ? Comment expliquez-vous la réticence des joueurs de foot vis-à-vis du journalisme, qui rejoint une étude1 de 2014, présentant le métier dans les 10 métiers les plus détestés des Français ?

Anelka ne s’est jamais senti à l’aise avec les médias et il ne le sera jamais. C’est presque louable, il n’a jamais donné d’interview, il n’aime pas ça. Ce n’est pas une posture.

Globalement, on observe une défiance effectivement des Français envers certains métiers comme flics, sondeurs, journalistes…. Les lecteurs ont l’impression que l’info est gratuite alors qu’elle a un coût. Tout le monde se prend pour un journaliste parce qu’il a émis un avis sur twitter, et ce n’est pas parce qu’on émet une opinion qu’on est journaliste.

Des joueurs échappent-ils à votre constat ?

Oui, j’ai un exemple concret. Pour l’émission « l’esprit du Sport », j’avais rencontré Bixente Lizarazu, qui jouait à l’époque à l’Athletic Bilbao. C’est le seul joueur qui m’a interrogé sur le rôle de pigiste, sur ce qu’est un bouclage. Il était intéressé et son après carrière ne m’étonne pas du tout. Autre anecdote : en Israël, alors que je couvrais un match de l’équipe de France espoirs, Jérémy Bréchet m’avait demandé de lui prêter un livre. Si on creuse au-delà des apparences, de nombreux footballeurs sont intéressants. A nous d’aller les chercher.

Les clubs de foot m’ont toujours fasciné dans le mauvais sens du terme : Ils mettent énormément d’argent dans les centres de formation, attendent beaucoup des jeunes et il n’y a quasiment aucun cours de communication dans leur structure. Il en résulte une méconnaissance totale de notre métier. Les joueurs nous perçoivent alors comme « l’ennemi » alors qu’ils ne nous connaissent pas, ne savent pas s’exprimer, ne sont pas éduqués par rapports aux médias, ne savent pas ce qu’est un bouclage, un pigiste.

A leur décharge, la zone mixte fait que chaque phrase est un peu extrapolée, reprise par des émissions de foot, à l’After sur RMC par exemple. Ils ont l’impression d’être broyés et se développent une forme de parano. Mais les clubs sont les premiers responsables en ne les familiarisant pas à la communication, un élément important de leur métier.

Quelles sont les solutions ?

Dans un monde idéal, je rêverais que quelques joueurs de l’équipe de France ou du PSG viennent passer une journée à L’ÉQUIPE et vice versa, afin de comprendre les attentes du journaliste, voir le service photo, le bouclage. De la même manière, on pourrait imaginer les journalistes du Progrès intervenir au centre d’entraînement de Lyon pour expliquer leur métier, leur attentes, les contraintes qu’ils ont pour remplir un papier quand le joueur met trois plombes pour arriver en zone mixte…

En parlant de zone mixte, il n’y en a pas en Angleterre et les tabloïds se lâchent… En France, on a pris le parti et de privilégier la communication. Et ça ne fonctionne pas non plus…

C’est une question de culture aussi. On peut se plaindre des huis-clos du PSG mais il reste encore possible de voir les entraînements. En Angleterre, les centres d’entrainement ressemblent à des camps militaires. Les joueurs et journalistes s’ignorent totalement à moins d’avoir un entretien prévu et organisé par le club. Cette absence de relations crée les tabloïds, les paparazzi et la presse défouloir. Emmanuel Petit m’avait expliqué lors d’un entretien qu’il devait changer sa voiture de place, parce que les paparazzi le suivaient partout et que s’il avait le malheur de prendre un PV , les tabloïds allaient titrer « Petit fraude la loi ». C’est assez spécial… Beaucoup de joueurs ont raison quand ils murmurent « Jeunes joueurs de football français qui vous plaigniez de la presse française, allez à l’étranger et vous verrez comment la presse est violente, notamment en Angleterre ».

En Equipe de France, tout est très géré en termes de communication… Ça n’empêche pas les défiances, polémiques et autres doigts sur la bouche en direction des journalistes…

Oui, l’équipe de France est une sorte d’état dans l’état et tout prend des proportions parce que tout est bunkerisé, même si Philippe Tournon, le chef de presse historique, s’efforce de mettre de l’huile dans les rouages, avec compétence et sourire. Deschamps a beau veiller au grain, que ce soit récemment la une de Pogba ou celle de Griezmann, les joueurs le prennent mal parce qu’ils y sont sensibles. Et surtout, ils estiment à tort, que les quotidiens de Sport (L’ÉQUIPE puisqu’il n’y en a qu’un) est censé être derrière l’équipe de France, alors que ce n’est pas le travail de L’ÉQUIPE d’être supporter de l’équipe de France.

