DOSSIER – Pour ou contre le Fair-Play-Financier ?

Depuis sa réélection en 2010 à la tête de l’UEFA, Michel Platini a fait du Fair-Play Financier son projet phare de mandat. Par crainte de voir la dette sportive de chaque club augmenter, le dirigeant cherche à la contrôler et à la diminuer en contraignant les dépenses et en corrigeant les budgets. En effet, le fair-play financier repose sur une idée simple : une équipe ne peut pas dépenser plus de ce qu’elle gagne. Ses dépenses en matière de fonctionnement, de rémunération, de transfert, de marchandising doivent être strictement liées aux recettes d’exploitation afin d’empêcher tout club de s’endetter.

Arguments pour le Fair-Play-Financier

Jusqu’ici, les équipes européennes pratiquaient ce qu’on appelle en économie l’effet de levier, financer ses dépenses à crédit et rembourser la charge de la dette par les bénéfices obtenus de l’investissement. Par exemple, le Real Madrid a largement utilisé cet outil, notamment dans l’achat du joueur Cristiano Ronaldo. Payé 72 millions d’euros en 2009, transfert record à l’époque, le club madrilène avait pu récolter les fonds grâce à un prêt de la banque nationale d’Espagne et en hypothéquant leur centre d’entraînement. Heureusement, cet achat avait été rentabilisé en 3 jours avec les ventes de maillot et les droits privés d’images. Néanmoins, cette méthode n’est pas sans risque et n’apporte pas toujours les résultats escomptés. La perte sèche est en moyenne plus importante que les gains, les clubs ne sont pas gagnants à chaque fois avec l’effet de levier. On estime à 15 milliards d’euros la dette du Football Européen dont le tiers seulement pour le championnat Espagnol.

On comprend bien alors l’intérêt du Fair-Play-Financier dans l’esprit de Platini. Sa crainte est le non remboursement de la dette et l’écroulement de toute une économie, avec à terme la disparition probable de clubs incapables de combler leur déficit. Il déclarait déjà, en 2009, « si cette situation persiste, il ne faudra pas attende longtemps avant que des clubs majeurs disparaissent ». Mais son intérêt est double, Platini s’attaque aussi ici au déséquilibre compétitif. En effet, en plus de lutter contre l’augmentation de la dette, l’ancien turinois cherche à imposer une forme d’égalité dans le sport. Un club, pour se développer, devra faire avec ses moyens et ne pourra plus profiter des inclinaisons politiques et économiques nationales. Il met en place ici une harmonisation comptable européenne.

Autrefois, les clubs comme le Real Madrid, Manchester United, Valence ou le Milan AC pouvaient s’endetter, avec les autorisations de leur pays, pour s’offrir de nouveaux joueurs performants, construire de nouveaux stades, des nouveaux centres d’entraînement. Alors que d’autres, en France notamment, n’avaient pas les autorisations pour suivre ce chemin. Et un développement asymétrique se mettait en place. Avec le Fair-Play-Financier, Platini cherche à élaborer une convergence et à retrouver un équilibre compétitif. Un club, s’il veut grandir, ne peut le faire qu’avec ses fonds propres et s’il ne les a pas, il ne peut pas emprunter.

Enfin, un dernier élément vient favoriser l’idée du Fair-Play-Financier dans l’esprit de Platini : l’éclatement de la bulle inflationniste sur le marché des transferts. En effet, depuis l’arrêt Bosman de 1995 et la libéralisation du marché des joueurs sur le continent Européen, associé à la croissance importante des droits de retransmission, le prix moyen d’un transfert n’a cessé d’augmenter.

En 1893, le joueur Anglais Willie Groves était vendu 115 euros. Dans les années 1980, les deux stars Cruyft et Maradona ont respectivement été vendues 1 et 5.7 millions d’euros. Sur 100 ans, le taux annuel moyen de variation des indemnités de transfert a été de 10% entre 1893 et 1993. De la période allant de 1994 à 2013, le taux annuel moyen de variation est passé à 16%. Aujourd’hui, on parle de 100 millions pour le Gallois Gareth Bale au Real Madrid.

La mise en place d’une telle contrainte devrait inciter les clubs et les dirigeants à rationaliser leurs dépenses en minimisant le coût et maximisant le profit. La réflexion a priori devra être plus importante et les perspectives de bénéfices mises en avant. Théoriquement, si le club ne peut pas dépenser plus qu’il ne gagne, il sera désincité à payer un joueur très cher s’il n’a pas la garantie de son rendement.

Arguments contre le Fair-Play-Financier

Mais rien ne dit qu’un tel modèle est viable dans la réalité. Dans son dernier livre, Simon  Kuper cite les recherches des économistes Szymanski et del Barrio qui expliquent que les dirigeants européens posent avant tout la renommée et le palmarès comme objectifs avant le profit. « Ceux qui choisissent les profits peuvent faire une croix sur les titres : les clubs ont pour objectif les victoires. Pas les profits ». Ainsi, l’équilibre du Fair-Play-Financier serait difficile à atteindre puisque la compétitivité sportive est contraire à la compétitivité économique. Mais un autre point vient déstabiliser le système, d’où viennent ces profits ? Platini veut que les clubs ne dépensent que ce qu’ils gagnent. Or, nous venons de le voir, gagner nécessite des investissements. Et ce profit dépend de la notoriété du club. Plus une équipe est reconnue à travers le monde, plus elle vend de maillots, de produits dérivés, plus elle peut négocier des droits d’image à la hausse, vendre des places plus chères, etc. Cette construction de réputation est liée aux investissements préalables, ceux encourus depuis des années, lorsque le Fair-Play-Financier n’existait pas. Longtemps cité comme un exemple de réussite économique, le business-plan du Real Madrid du président Florentino Pérez tirerait largement profit du Fair-Play-Financier. En effet, le dirigeant utilise l’immense notoriété du club, construite depuis plusieurs décennies, pour faire signer des supers-stars à prix d’or. Seulement ces dernières acceptent en contrepartie de léguer la moitié de leur droit d’image au club. Ainsi, le Real Madrid dispose de 50% des droits du Portugais Cristiano Ronaldo et du Gallois Gareth Bale et peut ainsi constituer une immense capacité de profit à travers le monde.

Décrite dans le tome 2 de The Secret Footballer, cette méthode montre que le Fair-Play-Financier ne prend pas en considération l’histoire du football et vient renforcer le déséquilibre compétitif déjà présent. Des clubs déjà installés vont profiter de leur notoriété pour obtenir plus de profits. Ceux qui ne sont pas au niveau des Real Madrid, FC Barcelone, Manchester United ou Liverpool FC, comme le PSG par exemple, vont avoir plus de mal à s’installer durablement. Comment réaliser le plus de profit possible pour se placer dans le top 5 Européen si le PSG n’est pas capable de rivaliser avec des clubs connus à travers le monde et performants depuis des décennies grâce à l’effet de levier et à l’endettement compétitif ? Par exemple, le PSG n’a « que » 1.2 millions de followers sur twitter contre plus de 10 millions pour le FC Barcelone ou le Real Madrid. C’est autant de supporters en plus potentiellement acheteurs de maillot. Il y a une contrainte de développement supplémentaire avec le Fair-Play-Financier. Il ne prend pas en compte les différences de dotations initiales entre les clubs. La solution pourrait-être alors une harmonisation fiscale européenne et une équité financière.

Références

http://www.sofoot.com/blogs/la-science-du-foot/

http://leplus.nouvelobs.com/Lasciencedufoot

http://www.mondial-de-football.com/profile/pierre-rondeau/

Pierre Rondeau @Lasciencedufoot

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