
Dans notre tour d’horizon des métiers du Football, Anthony Mette, psychologue du sport, nous fait le plaisir de répondre à nos questions, et aborder sa discipline dans le sport de haut niveau.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis psychologue spécialisé en sport et en santé. J’ai également un doctorat en psychologie. Cela fait 5 ans que je suis installé en libéral, notamment à la Clinique du Sport de Bordeaux-Mérignac. J’interviens aussi directement auprès de clubs et structures sportives de haut niveau. Enfin, j’ai une activité de recherche et je donne des cours à l’université.
Comment devient-on psychologue du sport ?
Il faut suivre une formation en psychologie, niveau master. Le doctorat n’est pas nécessaire. C’est un plus, mais qui pourrait devenir obligatoire dans quelques années. Après le master, il est généralement recommandé de faire une spécialisation (un diplôme Universitaire sur un an par exemple) en psychologie du sport. En effet, comme le métier est « nouveau » en France, il n’existe pas de formation type.
Existe-il une différence entre psychologue du sport et préparateur mental ?
Oui, il y a plusieurs différences. La première c’est la formation : STAPS pour le préparateur mental, psycho pour les psychologues. La deuxième différence majeure est sur le champ d’intervention : les préparateurs mentaux visent l’amélioration de la performance. Les psychologue visent prioritairement le bien-être du sportif. Nous pouvons travailler sur une amélioration de la performance. Et cette différence a son importance, car concrètement, pour la plupart des sportifs qui viennent me voir avec un objectif « performance », il y a toujours un problème derrière. Un problème de fatigue/burnout, des relations avec l’entourage, d’hyperactivité, etc… Et si vous ne prenez pas ces éléments en compte, vous n’arriverez à pas grand-chose en termes de performance. C’est ce qu’ont d’ailleurs démontré grand nombre de travaux scientifiques.
Quel est votre travail au quotidien ?
Du lundi au mercredi, je consulte sur mes deux cabinets. Jeudi et vendredi c’est aléatoire. J’en profite pour aller voir les sportifs à l’entrainement ou me rendre directement dans les clubs avec lesquelles je travaille. Ce sont également les jours où j’interviens pour les enseignements ou la recherche. Et le weekend, je vais régulièrement voir les sportifs que je suis en match.
Quels sont les sports qui vous sollicitent le plus ? Qu’en est-il du football ?
Le sport qui me sollicite le plus est sans conteste le tennis. A mon sens, pour plusieurs raisons : financière, sport où la concurrence est très élevée et très tôt, et c’est aussi une question « culturelle ». Le football, très sincèrement, est un des sports que je suis le moins amené à voir. A mon grand regret.
Le football est un des sports que je suis le moins amené à voir.
Des cellules existent-elle dans les centres de formation, où l’échec est important ?
Dans les centres de formation de football, il existe de plus en plus d’intervenants en psychologie, qui viennent justement veiller à la santé des sportifs. Personnellement, je travaille avec deux centres de formation rugby et basket, et c’est ce que l’on fait.
Cette démarche s’inscrit aussi avec les nouvelles règles imposées par le Ministère des Sports sur le statut haut niveau. Concrètement, dans le suivi médical longitudinal des sportifs de haut niveau (donc certains footballeurs en centre de formation) il est imposé 1, voire 2 bilans psychologiques par an. Les centres de formation ont ainsi tendance à systématiser ces suivis, ce qui est une très bonne chose. Nous ça nous ouvre les portes des structures, et ça permet de veiller/prévenir les difficultés que pourraient rencontrer les jeunes.
Votre activité touche-t-elle essentiellement les jeunes joueurs ou concerne-t-elle différents profils de joueurs (toute expérience et tout poste) ?
On travaille en grande partie avec les jeunes, du fait de cette systématisation du bilan psychologique. Après on est ouvert à tout le monde : tous sports, tous les âges, tous les postes sur le terrain. On adapte simplement le travail en fonction de chaque profil et chaque spécialité.
Quels sont vos liens avec les joueurs et le club ? Par qui êtes-vous mandaté ? Travaillez-vous avec des arbitres de haut niveau ?
Il y a globalement deux possibilités : (1) les sportifs viennent d’eux-même consulter au cabinet. C’est de leur plein gré, ou à la demande des parents, d’un proche ou d’un médecin. Soit (2) je me rends directement dans la structure et là c’est plus « obligatoire ». Même si à la fin, il n’y a que ceux qui sont intéressés qui font un réel travail.
Pour ce qui est des arbitres, je sais qu’il y a des formations spécifiques, notamment avec l’UEFA et la FIFA mais je n’ai jamais travaillé directement avec eux.


