PRO – Entretien avec Eric DUPRAT, ancien coach de Juvisy (1/2)

Eric Duprat
Eric Duprat

Après une première partie orientée sur son parcours, Eric Duprat revient dans ce second exercice sur sa vision du football et le milieu du ballon rond.

LA VISION DU FOOTBALL

Football féminin

Comment jugez-vous le niveau du championnat féminin français ?

Le football féminin français se situe dans les meilleures nations, sans donner un classement particulier. On peut se référer au classement FIFA, mais j’avoue que je ne le connais pas et les critères établis ne sont pas toujours pertinents comme on l’a vu avec les garçons. Il a dû bien progresser ces derniers temps aves les résultats obtenus. Mais il ne faut pas se cacher que la concurrence n’est pas aussi dure que dans le football masculin. Deux facteurs essentiels concourent à cette progression. Le premier réside dans la création de la section féminine du CTNF à Clairefontaine par la FFF en accord avec la DTN. Le travail fait avec nos jeunes pousses est déterminant et les résultats obtenus très tôt avec un titre de championne d’Europe des 19 ans en est la preuve. Je ne crois pas que d’autres pays bénéficient d’une telle structure sauf dernièrement. Les autres grandes nations, profitent d’une culture foot féminin comme les pays nordiques ou d’un réservoir en termes de licenciées bien supérieur au nôtre comme l’Allemagne, voir les deux comme aux USA.

Le second facteur est la semi professionnalisation des joueuses, ce qui leur laisse plus de temps pour s’entraîner et les libère un peu des soucis de la vie. L’équipe de France est composée pour la plupart des joueuses de l’équipe Lyonnaise et le fait de s’entraîner ensemble toute la saison renforce l’homogénéité de l’équipe. Les confrontations des clubs en coupe d’Europe sont aussi très formatrices. Il est à souhaiter que l’arrivée de l’argent ne pollue pas trop les esprits comme chez les garçons. Si le nombre de licenciées augmentent et que les mentalités évoluent, le football féminin français aura un avenir radieux. La dynamique impulsée par Brigitte Henriques au sein de la FFF (ancienne joueuse internationale de Poissy puis de Juvisy) devrait permettre d’atteindre ces objectifs

La plupart des joueuses du championnat de France n’ont pas de statut professionnel et ont un emploi, Lyon et Paris Saint-Germain faisant office d’exceptions. Comment le football féminin vit cette situation ?

Quand l’argent est arrivé dans le football féminin, le premier ressenti était une sorte d’injustice car nous étions impuissants pour rivaliser. Mais l’élan apporté et la dynamique mise en œuvre grâce au deux facteurs énoncés ont provoqué une médiatisation qui a bouleversé le paysage national de la pratique féminine du football. L’avenir nous dira si cela a été une bonne chose, mais nul ne peut nier l’intérêt nouveau qui existe pour notre équipe nationale et notre représentativité sur la scène internationale dans les grandes compétitions.

J’ai plus confiance en Lyon qu’en PSG pour pérenniser la démarche, mais rien n’est garanti. La chance du football féminin c’est qu’il coûte beaucoup moins cher que celui des hommes. Alors il sera plus facile de trouver des aides pour le financement tant au niveau des collectivités territoriales qu’au niveau des sponsors potentiels, même si la motivation des uns et des autres est primordiale. Le risque, c’est que la compétition ne présente pas une réelle concurrence. Contrairement aux USA où le spectacle est une priorité et où l’équilibre des rapports oppositions est recherché, l’Europe fonctionne toujours avec ces clubs phares. Nul ne s’émeut du palmarès espagnol que se partagent, pour une grande part, le Barça et le Real. On se plaint un peut aujourd’hui pour PSG et Monaco mais en fait tout le monde s’en fout du moment qu’on regagne la Champions League un jour. Il existe une certaine hypocrisie dans ce domaine. Je ne suis pas un fan de Lyon et d’Aulas, mais j’avoue que je crois plus en son projet sur la durée. Si cela permet à l’ensemble du football féminin français de progresser alors il ne faut pas hésiter à jouer le jeu, même si les petits clubs auront du mal à rivaliser.

