PRO – Entretien avec Sonia SOUID, agent FFF

Du sport de haut niveau niveau, en passant par le milieu de la mode, Sonia Souid trace désormais sa route dans un des métiers de l’ombre du sport professionnel. Depuis 2010, elle est en effet agent FIFA français et une des rares femmes dans le milieu. C’est avec beaucoup de gentillesse qu’elle a accepté de répondre à nos questions et revenir sur son parcours et sa vision du métier d’agent sportif.

Pouvez-vous revenir sur ce parcours assez atypique ?

J’ai toujours eu la passion du sport en moi, inculquée par mon père. J’ai touché à différents sports mais celui où je suis allée le plus loin en tant que joueuse est le Volley-Ball. J’ai fait le Pôle espoir Volley-Ball de Riom et ai joué pour le VBC Riom. En 2002, j’ai passé et mon bac scientifique et me suis inscrite en médecine l’année suivante. Mais lors de la première année de médecine, je deviens Miss Auvergne 2003, et participe dans le même temps à l’élection Miss France 2004. La ère année de médecine fut donc compromise car manquer 6 semaines de cours en P1 équivaut à renoncer de manière certaine à l’obtention d’un poste dans le numérus clausus. J’ai alors retenté ma chance une seconde fois, et obtiens un poste de sage-femme. Après réflexion je cède ma place. Je fais ma valise et monte dans le train pour Paris dans la foulée, très déçue par cet échec…

Comment le football est entré dans votre vie ?

Il est venu dans un premier temps par l’intermédiaire de mon père, qui est préparateur physique dans le football (il travaille actuellement au Qatar au centre Aspetar et au club de Qatar Sports Club qui évolue en QSL Qatar Stars League) ainsi que par mon environnement.Je suis née à Clermont-Ferrand, et j’ai vécu mes 14 premières année dans le quartier du Château des Vergnes, en face du Stade Gabriel Montpied. Tous les garçons jouaient au football. Mon petit frère jouait également et je le suivais.

Quelles sont les études pour devenir agent de football FIFA ?

Il suffit de passer un examen organisé par la FFF une fois par an. Un examen compliqué à obtenir, essentiellement basé sur le Droit. Mais tout le monde peut s’inscrire. Fin 2009, mon père me lance le défi de devenir agent. Je m’inscris dans la foulée sans pour autant me permettre de bénéficier d’une école privée qui prépare l’examen. Ces écoles sont payantes et je n’avais pas les moyens. Je m’accroche seule et j’ai la chance d’obtenir la précieuse licence en Mai 2010. Nous étions 400 à se présenter pour 18 reçus cette année-là, une femme … moi. Je n’y croyais pas, j’avais tellement travaillé pour l’obtenir, ce fut un tel soulagement.

Nous étions 400 à se présenter pour 18 reçus cette année-là..

Vous travaillez aujourd’hui pour le groupe CSM Sport&Entertainment. Pouvez-vous nous présenter ce groupe ?

Il s’agit du 4ème groupe mondial dans le domaine du Sport avec plus de 25 bureaux partout dans le monde. Notre président est Lord Sebastian Coe. Notre agence s’appelle Essentially France et je suis personnellement basée à Paris. Essentially France s’occupe pour l’instant de Rugby (nous sommes numéro 1 en France) et de football. Nous sommes trois pour le moment dans le département football : Je suis l’agent FFF et mes collaborateurs sont Messieurs Patrick Esteves et Samy Souid.

Vous débutez votre carrière dans le Golfe Persique. Quelles sont les raisons d’un tel choix ?

J’ai tenté ma chance en France mais je n’avais ni le réseau, ni l’assise financière nécessaire pour un développement positif de mon activité. J’étais face à un mur. J’ai donc dû simplement m’expatrier là où j’allais pouvoir bénéficier d’un appui de qualité et de confiance, celui de mon père. C’est la raison de mon début dans le Golfe persique.

Très peu de femmes travaillent en tant qu’agent de joueur. Comment vivez-vous cette réalité ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’être une femme dans ce milieu ?

