
Pour ce nouvel entretien avec le monde professionnel, nous sommes allés à la rencontre de Christophe Guillou, éducateur au FC Lorient (Stage expérience). Il nous fait le plaisir de répondre à nos questions, et revenir sur son parcours, son rôle d’éducateur chez les merlus, et la vision du FC Lorient dans la formation.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?
Je suis issu d’un cursus STAPS Entraînement et Performance et ai suivi le parcours diplômant classique de la Fédération Française de Football. J’ai intégré pendant mon adolescence les différentes structures Sports Etudes de mon département et de ma région. C’est à partir de ce moment que la vocation d’éducateur s’est révélée à moi. Depuis maintenant 12 ans, j’interviens sur la formation des jeunes en football, où j’ai connu tout type. de public, d’âge et de niveau. J’ai travaillé en tant qu’éducateur sportif pour des structures d’action sociale sur des thématiques Sports Collectifs. J’ai pu développer des actions de sensibilisation et de prévention, indissociables à mon sens de la pratique sportive pure.
A présent, quelles sont vos activités ?
Aujourd’hui, je cumule deux fonctions : Tout d’abord, je suis assistant d’éducation en collège au sein de l’éducation nationale ce qui me permet d’affiner mes connaissances sur le public adolescent, que ce soit au niveau de leur comportement au quotidien mais aussi de leurs besoins. Cette fonction me permet véritablement de gagner en efficacité lors de mes différentes interventions.
Et j’interviens sur les stages Expérience FC Lorient depuis leur création en 2014. C’est un plaisir de travailler au sein du FC Lorient. Je me retrouve surtout dans les valeurs véhiculées par le club, et bénéfice de conditions de travail exceptionnelles.
Quels sont vos principaux interlocuteurs au sein du club ?
Samuel Lothoré, du service commercial et événementiel, responsable de l’Armada et créateur des stages Expérience FCL. Nous sommes en étroite collaboration pour la bonne tenue du stage ainsi qu’avec Anthony Bardon, éducateur qui intervient aussi sur la catégorie U13 de Thierry Guillou. Et bien évidemment comme l’espace FCL est un véritable lieu de vie, nous sommes amenés à côtoyer quotidiennement tous les éducateurs du centre ainsi que les professionnels.
« Nous sommes amenés à côtoyer tous les éducateurs du centre ainsi que les professionnels »
En quoi consiste un stage Expérience au FC Lorient ?
Les stages sont organisés toutes les 7 semaines environ, aux dates des vacances scolaires. En amont, Il y a un gros travail de préparation pour tout ce qui concerne la gestion des effectifs, des plannings, des contenus didactiques, des caractéristiques des stagiaires. L’objectif étant de réduire l’incertitude. Il n’y a pas de place pour l’improvisation.
![Stage Expérience - Source [1]](https://soccerpopulaire.files.wordpress.com/2015/03/s1-copie.jpg?w=593)
Quels sont les critères pour intégrer les stages expériences au FCL ?
Nous accueillons des stagiaires âgés de 11 à 16 ans (nés entre 1999 et 2004). C’est la seule contrainte. Les stages sont ouverts à tous, garçons ou filles, licenciés en club ou non. Et il n’y a aucune forme d’élitisme sportif. Peu importe le niveau du joueur/joueuse ou son expérience dans la pratique, il/elle est le bienvenu au sein de l’expérience FCL.
D’où viennent les stagiaires ?
Lors de nos deux premières sessions, les jeunes provenaient essentiellement du bassin lorientais, avec quelques finistériens car il n’y avait pas encore de possibilité de les héberger sur place. Mais nous avons tout de même reçu des jeunes du Sud de la France, d’Autriche et même du Viêt Nam.
Pour l’année 2015, nous avons pris en considération les besoins des familles. Cet été, nous aurons une possibilité d’hébergement ce qui va nous permettre de développer de nouvelles perspectives d’animation, d’actions de sensibilisation et accroître notre attractivité. Nous espérons recevoir des joueurs de l’étranger pour amener une dimension culturelle, et pourquoi ne pas mener des actions autour de l’Euro 2016. Nous sommes actuellement en pleine réflexion
Quelle est la journée type lors d’un stage ?
La journée se découpe selon le modèle suivant : Temps de pratique terrain-Temps libre-Temps éducatif. Les journées se succèdent donc en alternant les séances d’entraînement avec des actions de sensibilisation sur les thèmes de santé notamment (hygiène du sportif, l’alimentation, la prévention des blessures) et des pratiques de découvertes liées au football (Beach Soccer) ou extra football (Zoo, Bowling, Escalade, Paddle).