Comment expliquez-vous le retard du football féminin en France, par rapport à d’autres pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis ?

Je l’ai un peu évoqué précédemment, on ne tient pas assez compte du potentiel en termes de nombre de licenciées. Plus la masse de pratiquantes est importante, plus vous avez de chances de trouver des athlètes exceptionnelles. Il arrive aussi parfois que vous tombiez sur une génération d’exception où les qualités des joueuses(rs) mais surtout leur complémentarité permettent d’obtenir des résultats probants. Il sera peut-être difficile de retrouver une génération comme celle dont a bénéficié Bruno Bini. Des caractères forts, des potentiels complémentaires et un réservoir non utilisé, il y avait de quoi faire. Le départ de Sonia Bompastor constitue la première perte importante dans cet effectif. La génération d’avant, avec Babeth Loisel, était très bonne mais ne bénéficiait pas des conditions d’entraînement et de formation actuelles. Il faut aussi tenir compte du contexte de la pratique et des relations qui sont mises en places au niveau des études. En dehors du CTNF et des centres régionaux pour les jeunes, les adolescentes ne bénéficient pas de structures universitaires correspondantes au type mis en place aux USA par exemple. Cette étape est essentielle dans la poursuite de la carrière et de la performance. Continuer sa pratique au plus haut niveau possible et aménager les études pour soulager les sportives du point de vue psychologique, cela n’existe que trop rarement en France. Certaines orientations sont prises dans ce sens, mais souvent très localisées. La FFF s’en préoccupe, mais la France est très en retard dans ce domaine. Nous ne sommes pas dans un pays « sportif » au niveau des mentalités. L’ouverture vers les pratiques physiques que l’on constate actuellement est plus un objectif économique qu’un réel choix idéologique. La diversité des pratiques proposées est aussi un handicap et la France est un pays où l’on peut bénéficier de tous les cadres d’évolution dans la pratique des activités de pleine nature et de loisir. Alors la concurrence est grande, sans parler de l’aspect très macho de l’organisation institutionnelle de la pratique du football mais des autres sports aussi. Combien de Présidents de fédérations sont des femmes ?

 « Le football est synonyme de bêtise, manque d’éducation et vulgarité c’est cela qu’il faut changer »

Sandrine Mathivet déclarait en 2011 : « certaines jeunes filles n’osent pas encore venir au football à cause de l’image de « garçon manqué » qui leur sera attribuée ». Partagez-vous ce sentiment ?

Je connais très bien Sandrine puisqu’elle est arrivée comme joueuse à Juvisy la même année que moi. Elle sait ce dont elle parle mais il ne faut pas accorder plus d’importance que cela à l’image de « garçon manqué ». Les parents qui se trouvent confrontés à ces cas n’y sont pas totalement étrangers. A ce titre, leur objectif est de permettre à leur fille de pratiquer une activité qui lui plaît. Après il s’agit d’un problème d’image et de fréquentation. Quand vous regarder des sportives d’autres sports, vous avez le même problème. Regardez le handball, le judo, et bien d’autres encore, parfois même l’athlétisme, le tennis, et vous rencontrez les mêmes cas. Une sportive de haut niveau est une femme exceptionnelle de part la force de son caractère. Et par rapport à la notion d’agressivité nécessaire à la performance dans la confrontation, vous allez retrouver ce type de personnalité. Et alors, quel est le problème du moment que l’environnement en a conscience et l’accepte ? Après, on peut être un « garçon manqué » et se tenir convenablement sans adopter les comportements et attitudes déplacées de certains footballeurs. Le football est synonyme de bêtise, manque d’éducation et vulgarité c’est cela qu’il faut changer. Les parents seront sans doute moins réticents. En fait, une des craintes majeures c’est l’homosexualité qui accompagne souvent l’image du garçon manqué. Et là, nous sommes face à une autre difficulté. Le vrai problème est celui de la détermination sexuée au stade des premières expériences sentimentales. Cela constitue une période charnière dans l’évolution de la personne. De ce côté-là, il y a un risque et des peurs aujourd’hui, mais qui accepte d’en parler franchement et sans faire preuve de quelconque sectarisme ou ségrégation ?