Mais les joueurs pourraient apprendre un peu les bases, la manière de répondre, trouver la bonne distance avec la presse. Et même quand les joueurs sont formés, ça arrive que les choses se passent mal. Je me souviens de Grégory Coupet, pourtant un très bon client, qui s‘était fait « piéger ». A l’époque, on est dans la guéguerre avec Barthez, et un journaliste à Clairefontaine lui demande s’il aimerait être titulaire. Je ne connais aucun joueur qui ne va pas dire oui. Coupet répond qu’il veut être numéro 1, c’est devenu le titre et on a ensuite entendu « Coupet il a le melon ». Les torts sont partagés.

Nathalie IANNETTA évoquait avec nous le problème du journalisme et de la télé et le fait que « beaucoup aujourd’hui font de la télé, travaillent pour soigner leur propre image. Ils ont oublié que le cœur même de ce métier, c’est de parler et de mettre en valeur les autres. » Partagez-vous son sentiment ?

Elle a évidemment raison. Le défaut des journalistes en Télé est qu’ils ont la sensation qu’ils sont les vedettes. C’est vrai qu’avec l’explosion des réseaux sociaux, certains journalistes, par exemple dans L’ÉQUIPE du soir, n’hésitent pas à se mettre en scène.

La télé accentue ce phénomène parce que l’image est forte. J’ai vu démarré Yoann Riou dans le métier, s’installer tout seul à Turin sans parler un mot d’italien. J’ai beaucoup de tendresse pour ce personnage passionné mais il est devenu une sorte de « vedette », un ovni télévisuel et j’ai un peu peur pour lui le jour où l’attention va baisser, où il va être prisonnier de son personnage…

Le défaut des journalistes en Télé est qu’ils ont la sensation qu’ils sont les vedettes.

Quand j’écris une biographie de Lizarazu, ou prochainement Griezmann, j’ai bien conscience que ce sont eux les « stars ». Je ne fais que les accompagner, les aider à se raconter. C’est ce que j’aime faire et pense le réaliser correctement. Quand je réalise un livre d’enquête sur Rybolovlev ou Platini, la posture est différente.

Comment s’affranchir des dangers de la télé ? Quel est le journaliste que vous appréciez particulièrement ?

J’aime beaucoup Frédéric Taddeï et François Busnel. Ils sont passionnés, pédagogues, sont vraiment à l’écoute de leurs interlocuteurs et rebondissent selon les réponses. Un bon journaliste est celui qui prend le temps d’écouter, qui s’adapte et qui ne vient pas avec des idées préconçues. Dans la presse de sport, le journaliste est devenu un journaliste d’opinion où il faut décrocher le bon mot, avec des phrases chocs comme « Draxler est nul et voici pourquoi ». Comment peut-on être radical ? Ou alors il faut mettre un peu d’humour… J’ai fait aussi On refait le match avec Pascal Praud. On sent bien qu’il ne faut pas toujours être d’accord et que c’est une sorte de jeu. Mais je ne pourrais pas être constamment dans ce genre d’émissions, ça ne me ressemble pas, même si le show – mais alors c’est un show – reste efficace.

Je mesure combien nous journalistes sommes ignorants d’un nombre incalculable de choses sur le quotidien de l’équipe. Alors un peu de mesure ferait du bien.

J’ai en mémoire, les commentaires de confrères sur le PSG : « Emery est un tocard », « Di Maria à la cave »… et puis tu gagnes 4/0 contre Barcelone avec un doublé de Di Maria. Quelle est notre légitimité pour asséner de telles « vérités » ? Et puis, à écrire des livres avec des joueurs, je mesure combien nous journalistes sommes ignorants d’un nombre incalculable de choses sur le quotidien de l’équipe. Alors un peu de mesure ferait du bien…

C’est aussi un problème de forme, de choix des mots. On peut estimer qu’un joueur n’apporte pas suffisamment dans l’équipe du PSG, sans le traiter de flop du mercato ou de tocard. Les mots sont importants et ont un sens.