Le centre d’entraînement est situé à 300 mètres de la mer ce qui ouvre des perspectives intéressantes en termes de découverte de la région, de respect de l’environnement ou encore d’éco-citoyenneté. La fin de journée est consacrée au « fil-rouge », un tournoi en 5c5 dans la fosse synthétique sous une forme libre où la seule consigne est de réinvestir les éléments didactiques évoqués dans la journée.
![Stage Expérience - Source [1]](https://soccerpopulaire.files.wordpress.com/2015/03/s2-copie.jpg?w=593)
Quelle est la place des parents dans ces stages ? Quels liens entretenez-vous avec les stagiaires une fois le stage terminé ?
Lors de ce tournoi, les parents ont la possibilité de voir leurs enfants en situation, ils peuvent alors évaluer les progrès individuels et l’amélioration des productions collectives. Une fois que les enfants ont quitté le centre, nous faisons un bilan de la journée et un retour sur chaque stagiaire afin d’individualiser notre approche et être au plus près des besoins individuels. Dans le prolongement, un temps d’échange est mis en place avec chaque stagiaire sur la dernière journée afin d’effectuer un retour sur la semaine. Nous abordons en priorité le comportement et nous donnons des orientations, des pistes de travail pour que le jeune puisse poursuivre sa progression de manière épanouissante. Ces éléments n’engagent en rien sur les futures potentialités du jeune car l’observation du jeune se fait sur une courte période, dans un contexte particulier. Une fois le stage clôturé, nous mettons à contribution les familles afin qu’elles remplissent un questionnaire de satisfaction. Ces retours sont fondamentaux, pour développer les forces du stage, affiner nos contenus et construire de nouvelles perspectives.
Quels sont les retours des stagiaires ?
Je retiendrai un mot : l’enrichissement. Tout d’abord au plan humain. Les stagiaires vivent en groupe et dans une collectivité pendant une semaine, l’objectif étant véritablement de se nourrir de l’autre à travers ses qualités mais aussi ses défauts en ayant la capacité de faire des concessions.
Il y a bien évidemment un enrichissement au niveau des savoirs et savoirs-faire, les nouvelles connaissances et compétences qu’ils vont acquérir tout au long de la semaine. Enfin l’enrichissement au niveau de la découverte, celle du monde professionnel, des activités extra sportives, et pourquoi pas de nouveaux contenus d’entraînement non abordés au sein de leurs clubs respectifs.
« Les jeunes stagiaires ont pu s’entretenir avec Raphaël Guerreiro, Yann Jouffre, Wesley Lautoa mais aussi Sylvain Ripoll »
Les rencontres avec les professionnels sont forcément des moments forts. C’est un privilège et les stagiaires en sont conscients, et spécifiquement à Lorient car les joueurs sont très accessibles. Lors des premières sessions, les jeunes stagiaires ont côtoyé l’ensemble des joueurs pros et ont pu s’entretenir avec Raphaël Guerreiro, Yann Jouffre, Wesley Lautoa mais aussi avec Sylvain Ripoll. Un moment fort d’échanges et de partages
Quelles approches sont transmises durant cette semaines de stage ?
Nous sommes dans une vision tripartite entre l’Educatif, le Pédagogique et le Sportif afin que cet enrichissement soit possible. L’éducatif concerne les valeurs transmises durant la semaine de stage. Cet enrichissement précédemment évoqué n’est possible qu’à travers le respect d’un cadre de pratique prédéfini qui nous permet de transmettre les valeurs prônées et véhiculées par le club. La notion de Respect est centrale durant le stage. Nos stagiaires représentent l’image du club durant toute une semaine, donc nous sommes en droit d’être exigeant en termes de comportement individuel et collectif. L’UNICEF mènera notamment des opérations de sensibilisation durant les différentes sessions. Cette démarche permet au FC Lorient d’assumer son rôle sociétal, cher au club.
La deuxième notion qui est soutenue est la notion de collectif. Elle est inscrite dans les gènes même du FC Lorient. Chacun doit mettre ses qualités techniques ET morales au service du groupe. Il n’y aucune forme de compétition durant la semaine. La seule, si elle existe entre deux équipes durant le stage, est celle des intentions individuelles et collectives, la volonté de faire du « beau » ensemble sur la base de références communes. Quelle équipe à eu la volonté de respecter le jeu au maximum ?