Le football féminin a explosé en 2011 avec la victoire de l’Olympique Lyonnais en finale de la Ligue des Champions et la 4ème place de l’équipe de France au mondial. Que pensez-vous de la récente médiatisation du football féminin en France ?

Merci aux dirigeantes militantes (Marilou Duringer et bien d’autres) aux dirigeants, parents qui ont œuvré dans l’ombre et bousculé les montagnes. Merci aux quelques Présidents de clubs professionnels qui ont ouvert leur tirelire pour nourrir un peu le football féminin. Merci à la DTN et aux entraîneurs nationaux qui ont soutenu et mis en place les structures nationales pour encadrer le football féminin. Sans cela, les médias continueraient à « ignorer » la pratique du football féminin. Ils ne se dirigent que vers l’information qui rapportent ou celle qui est sensationnelle, qui ouvre des polémiques. Notre équipe féminine nationale est arrivée à point pour détourner l’attention des requins qui fustigeaient l’équipe masculine au point qu’on a perdu quelques très bons joueurs. Elle a même servi d’exemple pour établir des comparaisons. Mais où étaient-ils avant ? Par correction, je ne citerai pas les noms des détracteurs patents de cette pratique féminine dans le monde des médias. Mais je crains là aussi que l’on fasse avec le football féminin ce qui se fait avec les hommes. Tout pour le foot et beaucoup moins pour les autres sports ? Heureusement que le handball et le basket, voire le volley-ball avec Cannes avaient pris les devants. Mais de quoi sera fait l’avenir médiatique du football féminin ? Attention à bien choisir les matchs qui seront diffusés…

Xavier Breuil, historien des Sports et auteur de l’Histoire du football féminin en Europe (1916-2011) déclarait qu’ « Historiquement, quand le football masculin est remis en cause, le public se tourne vers les compétitions féminines ». Pensez-vous que le football féminin ait profité de l’échec de l’équipe de France de football masculin en 2010 » ?

C’est un concours de circonstances. Si les hommes avaient été performants, l’attention se serait aussi portée sur les filles car les actions entreprises commençaient à porter leurs fruits. Le grand bond était inéluctable vus les progrès du niveau de jeu des filles. Ensuite c’est certain que lorsqu’il y a déception, on cherche un refuge ailleurs. L’attachement reste limité à la performance en dehors des fidèles de l’équipe nationale. Maintenant si les performances des filles baissent, l’attention se portera ailleurs. Étant donnée la génération exceptionnelle qui va peu à peu laisser la place et notre réservoir national limité, la continuité sera difficile à assurer. C’est aussi le succès et/ou la performance qui attirent les médias en dehors du sensationnel susceptible de provoquer des émotions.

Tous les acteurs du football féminin militent aujourd’hui pour une meilleure médiatisation de leur sport, synonyme de plus de licenciées et de sponsors. La médiatisation du sport et l’argent ne risque-elle pas de  polluer » ce sport ?

Ce n’est pas l’argent qui pollue les choses mais l’usage que les être humains en font. Ils ont trouvé un moyen d’échange qu’ils ont transformé en source de pouvoir. Le football féminin n’échappe pas au système mis en place tant dans la médiatisation que dans l’enjeu économique qu’il représente. Maintenant, il sera très loin de ce qui se passe et se passera avec le football masculin. Dans les jeux du cirque à l’origine ce sont des hommes. Ils sont plus forts et plus guerriers que les femmes. Le spectacle sera toujours plus intense et la curiosité va de paire, nos instincts animaux sans doute. Je ne suis pas sûr que l’attirance médiatique actuelle fasse grandement évoluer les mentalités. Il aura sans doute un impact sur le nombre de licenciées, mais sur la durée tout reste à faire et à démontrer.