Oui bien sur, après, il ne s’agit pas de dire que tout va bien quand ce n’est pas le cas. J’ai fait plusieurs fois l’émission l’After Foot sur RMC. J’aime bien Daniel Riolo, c’est quelqu’un d’intelligent, qui assume ses partis pris. Mais le côté vedette qui n’écoute pas toujours l’invité me crispe un peu. Bon, Daniel est comme cela naturellement, il adore la confrontation. S’il vient ici boire un café avec nous, il va râler. Parce que c’est plus fort que lui ! Mais il en rajoute, soigne cette image, constamment dans l’opinion permanente, chose incompatible selon moi avec le journaliste de radio ou de télé. Ou alors on devient éditorialiste.

A l’opposée, j’ai participé plusieurs fois à l’émission Les décodeurs avec Nathalie Iannetta sur Canal+Sport. Elle est douée, parce qu’elle est à l’écoute et posée, qu’on prenait le temps de décrypter. Aujourd’hui, elle a changé de carrière mais son travail était vraiment dans la vison que je me fais du métier. Moi je n’ai pas changé de carrière. J’ai changé de beaucoup de supports. On m’a appellé le Gravelaine de la presse pour mes transferts ou le couteau suisse. Mais j’assume. Écrire une BD, faire un bouquin d’enquête, un bouquin de confession, ça reste pour moi le même métier.

Aujourd’hui, Nathalie IANNETTA a changé de carrière mais son travail était vraiment dans la vison que je me fais du métier.

Quid de l’influence des réseaux sociaux dans l’évolution de votre métier ?

Au delà de la télé, twitter et facebook entraînent une escalade verbale où tout est de l’humour et de la dérision ; d’ailleurs je n’y échappe. Tout n’est pas dérision et humour et c’est le problème que j’ai eu avec Hanouna. Et dire qu’il investit dans le sport aujourd’hui…

Difficile de ne pas revenir sur histoire. Que s’est-il passé et pourquoi n’apparaissez-vous plus sur ITélé ?

L’histoire est à la fois simple, dérisoire et révélatrice. Il se trouve que j’étais depuis des années l’invité de Pascal Praud sur Itélé pour 20h foot. Un journaliste de France Football a fait une interview de l’humoriste Julien Cazarre, que je trouve très drôle. Dans cet entretien, Cazarre explique notamment avoir été approché par Hanouna pour figurer à l’émission Touche pas à mon Sport présentée par Estelle Denis et que çà l’intéressait pas, mais à la manière Cazarre ! Etant en mission durant cinq mois à France Football pour remplacer Yoann Riou parti en Angleterre, je tweet l’article. Qui est repris par des sites de télé. Quelques heures plus tard, je reçois trois appels manqués et rapprochés d’un numéro inconnu. Je rappelle et j’entends quelqu’un de très agressif et injurieux au bout du fil « C’est Hanouna, est-ce que tu es à Itélé qu’on s’explique…je vais te défoncer…tu ne sais pas qui je suis…t’es fini ». Je m’étais déjà fait insulter par Luis Fernandez et d’autres pour des articles, mais au moins pour des choses que j’avais faites. Mais là, je ne comprenais pas et j’ai d’abord cru à une blague.

Je contacte Julien Cazarre et il m’explique qu’il est dans la même situation, et même pire, qu’il a reçu des tombereaux d’insultes. Julien décide d’aller porter plainte au commissariat… et me suggère d’en faire autant. Cazarre et moi prévenons la direction de Canal, ça remonte très haut mais je continue de venir régulièrement – et bénévolement – dans les émissions de Pascal Praud. Le commissariat m’appelle pour témoigner dans le cadre de la plainte déposée. J’y reste deux heures et j’explique plus en détails les messages reçus, la chronologie de l’affaire.

Je sais qu’il y a de la censure, des personnes m’ont confirmé que l’ordre avait été donné de ne plus m’inviter.

A quel moment l’aventure avec Itélé s’arrête ?

J’ai continué d’être invité jusqu’à ce que le canard enchaîné se procure la plainte trois semaines plus tard, et me demande de confirmer. J’ai confirmé au journaliste ce qu’il savait déjà, et mon nom est ainsi sorti dans la presse. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Pascal Praud, que j’avais 3 fois par semaine. Gilles Verdez, que je remplaçais dans le décryptage du samedi et du dimanche parfois, exercice pour lequel je n’étais pas payé, ne me parle non plus. Je sais qu’il y a de la censure, des personnes m’ont confirmé que l’ordre avait été donné de ne plus m’inviter. Hanouna a une grosse emprise et est le vrai patron de canal. Les locaux de Touche pas à mon poste et 20h foot sont proches…J’avais écrit un bouquin avec Gilles Verdes, qui m’avait embauché comme patron des sports de France soir. Hanouna m’imaginait de la maison Itélé et pour lui je l’ai trahi alors que je ne portais pas de jugement de valeur.