Les clubs font-ils appel à vous en période de mercato, avant un transfert ?
Non et à vrai dire je ne comprends pas pourquoi ! Quand on voit les sommes qui sont engagées sur les joueurs, la prise de risque est énorme ! Donc ne pas se renseigner précisément sur son état psychologique, sa motivation, ses capacités de concentration… à mon avis c’est une erreur flagrante. Pour des postes à très haute responsabilité en entreprise, vous passez parfois 4-5 entretiens et une batterie de tests. Dans le football et dans le sport, ce n’est pas encore le cas.
Malheureusement, c’est aussi une erreur de notre part les psychologues ! On ne sait pas transmettre clairement nos compétences. Aujourd’hui, on peut mesurer précisément les capacités et compétences psychologiques d’un joueur. Mais personne ne le sait et on est resté influencé par l’image du divan Freudien. Mais effectivement, on peut intervenir lors des recrutements si ça intéresse des clubs.
Ne pas se renseigner précisément sur son état psychologique, sa motivation, ses capacités de concentration est une erreur
Le psychologue intervient-il à titre individuel ou collectif (dans le cas d’un club qui joue le maintien par exemple)
Les deux sont envisageables. Personnellement je n’interviens quasiment que sur de l’individuel même s’il m’arrive d’organiser des séances en groupe. Mais intervenir sur la cohésion, le management d’une équipe peut être délicat…
La gestion de groupe fait partie intégrante d’un staff où se mêlent communication, psychologie et relation humaine. Le psy ne marche-t-il pas sur les plates-bandes du staff ? Comment votre métier est-il perçu par ce dernier ?
Votre question est à la fois pertinente et compliquée. Personnellement, je n’interviens pas dans ce domaine. J’ai un doctorat en psychologie sociale donc je connais parfaitement ces mécanismes. Mais il faut savoir se limiter. Si je commence à travailler sur de l’individuel, en prévention de la santé, en amélioration de la performance, et que je complète par un travail sur la cohésion de groupe, ça fait beaucoup ! Et puis je vais vous dire sincèrement : Pour intervenir sur ces paramètres de groupe, il faut être extrêmement bien installé dans le staff qui nécessite une confiance totale du manager. Or le manager s’attribue généralement ce type de responsabilités. Et d’expérience, le staff des équipes professionnelles, ce n’est pas toujours ce qui est le mieux défini, en termes de rôles, statuts, missions… Il n’y a pas beaucoup de Mourinho ou Wenger. Il vaut mieux parfois rester à sa place.
Votre travail s’inscrit-il dans une démarche corrective ou préventive ?
Les deux. Prévention pour voir si tout se passe bien et prévenir la blessure, de la fatigue principalement. Et corrective, si un problème se pose. En l’état actuel, la démarche pour laquelle je suis le plus sollicité concerne la gestion de stress et des émotions. On ne s’imagine pas le stress qu’il peut y avoir dans le haut niveau. Et on ne s’imagine pas non plus à quel point cette question est délaissée par les entraineurs et dans l’ensemble des formations. Une grande partie de mes interventions est axée là-dessus.
On ne s’imagine pas à quel point cette question est délaissée par les entraîneurs et dans l’ensemble des formations
Nous avons en tête des joueurs très à l’aise à l’entraînement et dont les performances étaient quelconques sur le terrain le week-end. Comment l’expliquez-vous et comment y remédier ?
A vrai dire, sans être marabou, ce genre de profil est assez « classique ». Ce sont généralement des joueurs « doués », qui aiment s’amuser, se faire plaisir, mais sont impactés par le stress en compétition qu’ils perçoivent généralement plus que la moyenne et ne savent pas gérer. Ils perdent leur instintivité, instinctivité qui fait leur force à l’entraînement. A plus long terme, cela peut également induire une perte de plaisir, des blessures à répétition, des arrets de carrières précoces, des changements de clubs incessants, etc. Il faut rester prudent avec ce genre d’analyse. Il faut bien sûr voir le joueur en entretien pour savoir exactement ce qui se cache derrière. Mais globalement, c’est un profil que l’on retrouve souvent, et dans tous les sports !
Justement, comment agissez-vous sur la performance d’un joueur ?
La spécificité de mon approche est d’être très « pragmatique », « rationnelle ». Les suivis ont un début et une fin. Dès le départ, j’explique aux sportifs qu’il faut s’imaginer le cerveau comme un muscle. On a longtemps cru que le cerveau était « figé » à l’âge adulte. Or, on sait aujourd’hui avec tous les travaux en neuroscience notamment, que le cerveau a une certain plasticité. On peut donc le muscler, le renforcer, en fonction de ce dont chacun a besoin.