Quelles sont les différences majeures entre le football masculin et féminin d’un point de vue du jeu ?

Le rapport au temps est la principale différence. Dans tous les sports, les femmes sont moins rapides que les garçons. L’engagement physique est moindre au sens où l’agressivité et les actes brutaux sont beaucoup plus rares sauf pour quelques nations qui culturellement adoptent un jeu privilégiant les aspects physiques. Il est d’ailleurs surprenant que le football soit calqué à ce point sur le football masculin, même ballon, même dimensions. Après, on peut aussi avancer le retard dans le domaine tactique et l’anticipation. C’est un manque de culture tactique, mais cela s’estompe très rapidement car les filles bénéficient des évolutions constatées sur de longues années au niveau du jeu masculin. Elles prennent en compte les avancées de la pratique. Lorsqu’elles commencent jeunes, les filles acquièrent de l’expérience qui favorise les progrès dans ce domaine. Certains travaux montrent que les femmes ont plus de difficultés à se représenter les évolutions dans l’espace. L’origine de ce constat n’est pas déterminée et on peut sans doute y remédier, mais c’est un élément à prendre en compte.

On compare souvent le football féminin, au football masculin des années 70 ? Partagez-vous cet avis ?

Quels sont les critères de comparaison qui permettent d’avancer cela ? Le football masculin a ses caractéristiques aux différentes étapes de son développement et le football féminin aussi. Le second a la chance de bénéficier de l’expérience et des connaissances, savoirs, issus de la pratique masculine et progresse donc plus rapidement. Mais il possède aussi ses propres spécificités et il représente une pratique riche de nouveaux domaines d’analyses et d’exploration. Les années soixante-dix ont été marquées par une nette évolution dans la préparation physique et la structuration des entraînements chez les hommes. A ce titre, on pourrait dire que le football féminin est sur la même voie actuellement, même si les équipes phares ont adopté, depuis déjà quelques années, des préparations rationnelles. En dehors de cela, je ne vois pas sur quels éléments les gens s’appuient pour affirmer cela. J’ai connu le football féminin au moment de son redémarrage durant les années 70 justement. J’ai entraîné les équipes féminines sur trois périodes du niveau régional au plus haut  niveau national, voire international et ce genre de comparaison ne me parait pas très justifié.

Le poste de gardien de but ne serait il pas celui qui souffre le plus de la comparaison avec le football masculin ?

Cela semble assez logique vu les moyens physiques plus limités des femmes par rapport aux hommes alors que le but à défendre est aux mêmes dimensions. La taille moyenne des hommes est supérieure à celle des femmes, donc il faut trouver des gabarits qui conviennent à la fonction. Quelques nations sont privilégiées pour cela, ce n’est pas le cas chez nous, ce qui a provoqué le passage de Sarah Bouhaddi du terrain au poste de gardienne de  but lors de sa formation.

A ce titre, pourrait-on envisager des modifications dans le football féminin, à l’image de ce qui se fait en Tennis (En Grand Chelem, les matchs se jouent en 2 sets gagnants pour les femmes, 3 sets gagnants chez les hommes) ? Seriez-vous favorable à une adaptation du football pour les femmes (2 mi-temps de 35 minutes par exemple ou autres mesures) ?

J’y suis favorable, je pense même qu’elle est nécessaire. Mais je ne crois pas que les modifications doivent être apportées au niveau du temps de jeu car les femmes sont aussi résistantes que les hommes. Je crois plutôt que c’est au niveau des dimensions de l’espace de jeu et éventuellement de la cible, encore que… En fait, je crois qu’il faudrait évoluer sur la possibilité qu’offre la loi 1 d’agrandir le terrain pour les hommes qui bénéficient aujourd’hui d’une préparation physique très pointue et ont progressé dans tous les domaines qui s’y rapporte. Les gamins passeraient du jeu à 5c5 sur quart de terrain, au jeu à 8c8 sur demi terrain à la pré adolescence. Puis adolescents au 11c11 sur un terrain aux dimensions réduites qui seraient valables aussi pour les féminines. Les adolescents et les seniors, en ayant les moyens, évolueraient sur un terrain aux dimensions supérieures. Il n’est pas nécessaire de modifier les dimensions des cibles sachant que sur demi terrain ils sont déjà de 2 sur 6 mètres et qu’avec l’expertise la précision devient une qualité supplémentaire. Jouer sur la taille du ballon en rajoutant un format pourrait aussi faciliter la gestuelle technique en fonction des potentiels physiques.