Cela témoigne du danger des réseaux sociaux…

Tout dépend comment tu l’utilises. Moi je suis indépendant, à mon compte et utilise les réseaux sociaux comme une vitrine de mon travail, comme toi d’ailleurs. J’essaie d’être ma propre marque ! Après, des rédactions encouragent le tweet, avec des titres accrocheurs, pour générer le buzz. En plus ce n’est pas économiquement un modèle viable d’ailleurs.

AUTEUR DE BIOGRAPHIES

Comment avez-vous débuté l’écriture de livres ?

Étant un passionné de Basket, Dominique Grimault2, m’a proposé d’écrire pour Solar un livre intitulé Chicago Bulls racontant la règne de Michaël Jordan. J’ai aussi écrit avec lui un livre dressant le portrait des plus grands joueurs de l’histoire du football, livre signé Thierry Roland, nous avons écrit le livre de l’Euro 2000 remporté par les Bleus. Mais mon premier projet personnel date de 2004 aux éditions Michel Lafon, sur Boris Ngouo3, préfacé par Marcel Desailly et qui se penche sur la vie d’un camerounais racontant l’envers du décor : Le repérage au Cameroun à 13 ans, la venue en France, le vol des papiers, les essais à l’étranger, le racisme, les escrocs et autres agents véreux.

Puis tout s’enchaîne, avec en 2006 la biographie de Djorkaeff…

Oui, je suis contacté en 2006 par un journaliste de L’ÉQUIPE Magazine qui travaillait chez Grasset. Grasset est une maison d’édition pas spécialisée dans le sport mais qui profite des grands évènements pour lancer des projets comme une Coupe du monde. On me propose de faire la biographie de Lizarazu, que je connais bien. En 2006, Bixente est au Bayern, et ne veut la faire à ce moment. Je réfléchis alors au joueur susceptible de se raconter que je pourrais proposer à Grasset. Je trouve que Djorkaeff, par rapport à son histoire familiale notamment, répond parfaitement à mes attentes. A l’époque j’étais encore salarié de France Football. Le jour de la conférence de presse où il annonce son départ à New York, je lui soumets l’idée qu’il accepte. C’est ainsi que sort Snake4.

C’est vous qui avez proposé le nom de Djorkaeff. Est-ce vous qui choisissez les sujets de vos biographie ?

Oui, 9 fois sur 10, il s’agit de mon idée. Après, il m’arrive d’avoir des propositions de la part de maisons d’édition mais ce n’est jamais le sportif qui vient vers moi.

Est-ce difficile de convaincre les joueurs de se livrer ? Comment faites-vous ?

Il se trouve que j’ai une forme de légitimité parce que je sais faire ce genre d’exercice, qui n’est pas spécialement commode. Je peux le voir avec des joueurs comme Griezmann, peu à l’aise dans le discours. Mais je prends souvent l’exemple de Youri. Youri Djorkaeff a donné des centaines et des centaines d’interviews. Quand je vais le voir à New York, on se connaissait de relation journaliste/joueur, mais ce n’était pas un ami. Et je l’ai apprivoisé. J’ai fait un peu comme toi ce soir à savoir écouter, écouter, rebondir, écouter et écouter. Lorsqu’on a dépassé les deux heures d’interviews, il était rincé mais ça l’a obligé à ne plus être comme souvent en pilote automatique… Il devait comprendre que ce n’était pas une grande interview mais le bouquin de sa vie. Comme aux autres, je lui ai expliqué qu’un livre est une opportunité unique de laisser une trace familiale dans leur histoire, sachant que les a-valoir dans l’édition n’ont rien à voir avec le salaire d’un footballeur !

Je considère qu’il faut une trentaine d’heures de face à face (en dehors des moments de partage, déjeuner ou autres) pour que le bouquin soit réussi. Il se trouve que le livre a bien marché, je l’ai accompagné en promotion chez Taddeï, Ardisson, Ruquier…Ensuite j’ai fait la biographie de Lizarazu5 d’Anelkaet d’autres.