Concrètement, je propose toujours 3 à 5 séances aux sportifs pour faire un bilan. C’est la première étape « diagnostic ». Cela comprend des entretiens et des tests. Les tests sont très importants car ils vont nous permettre de mesurer où en est le sportif actuellement, en termes de concentration, motivation, gestion du stress. Le tout est illustré par des graphiques. Et on peut ainsi dire au sportif « tu en es là aujourd’hui, je pense que tu peux atteindre ça ».
Ensuite, on passe à la deuxième étape. On met en place un « programme d’entraînement psychologique ». Ce programme comprend généralement 15 séances, dans lesquelles on va travailler les éléments importants pour chaque joueur. Et à la fin, les sportifs repassent les tests qu’il ont passé en début de session et ils voient leur évolution. Et soyons clair, si on travaille bien il y a toujours une évolution positive. Si pendant 6 mois vous vous entraînez 3h par semaine à faire un service à plat long de ligne, que vous mettez de la concentration, de l’engagement à chaque entraînement, vous allez progresser ! Et bien le mental c’est le même principe !
Les joueurs brésiliens à l’image de son capitaine Thiago Silva ont eu du mal à gérer leur émotion pendant la coupe du monde et la sélection a fait appel à un psychologue avant le 1/4 de finale contre la Colombie. Etait-ce trop tard ?
J’ai suivi cette histoire dans les médias. Sincèrement, je n’ai pas compris exactement ce qu’était venue faire cette psychologue. Est-ce que c’était trop tard ? Oui sûrement. Même si c’est toujours mieux que rien. Pour moi, ça démontre bien l’état d’esprit des entraîneurs et du football en général. On ne vous appelle qu’en cas de crise ou de gros problèmes. A titre de comparaison, il y a des disciplines et des pays où ces interventions sont beaucoup mieux cadrées. Aux JO par exemple, l’équipe américaine d’athlétisme démarque quasiment à chaque fois avec une dizaine de psychologues du sport !
Bon, à ma connaissance il n’y avait qu’un psychologue pour toute l’équipe de France aux derniers JO de Londres, tous sports confondus. On est donc encore loin de tout ça. Les instances dirigeantes et les entraîneurs ne sont concrètement pas encore prêts à travailler avec des psychologues.
Comment accompagner ces joueurs après un traumatisme comme celui ci en 2014 ou l’épisode Knsyna en 2010 pour les joueurs français ?
C’est à la fois facile et compliqué. Facile parce que c’est note travail de psy. On sait exactement gérer ces situations et l’après évènement. On peut apporter beaucoup de choses aux joueurs. Mais c’est compliqué : Il faut qu’on ait accès au joueur, qu’il nous fasse confiance, qu’il ne soit pas déjà engagé dans des relations avec d’autres intervenants« psy » plus ou moins sérieux et que les clubs nous laissent travailler sur du moyen/long terme.
Le très haut niveau sportif, ce n’est pas normal en soi.
Certains joueurs traversent des périodes difficiles d’un point de vue privé. On pense à Ribéry en 2010, Cavani actuellement au P.S.G ou à l’ex international allemand Hitzlsperger qui a révelé son homosexualité après sa carrière. Ce sont des sujets sur lesquels vous travaillez. Quels regards portez-vous sur ces problématiques qui interfèrent forcément le sportif ?
De ce que je sais, les parcours de vie de Ribéry, Cavani et Hitzlsperger sont très différents. Pour travailler avec des sportifs pro, je sais également que ce qui se dit dans la presse n’est pas toujours la vérité, ou en tout cas ce n’est qu’un bout de la vérité. Vous savez, on veut toujours tout savoir sur ces sportifs, connaître leur vie, sous prétexte qu’ils sont très bien payés ou qu’ils gagnent des médailles. Même médicalement, on ne respecte pas toujours le secret médical, comme on le ferait pour des patients lambda. Donc je fais très attention à ne pas réagir ou surinterpréter ce qui se dit sur un joueur dans la presse. Il faut le voir en entretien pour évaluer correctement la situation. Il nous faut l’ensemble des paramètres qui impactent sa qualité de vie et/ou sa performance.
Ce que je peux vous dire en tous les cas, c’est que tous, Ribéry, Cavani, Hitzlsperger et les autres, subissent une forme de stress très intense et répétée. Le très haut niveau sportif, ce n’est pas « normal » en soi. Ce n’est ni normal psychologiquement, ni physiquement. Cela demande donc un soin et une attention particulière.
Un grand merci à Anthony METTE pour sa disponibilité et nous lui souhaitons bonne continuation.
Références
[1] – Site Psychologie du Sport
[2] – Site RMC Sport
[3] – Site RTL
[4] – Site Eurosport
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