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Enfin, nous tentons de développer les notions de responsabilisation et d’autonomie. Le joueur doit être acteur de son stage, être en réflexion sur le jeu, développer son sens de l’observation et son esprit critique. Mais les stagiaires doivent aussi être à même de se prendre en main, de se responsabiliser au niveau de la prévention des blessures, nous mettons en place un protocole santé spécifique associé à la pratique football, avec une initiation à la proprioception et à la relaxation notamment. Au niveau pédagogique, notre objectif est d’éviter que les joueurs soient dans une démarche de simple consommation. On va solliciter leur intelligence pour qu’il améliore leur compréhension du jeu. A travers des situations de recherche notamment, et un questionnement systématique. Voilà le type de message qu’on véhicule.
Au Pays-Bas, la priorité est donnée très jeune au développement des joueurs, à l’intelligence tactique et la recherche du plaisir.
Le football est un sport de réflexion, on a tendance à sous estimer cet aspect, la prise d’information et la prise de décision sont fondamentales dans la réussite du jeune joueur pour répondre aux problèmes posés par le jeu. Ce questionnement va affiner sa connaissance du jeu, son répertoire interne. Le but est de développer et solliciter toutes les ressources, tous les moyens dont dispose le joueur pour lui permettre de gagner en efficacité. A terme, le joueur doit être capable de donner des réponses spontanées sur le terrain dans un contexte d’incertitude. La finalité est de créer un climat d’apprentissage favorable où l’expression individuelle se voit renforcée au sein d’un groupe à travers cette implication.
Un apprentissage qui passe aussi par l’erreur j’imagine…
Oui, pour cela, il faut déjà redéfinir le statut de l’erreur, qui est la plupart du temps stigmatisée. Alors qu’une erreur est le levier d’un nouvel apprentissage ! La question qui se pose au joueur est : Pourquoi suis-je en difficulté ? Comment résoudre mon problème ? La confiance du stagiaire est logiquement renforcée ce qui favorise la prise de risque et la prise d’initiative. Ici, le joueur est au centre des intentions et l’éducateur se positionne comme un guide, c’est le joueur l’acteur principal de sa progression. Donc on peut aujourd’hui dire que le modèle directif ou pédagogie du modèle à vécu, Erick Mombaerts le dit bien : la clé c’est l’appropriation.
Tout ce modèle éducatif de partage, de coopération, de respect doit se traduire sur le terrain en termes d’initiatives et d’intentions. Les valeurs prônées s’imbriquent dans les principes de jeu. La finalité est de prendre du plaisir, c’est ce qui constitue à notre sens l’essence même de notre sport. Les principes de jeu et les valeurs du club sont bien ancrés donc il est normal pour nous de s’inscrire dans la continuité. On place avant tout les stagiaires dans une démarche collective. En début du stage, on définit un projet commun, nos attentes d’un point de vue du comportement individuel et collectif, sur et en dehors du terrain, sur la base de références communes qu’on va développer et affiner au fil de la semaine. Quand les joueurs adhérent au projet, les changements sont visibles et progressent. Les joueurs s’y retrouvent car au delà de prendre du plaisir, ils sont aussi en recherche de bénéfices.
« Une erreur est de mettre le résultat au centre de la formation »
Vous parlez beaucoup de plaisir, dans un sport, où même à un petit niveau, on évoque beaucoup le résultat. Qu’en pensez-vous ?
Une erreur est de mettre le résultat au centre d’un processus de formation. La compétition est stimulante mais le résultat ne doit pas prendre le pas sur un contenu de formation. Gilles Séro qui intervient sur le centre sur le thème du mental traduit bien cet élément. « Le résultat n’est que la conséquence de vos actions, c’est donc un indicateur et non un objectif » quand vous avez compris ça votre approche change de temporalité. Vous n’êtes plus sur du court terme mais sur du moyen ou long terme. Il faut aussi éviter de penser que si votre équipe gagne, c’est que vous êtes compétent. C’est un indicateur qui ne fait pas tout. Est-ce que vos joueurs ont pris du plaisir ? S’épanouissent-ils à travers la pratique ? Les progrès individuels et collectifs sont-ils visibles ? Si la réponse est oui, c’est que vous êtes sur la bonne voie.
Le football est devenu un sport très individuel. Comment justement redéfinir le collectif ?
Il faut insister sur le fait de privilégier l’interaction, l’échange, le partage, sur la volonté de donner le ballon, et d’être dans une disponibilité immédiate. La notion d’entraide est primordiale aussi, à travers le mouvement sans ballon et l’aide au porteur mais aussi au niveau de la communication verbale et non verbale créatrice de certitudes entre partenaires. Les initiatives s’inscrivent dans le projet collectif, et ce malgré les différences de niveau. On instaure un principe d’égalité et de réciprocité où chacun doit mettre ses compétences au service du projet commun.