Justement, vous êtes amis avec Anelka quand vous réalisez sa biographie. N’est-ce pas un obstacle pour ce type d’exercice ? Selon vous, peut-on rédiger la biographie d’un ami ?

Lors de l’écriture du livre, je le connais depuis une quinzaine d’années, il m’a invité à son mariage, je connais sa famille. Mais ce n’est pas un livre d’opinion et dans la préface, je raconte en toute transparence mes relations avec Nicolas Anelka, les circonstances de notre rencontre. Il se trouve qu’il ne voulait pas faire de bouquin officiel, mais se raconter en photos, qu’on a choisies ensemble : De sa jeunesse, des gens qu’ils aiment, de Mike Tyson à Louis de Funes en passant par André Agassi et Kevin Keegan, qui fut son coach à Manchester. C’est la première fois que je faisais un livre sous cette forme.

L’ambiguité pourrait exister si je mélangeais les rôles, si je lui rédigeais ses textes pour une interview ou si j’écrivais ses communiqués. Mais ce n’est pas le cas, parce que ce n’est pas mon métier. J’estime avoir toujours su rester à ma place. Quelques fois, j’ai été approché par des agents qui avaient du mal à le contacter et qui voulaient lui proposer un club. Ils n’hésitaient pas à me proposer de toucher ma part si je les mettais en relation avec Nicolas. J’aurais pu gagner sans doute de l’argent, mais ça n’a jamais été ma ligne de conduite et j’ai toujours refusé en les renvoyant vers les gens qui s’occupaient de sa carrière.

Vous avez également participé à des co-écriture, avec Gilles Verdez7, ou Antoine Grynbaum8. Quelle est la difficulté de l’exercice ?

Schématiquement, on se dit qu’en écrivant à deux, le temps d’écriture va être partagé en deux, ce qui n’est pas forcément le cas. Il faut arriver à trouver une bonne collaboration, s’accorder sur les différentes tâches, et se répartir le travail. C’est aussi reposant, parce que les deux auteurs se complètent, et stimulant.

En revanche, il faut converger vers une homogénéité d’écriture, de sorte que l’emballage final donne l’impression que le livre est écrit par une seule et même personne. C’est la vraie difficulté de cet exercice.

De tous vos ouvrages, quel est celui qui a nécessité le plus de travail ?

Le livre sur Rybolovlev9

Celle dont vous êtes le plus fier ?

Il y en a deux. Celui sur Platini8, évoquant la conquète du pouvoir, depuis la fin de sa carrière, son ascension remarquable jusqu’aux limites qui allait révéler sa chute. Et puis, comme pour un film ou un album, on dit souvent qu’on retient toujours sa dernière oeuvre. J’ai adoré travailler sur le livre de Rybolovlev, milliardaire russe, ancien étudiant en médecine, qui a fait de la prison, qui a acheté 2 milliards d’euros de tableaux et qui devient président de l’AS Monaco. Le foot n’est en réalité que le prétexte pour légitimer le livre. Ce personnage de roman mêle la société, le people, la culture, l’histoire. Il est au carrefour de tout ce que j’aime faire.

Nous tenons à remercier chaleureusement Arnaud Ramsay pour sa grande disponibilité et lui souhaitons bonne continuation dans la suite de ses projets professionnels.

Références

1 – Enquète selon le site Planet

2 – Dominique Grimault et Arnaud Ramsay, La victoire est en bleu-Champion d’Europe des nations, Solar, 2000

3 – Boris Ngouo et Arnaud Ramsay, Terrain miné: Football, la foire aux illusions, Editions Michel Lafon, 2004

4 – Youri Djorkaeff et Arnaud Ramsay, Snake, Grasset & Fasquelle, 2006

5 – Bixente Lizarazu et Arnaud Ramsay, Bixente, Grasset & Fasquelle, 2007

6 – Nicolas Anelka et Arnaud Ramsay, Anelka par Anelka, Hugo et Compagnie, 2010

7 – Arnaud Ramsay et Gilles Verdez, Champions du monde 98 : secrets et pouvoir, éditions du Moment, 2014

8 – Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum, Président Platini, Editions Grasset, 2014

9 – Arnaud Ramsay, Dmitry Rybolovlev, le roman russe du président de l’AS Monaco, Cherche midi, 2017

Sources des images 

[1] – Site lemeilleurdufootball.net

[2] – Site Lesyeuxsurlesbleus

[3] – Site Lesyeuxsurlesbleus

[4] – Site Librairie-plumeetfabulettes.fr