« Dans un sport individuel, la sexualité de chacun(e) pose moins de problèmes »

Vous déclariez dans la RIMHE2« Tant par le nombre de protagonistes que par l’ambiguïté des rapports qui se créent autour des situations affectives complexes, manager une équipe de football, et encore plus chez les femmes relève d’un exercice très périlleux ». En quoi, le management d’un groupe de femmes est spécifique et différent d’un groupe d’hommes ?

L’effectif d’une équipe féminine est souvent constitué d’un mélange de femmes hétéros et de femmes à « sexualité inversée » comme les nomme joliment Christine Menesson dans son ouvrage, ou femmes homosexuelles. On les appelle souvent avec un raccourci macho les garçons manqués. C’est un sujet qui fâche et qui est difficile d’aborder. J’ai moi-même essayé d’avoir un discours franc et clair à ce sujet, mais je ne suis pas sûr d’avoir été compris. La gestion de tout ce petit monde n’est pas facile, certains clubs féminins en sont morts. Pour être performant dans un sport individuel, la sexualité de chacun(e) pose moins de problèmes. Dans un sport collectif, cela entre en ligne de compte dans le réseau de relations qui se construit entre les joueuses, voire dirigeantes. Une bonne dynamique est bénéfique au groupe, des tensions liées aux aspects affectifs vous minent un groupe. C’est un risque majeur lorsqu’on entraîne une équipe féminine. Je n’ai pas été confronté à des problèmes semblables dans le football masculin et je n’ai jamais entendu un éducateur ou un entraîneur en parler.

Favorites de l’Euro 2013, l’équipe de France n’a pu faire mieux qu’un ¼ de finale. A quoi attribuez-vous cet « échec » ?

C’est ressenti comme un échec après les belles performances de la coupe du Monde et des J.O. Tout le monde espérait une consécration ou au moins une place sur le podium après en être passé si près sur les compétitions précédentes. Mais qui a pris en compte la dépense nerveuse de ces joueuses sur la durée ? Les mêmes joueuses sollicitées en championnat de France pour le titre, sollicitées en coupe d’Europe pour le titre, sollicitées dans les compétitions internationales pour atteindre un podium. Tout cela, sur quatre à cinq années avec une antériorité à ne pas négliger, pour des joueuses découvrant l’approche professionnelle. Toutes les équipes performante atteignent un jour le seuil de lassitude ou de fatigue psychologique qui fait que l’enthousiasme et l’investissement n’est plus le même. Et là, il faut prendre le temps de souffler pour se relancer.

Ensuite il y a les choix du sélectionneur. J’apprécie beaucoup Bruno Bini pour son enthousiasme et son humanisme. C’est vraiment un « mec sympa » et chaleureux. Il nous a présenté sa méthode lors d’un stage de recyclage des entraîneurs du championnat de France fin 2008, si mes souvenirs sont exacts. Je n’étais sur la même longueur d’onde et nous en avons parlé. Je respecte ses choix car je n’apprécie pas plus que cela quand quelqu’un vient me critiquer sur les miens. Il a assumé sa méthode et cela s’est joué au détail comme d’habitude pour le haut niveau, surtout lors de la Coupe du Monde je crois. Il avait gagné le titre de Champion d’Europe avec les 19 ans et s’est appuyé sur cette expérience et une partie du groupe dont il disposait. Dans la pratique sportive de haut niveau, on est toujours sur le « fil du rasoir » comme l’on dit, et cela a basculé du mauvais côté. Bravo tout de même, il a insufflé un nouvel élan pour le football féminin français.