Je le vis très bien. Je ne me vois pas comme une femme mais comme un agent. Je ne me pose pas toutes ces questions. Je pense que les dirigeants de club, entraîneurs, joueurs, n’en ont rien à faire du sexe de l’agent. Le plus important sont ses compétences et la qualité de son travail, de ses idées, de son portefeuille de clients. Nous sommes dans une conjoncture actuelle très difficile. Penser que l’on va plus travailler parce que l’on est une femme est utopique. Comme penser que la route est forcément barrer parce que l’on est une femme.

Vous vous faites connaître en 2012, grâce au prêt pour 6 mois du joueur Emirati Hamdan al-Kamali (défenseur du club Al-Wahda) à l’Olympique Lyonnais. Pouvez-vous nous en dire plus sur les motivations d’un tel accord et le rôle que vous avez joué ?

Quand je débarque aux émirats, je sens que les dirigeants des clubs là-bas sont méfiants des agents européens car ils ont été lésés. Ils ont en effet plus d’une fois contracté des joueurs qui sont venus en pré-retraite dorée alors que les joueurs étrangers doivent au contraire tirer vers le haut les équipes et les joueurs locaux. Car ce sont en grand partie les joueurs étrangers qui peuvent et doivent faire la différence dans ces championnats. Mon idée était de frapper fort et juste, pour pouvoir rapidement me faire un nom. Le constat a été rapide : Pas un seul des joueurs internationaux émiratis n’avait jamais évolué en Europe. J’ai mis longtemps à trouver le joueur émirati motivé pour se faire mal et partir en Europe dans un championnat majeur du football. Ce fut un vrai casse-tête.

Jean-Michel Aulas est un visionnaire, le fait de contracter un joueur émirati a également permis de faire connaître l’Olympique Lyonnais aux Emirats Arabes Unis et dans tout le Golfe Persique.

Vous avez la particularité de vous occupez du football masculin et féminin. On se souvient de la signature de Marie-Laure Delie au PSG, premier transfert payant dans le football féminin français. Quel est aujourd’hui votre portefeuille joueurs (% joueur/joueuses) ?

J’aime le football et je ne fais donc pas de différence entre le football féminin et masculin. Nous représentons aujourd’hui une quarantaine de personnes que ce soit joueuses, joueurs ou entraîneurs femmes & hommes.

Comment vous êtes vous construit ce portefeuille ? Comme l’entretenez-vous ?

Au fil du temps, des opportunités, travaillant très durs et en développant notre réseau que ce soit en France ou à l’étranger. Beaucoup d’agents ne parlent même pas anglais et ne connaissent que le marché français. Pour nous, le football n’a pas de frontières et il est absolument primordial de se développer partout dans le monde.

Beaucoup d’agents ne parlent même pas anglais et ne connaissent que le marché français.

Le métier d’agent est-il le même dans le foot masculin et féminin ? Sinon, en quoi sont-ils différents ?

Absolument le même …

Vous avez joué un rôle majeur dans l’arrive d’Helena Costa à Clermont, première femme à entraîner une équipe professionnelle, en France. Elle a finalement refusé le poste la veille de sa prise de fonction. Comment avez-vous géré cette situation ?

La réalité est que j’ai donné une idée au président du Clermont-Foot Monsieur Claude Michy. C’était inconcevable pour moi qu’une femme ne soit jamais devenue entraîneur d’une équipe professionnelle de football masculin dans le monde. C’est une première dans le monde à ce niveau-là. Vous vous rendez compte ? Nous sommes en 2014, c’est honteux !

Helena Costa démissionne, c’est son choix. Regrettable, incompréhensible parce que ce n’est pas tous les jours que se présente une telle opportunité pour une femme. Tant mieux pour Corinne Diacre. Le jour de la démission d’Helena Costa, Monsieur Michy part faire du vélo pour évacuer sa grande déception légitime et en revenant il m’appelle et me dit : « Et si on contactait Corinne Diacre ? » Pour être honnête, je rêvais secrètement qu’il revienne vers moi pour me demander cela, mais je n’osais pas lui proposer à nouveau de prendre une femme suite à ce qu’il venait de se produire. J’ai appelé Corinne Diacre dans la minute. La suite vous la connaissez. Monsieur Michy est un grand Monsieur. Je lui serai à jamais reconnaissante.