![Stage Expérience - Source [1]](https://soccerpopulaire.files.wordpress.com/2015/03/expc3a9rience.jpg?w=593)
Pendant les séances toutes à base de jeu, on aborde les contenus techniques, tactiques et cognitifs à travers des situations globales. Au départ, nous sommes toujours dans une forme d’observation, où les joueurs s’adaptent. Ensuite, sur la base des références communes et des principes de jeu, on questionne, on oriente, on guide. Le joueur construit véritablement son apprentissage.
Quelles sont les principales qualités pour occuper ce type de poste ?
Je ne sais pas si c’est une qualité mais il faut avant tout être passionné, c’est une source de motivation inépuisable. Ensuite, il faut avoir la volonté de transmettre en étant capable de vulgariser ses connaissances. Le message véhiculé doit être clair, vous devez avoir des convictions fortes, car il faut donner de la certitude aux joueurs. Aussi, il faut être dans une constante volonté de recherche. C’est ce qui vous permet d’avancer, de vous remettre en question. Il y a un proverbe qui dit « qui ose ou a la prétention d’enseigner ne doit jamais cesser d’apprendre ».
Un éducateur se doit d’être dans cette démarche. Pour deux raisons : Affiner ses connaissances mais aussi au niveau de son propre développement personnel parce que l’on transmet ce qu’on est. L’humilité fait partie intégrante de la fonction, la remise en question doit être permanente. L’enfance, l’adolescence d’un jeune est unique, il n’y a pas de seconde chance, donc c’est de la responsabilité de l’éducateur de mettre toute son énergie et toutes ses compétences au service du jeune.
Quelles sont les difficultés du métier auxquelles vous êtes confronté ?
Une des difficultés est de faire adhérer l’individu au projet collectif. Chaque joueur a des besoins, des envies différentes. Il faut être capable de s’adapter et être à l’écoute de chacun. L’humain doit revenir au centre de l’intervention.
« Aujourd’hui, nous sommes face à une génération digitale, multitâche, qui se construit sans connaître la contrainte ni la frustration. »
Les jeunes générations sont souvent pointées du doigt. Avez-vous noté des changements lors de votre parcours ?
Le public encadré n’est pas le même qu’il y a 10 ans. Aujourd’hui nous sommes confrontés à une génération digitale, multitâche, qui se construit sans connaître la contrainte ni la frustration, la technologie leur offre tout, tout de suite. Dans notre intervention, apparaît forcément un antagonisme par rapport à ce mode de fonctionnement. Dans une démarche de progression, selon le principe d’essai-erreur, je dirais même d’essai-leçon, le joueur peut se sentir lésé.
Comment faire face à ces changements ?
Notre rôle est de s’adapter à ça et d’accrocher pédagogiquement le joueur, en l’impliquant et en tentant de se greffer à ce qu’il retrouve au quotidien. On a tendance à stigmatiser l’utilisation abusive des Smartphones ou autres. Nous devons plutôt réfléchir à la manière d’utiliser leurs habitudes dans une démarche de progression. Le recours à la vidéo, à la tablette tactile sont des outils intéressants, des accrocheurs pédagogiques puissants. On sait aujourd’hui que les jeunes n’aiment pas attendre, donc il faut les stimuler au maximum, à travers vos situations, votre discours, mais encore à travers des modèles de découverte, tout en gardant une cohérence sans jamais sortir du projet commun.
Un autre élément est la diversification fondamentale des supports de transmissions, à partir du moment où vous savez que chaque joueur peut apprendre de manière différente. Les supports permettent à l’éducateur de transmettre son message. Il y a ceux qui sont plus visuels, auditifs ou kinesthésiques. Donc vous devez alterner entre les explications verbales, le questionnement, le support papier ou vidéo, ou la mise en action. L’éducateur doit disposer de compétences transversales. Il doit à la fois être entraineur, éducateur, pédagogue…Et cela peut devenir complexe quand vous voulez maitriser ses éléments à la perfection.
Nous tenons à remercier chaleureusement Christophe Guillou pour sa disponibilité, sa patience ainsi que le FC Lorient, notamment Paul-Marie Gouzerh (@PaulMariGouzerh) sans qui cette interview n’aurait été possible. Un grand merci également à Bruno Perrel pour les illustrations. Nous leur souhaitons bonne continuation.
Référence
[1] – Photos de Bruno Perrel, reporter-photographe pour le FC Lorient (@BPerrel)