Que pensez-vous de l’arrivée de Philippe Bergeroo, nouveau sélectionneur ? Connait-il vraiment le foot féminin ?

J’ai un peu côtoyé Philippe et je ne me souviens pas des son enthousiasme concernant le football féminin. Ses compétences de technicien ne sont pas mises en cause et il a le statut d’entraîneur national. La FFF distribue les responsabilités à son personnel de cadres techniques en fonction de différentes tâches attribuées à la DTN. Les raisons qui ont poussé la FFF à mettre Philippe Bergeroo comme sélectionneur nous sont inconnues. Je reste néanmoins perplexe, mais il devrait partir à la retraite prochainement et le problème du choix sera là de nouveau. En attendant, il s’est bien entouré au niveau du staff et cela peut suffire avec le groupe élargi de joueuses expérimentées. Nombre de cadres techniques fédéraux assument d’ailleurs des fonctions dans l’encadrement des équipes nationales féminines sans avoir d’expérience de cette pratique au féminin. Les anciennes joueuses de haut niveau sont souvent cantonnées aux rôles d’adjointes. Constituer des staffs mixtes me semble riche et plus pertinent, mais je pense que pour les équipes de jeunes au moins, la responsabilité devrait revenir à des femmes. Ensuite pour l’équipe A, l’expérience d’un homme peut constituer un atout supplémentaire, mais il faut une adjointe femme pour de nombreuses raisons.

Patrice Lair, entraîneur de l’OL n’a pas sa langue dans sa poche. Ses méthodes et sa façon de travailler ont fait leur preuve (3 titres de champion de France, 4 coupe de France, 2 ligues des champions). Sa « grande gueule » est-elle un obstacle pour une possible carrière en tant que sélectionneur de l’Equipe de France ?

Quand on a les meilleures joueuses, c’est plus facile de gagner des titres. J’en ai moi-même bénéficié. Cela ne retire rien au mérite de Patrice que je connais aussi. D’abord comme adversaire lorsqu’il était à Montpellier et je me souviens qu’il a un certain temps lâché le foot féminin. Son retour est sans doute lié aux conditions de travail que pouvait lui proposer l’Olympique Lyonnais. Il a bien fait d’en profiter et son expérience, sa rigueur et son travail ont permis aux lyonnaises de franchir un cap supplémentaire. Maintenant le plus dur, comme je l’ai déjà dit, c’est d’inscrire la performance dans la continuité. Ensuite, c’est une grande gueule mais je le suis aussi donc je ne vais le lui reprocher. La passion nous mène parfois à l’excès. Au moins avec des gens comme nous, il n’y a pas ou peu se sous-entendu, de choses qui restent sous silence. Les problèmes sont réglés, du moins, on le croit car les choses ne sont pas aussi nettes avec les filles qu’avec les garçons. Les séquelles sont souvent plus marquées et les plaies plus longues à cicatriser. Le voir comme sélectionneur de l’équipe de France est une autre histoire… Pourquoi pas, mais ce n’est pas l’orientation actuelle de la FFF au regard du dernier choix du sélectionneur. Elle fait rarement appel à des entraîneurs hors du cru fédéral, sinon j’aurais pu postuler au même titre que Farid Benstiti ou Patrice Lair. Et pourquoi pas une femme comme cela a déjà été le cas avec Babeth Loisel ? Pour finir, il est vrai que les « grandes gueules » dérangent, et je suis bien placé pour le savoir.

Football masculin

Quel regard portez-vous sur le football masculin et sur la ligue 1 actuelle ?