Qu’est ce qui vous semble important pour une bonne collaboration agent/joueur ou agent/entraîneur ? Quels critères vous semblent essentiels avant de s’engager ?

En 3 mots : la confiance réciproque !

Conseillers, famille proche (père, cousin, oncle, frère) gravitent autour des joueurs et peuvent interférer dans votre travail. Comment appréhendez-vous cette situation ?

Effectivement, c’est parfois très difficile à gérer, surtout quand l’entourage est malsain et nuisible pour le joueur. Il n’y a quelques fois rien à faire. Vous savez, nous préférons nous concentrer dans la mesure du possible sur des joueuses, joueurs, entraîneurs sains et passionnés. C’est notre politique.

Abordons un sujet assez « tabou », la rémunération d’un agent. Comment fonctionne-t-elle ?

Tabou je ne pense pas. C’est très simple. La rémunération se situe entre 3 et 10 % du salaire annuel brut du joueur. Mais c’est bien plus souvent 5 ou 6 % que 10 (rires). Bientôt, elle sera plafonnée à 3 % apparemment. Vous savez, le métier d’agent est un métier très concurrentiel et donc très difficile. L’image de l’agent jonglant avec les millions avec deux téléphones collés à l’oreille sautant d’un jet privé à l’autre, je ne dis pas que cela n’existe pas. Mais cette image colle à peut-être 10 agents maximum partout dans le monde et n’est pas très représentative de la majorité de la corporation.

Plus de 300 agents sont agréés par la FFF, certains agents exercent également sans posséder de licence. Le métier d’agent est-il précaire ?

Disons que certains agent en vivent très bien, d’autres en vivent mais seulement 40 des 350 agents licenciés je dirais. Le reste, j’avoue que c’est très difficile et compliqué.

Certains de vos confrères comme Jean-Pierre Bernès sont à la fois agent de joueurs, d’entraîneurs et de sélectionneur. Une situation qui a tendance à semer le doute sur votre profession en sous-entendant parfois des conflits d’intérêts. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est un faux problème. Les gens, surtout en France, sont pour la plupart jaloux et ne supportent pas quand quelqu’un réussit. Est-ce que l’agent de Didier Deschamps a forcé le sélectionneur de l’ équipe de France, de prendre Samir Nasri, un autre client de Jean-Pierre Bernès ? Regardez l’affaire Ribery, qui décide de quitter l’équipe de France avant l’Euro 2016 en France, alors que l’équipe de France a besoin de lui. Est-ce que le fait d’être l’agent des deux a empêché ces situations ? Pour moi, il n’y a rien de choquant à représenter entraîneur et joueurs d’une même équipe. Au contraire.

Les gens, surtout en France, sont pour la plupart jaloux et ne supportent pas quand quelqu’un réussit.

A l’instar de Florent Thauvin récemment, de plus en plus de joueurs vont juqu’au conflit avec leur club pour rejoindre une autre destination alors même qu’ils sont encore sous contrat. Qu’est-ce que ces pratiques vous inspirent et quelle est la part de responsabilité de l’agent ?

Oui c’est vrai. Et les agents ont bien entendu leur part de responsabilités. Il faut rester professionnel jusqu’au bout à mon sens. Et ce genre de comportement est intolérable. Mais est-ce que l’on parle des clubs qui mettent au placard les joueurs encore sous contrat devenus indésirables ? Est-ce que l’on parle de la pression quotidienne que subissent ces joueurs ? Le monde du football professionnel est souvent cruel et terrible.

Dans quelles mesures le Fair-Play-Financier a-t-il modifié votre travail ?

Le Fair Play Financier pousse les clubs à faire très attention à leurs dépenses. Mais il ne modifie en rien mon travail.

Un grand merci à Sonia Souid pour sa disponibilité et nous lui souhaitons bonne continuation.