Contrairement à certaines idées véhiculées entre autre par les médias, le niveau de la Ligue 1 n’est pas si mauvais que cela. Les progrès réalisés ces dernières années dans la formation des cadres en est certainement la cause. Ce qui handicape le spectacle, c’est la pression que subissent les entraîneurs à cause des enjeux financiers. Elle se répercute sur les joueurs qui oublient de jouer et de croire en leurs possibilités d’agir. En parallèle, la formation des joueurs est en train de s’ouvrir à l’intelligence de jeu et je suis convaincu que c’est cela qui peut encore nous faire progresser dans le gotha du football international. La France ne s’est ouverte que tardivement au concept de la tactique (années 80) et aux logiques d’actions qui en découlent. Ce sera sans aucun doute un enjeu de taille pour rivaliser sur la scène internationale. On le voit très bien au niveau des pays émergents et dans le football féminin qui rattrape vite son retard grâce à l’implication des joueuses. Les techniciens seront-ils capables d’être compétents dans ce domaine ? C’est un enjeu de taille. Le choix systématique des dirigeants pour les anciens joueurs professionnels, ne bénéficiant pas toujours d’une formation et d’une réflexion aboutie, risque de constituer un obstacle de taille au processus d’évolution de la pratique.

Vous avez travaillé avec une adjointe. Pourrait-on voir des femmes intégrer le staff d’équipe de L1 ? Le football masculin est-il macho ?

J’ai personnellement confié une équipe masculine universitaire avec quelques joueurs de bon niveau, à l’adjointe dont vous parlez. La compétence n’est pas sexuée. Maintenant, l’expérience est un élément important et le contexte très macho du football n’est pas fait pour rendre les choses aisées. Je pense aussi que l’agressivité n’est pas l’apanage du genre féminin et au haut niveau c’est un élément important. Intégrer un staff, oui pourquoi pas, mais avec quelle responsabilité ? Je crois que la performance s’accompagne d’une capacité à aller au-delà de ses limites. Chaque personne a ses propres caractéristiques et certaines ont besoin d’être accompagnées pour se surpasser. Il me semble que l’équipe nationale féminine en a fait la triste expérience en passant si près d’une récompense qui aurait été méritée. La société est macho, le football est macho, notre éducation entretient cet état, je suis sans doute un peu macho, mais les femmes militantes font-elles réellement les choses pour que cela change lorsqu’elles ont le pouvoir ? Problématique complexe qui provoque un malaise certain.

« Quelle que soit l’habileté technique du joueur et son potentiel physique, c’est son cerveau qui commande la manœuvre »

Comment jugez-vous les dernières compétitions de l’équipe de France de football ?

En dehors des trois périodes fastes, 1958, l’ère Platini et France 98, la France n’a jamais été très performantes sur la durée. Il faut donc analyser les choses à leur juste valeur. Nous sommes une nation « moyenne plus » dans le gotha international. Nous subissons les effets d’une évolution sociale qui a donné du pouvoir au manque de rigueur, à la facilité. Plus de remontrances pour ne pas traumatiser, et tout accepter, tout laisser faire. Les évolutions étaient nécessaires mais les orientations ont été un peu exagérées. Résultat, les mentalités ne collent plus avec les exigences de la performance. On a beau avoir formé des virtuoses de l’adresse technique, on a oublié d’y mettre les adversaires. Les choses changent un peu en ce moment et la génération future sera sans doute plus complète. C’est-à-dire habitée d’une mentalité différente, du moins il faut y veiller, et d’une démarche intellectuelle différente, du moins il faut le souhaiter. Après la déroute, on ne peut qu’aller vers le mieux. Je crois que Deschamps est la personne la plus à même de redresser le navire aujourd’hui, même s’il existe des lacunes qu’il ne pourra pas modifier à court terme. Et le peut-il ? Les anciens joueurs se rendent compte, lorsqu’ils sont devenus entraîneurs, de la difficulté à faire évoluer des joueurs qui n’ont pas une très grande capacité d’adaptation, face aux exigences mouvantes du football. Quelle que soit l’habileté technique du joueur et son potentiel physique, c’est son cerveau qui commande la manœuvre. Quel que soit le talent d’un joueur, la force c’est l’équipe et dans cette mosaïque, chacun doit être au top de ses capacités à l’instant T. Ce n’est pas une chose facile, d’autant plus que le temps passe et les joueurs changent.

Vous évoquiez dans le RIMHE, l’après Knysna en déclarant « Depuis longtemps le football professionnel fait appel aux psychologues pour mieux cerner les caractéristiques d’un joueur lors du recrutement ou au cours de sont processus de formation. L’après Knysna (CM 2010 en Afrique du Sud) aurait sans doute nécessité une telle démarche pour remettre les joueurs français « sur pieds, dans leur tête ». Pourquoi une telle démarche n’a-t-elle pas été entreprise ?

Cela, il faut le demander aux cadres techniques de l’époque et au DTN. Le rugby qui a eu Marcoussis bien après le Clairefontaine du football a, d’entrée, créé une cellule de recherche sous la houlette de Villepreux. A la FFF, le protectionnisme et la crainte de ne pas maîtriser les choses ont limité l’ouverture vers les nouveaux savoirs et leur utilisation. Cette démarche conservatrice positionne le football français en retrait par rapport à d’autres nations où la coopération entre chercheurs et monde sportif est systématique. C’est un problème majeur même si, aujourd’hui, des efforts sont entrepris timidement dans ce sens. Pour en revenir à Knysna, les effets dévastateurs ont laissé sur le carreau des joueurs cadres pendant un long moment, il n’est d’ailleurs pas sûr qu’ils reviennent au devant de la scène du football français. Ce sont ceux qui évoluaient à l’étranger qui s’en sont le mieux remis. Je pense qu’il y avait quelque chose à faire de ce côté-là.

Comment réagissez-vous face aux nombreux épisodes qui secouent le football français ?

On récolte ce que l’on sème, le vedettariat dans un sport collectif, l’individualisme de la société, le culte de l’argent et rien d’autre, de la star qui marque des buts (quid du ballon d’or et autres trophées qui récompensent un joueur). Bref, on marche sur la tête. Les journalistes devraient aussi revoir leur copie sur la manière dont ils entretiennent ce processus d’idolâtrie. Jouer avec les fantasmes des gens est un jeu pervers qui provoque des pertes non négligeables.

Michel Platini a déclaré  « Je ne crois pas au dopage organisé dans le foot ». Qu’en pensez-vous ?

J’apprécie beaucoup Michel Platini pour ce qu’il a été en tant que joueur. Maintenant, il fait de la politique au sein de l’UEFA et il sera sans doute le futur Président de la FIFA. On ne crache pas dans la soupe d’un sport qui représente une des plus grandes puissances économiques au Monde quand on en est un des maîtres. Lorsqu’on parle de dopage organisé cela dépend de l’échelon de l’organisation. Difficile au niveau international contrairement au trucage de match pour les paris. Le dopage organisé existe, je pense, au niveau de certains staff médicaux, de certains clubs, sans obligatoirement que les joueurs le sachent, même s’ils s’en doutent un peu. Les salariés sont là pour être performants, les enjeux financiers sont colossaux. Dans le sport où le physique joue un rôle primordial, on ne peut éviter la course à l’armement. Après à titre individuel, dans tous les sports, certains joueurs seront tentés durant leur carrière de faire appel à des fournisseurs de produits dopants : Pour franchir un cap et devenir titulaire, revenir au top après une blessure, tenir le coup lors des périodes de fatigue, muscler son jeu comme les Allemands en 82, être performant dans une grande occasion. Les services de recherche de l’armée travaillent depuis longtemps sur les moyens de rendre l’homme plus fort et plus longtemps, il y aura toujours des fuites et des expérimentations cachées et des retombées dans le milieu du sport. Les recherches pour contrer le dopage auront toujours du retard. L’éthique et les belles paroles sont depuis longtemps des mots pour se rassurer. Les sportifs décédés prématurément sont les dommages collatéraux de la course à la performance humaine, ils s’inscrivent sur la liste des sportifs morts pour la cause.

Toute l’équipe de Soccer-Populaire tient à remercier Éric Duprat pour sa patience, sa franchise et sa disponibilité. Nous lui souhaitons bonne continuation.

Références

2 : Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme (n°6 – mars/avril 2013)

 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire