PRO – Entretien avec Eric DUPRAT, ancien coach de Juvisy (1/2)

Eric Duprat
Eric Duprat

Entraîneur de football, triple champion de France de football féminin, Éric Duprat nous a accordé une longue interview. Avec sincérité et passion, il revient sur son parcours et sa carrière d’entraîneur de haut niveau couronnée de succès à Juvisy, son métier d’enseignant-chercheur à l’université d’Evry et apporte un regard sans concession sur le milieu du football et son évolution.

LA DECOUVERTE DU FOOTBALL

Comment le sport est entré dans votre vie ?

J’ai commencé à faire du judo à l’âge de 6 ans à une époque où on ne jouait au foot qu’à partir de 8 ans. J’étais un petit garçon timide et mon père accordait une grande importance aux sports et activités physiques pour mon éducation. J’ai pris ma première licence de footballeur un peu plus tard et joué en jeune à l’AS Planètes à Maisons Alfort. A l’époque, je pratiquais les deux activités et je l’ai fait jusqu’à l’obtention de mon CAPEPS en 1982, sauf durant deux années (minime 2, cadet 1) suite à un déménagement pour venir vivre dans l’Essonne.

Jeune, quelles étaient vos idoles ?

Je n’avais pas d’idole. J’ai commencé à apprécié certains judokas : Mounier, Auffray, puis Rougé pour les Français, et Okano, Fuji puis Yamachita que j’ai croisé à l’INSEP pour les Japonais. Je n’ai jamais eu d’idoles, juste des modèles. Je pense que l’idolâtrie est source de soumission et d’abaissement de l’homme.

Pour le football, les joueurs qui m’ont marqué sont Johan Cruijff, l’artiste, et Kevin Keegan le battant mais ils jouaient tous les deux avec des partenaires de qualité au sein d’un groupe fort. A un deuxième niveau, Johan Neeskens, Beckenbauer et bien sûr Pelé mais qu’on voyait peu et sur des images anciennes. En France, il y avait Carnus, Bosquier, Beretta les Stéphanois devenus Marseillais, eux aussi bien entourés. Puis la génération Platini représente une étape particulière, ainsi que l’épopée des verts. J’ai croisé pas mal de ces joueurs par la suite Piazza, Lopez, Bathenay, etc…

A quand remontent vos premiers souvenirs de sports et de football ? Quel est le plus marquant ?

Ma première Coupe du Monde à la TV en 1970 avec une équipe du Brésil étincelante et des filous comme les Italiens, des courageux comme les Allemands. Les plus marquants : l’équipe d’Ajax des années 70 une révolution dans le football qui n’a pas été égalée à mon sens, même si nous avons vu et nous voyons d’autres très belles équipes.

« Je n’aime pas les gagne-petit, trop calculateurs. Le football est un jeu tactique mais qui doit être au service du jeu d’attaqu»

Êtes-vous ou étiez-vous supporter d’un club de football ?

Je ne suis pas supporter d’une équipe en dehors de l’équipe nationale à toutes les époques avec un petit coup de cœur pour l’ère Platini et la génération 98. J’aime le beau jeu, l’équipe qui produit du jeu et du spectacle. Ainsi mes préférences changent en fonction souvent de l’entraîneur qui imprime son empreinte dans le jeu de l’équipe, ce qui traduit une grande complicité entre l’ensemble des acteurs. A chaque époque, les mentalités et les méthodes évoluent mais les grandes équipes ont toujours un bon entraîneur ou staff. La performance dans le beau jeu implique toujours un bon assemblage et le chef d’orchestre doit être compétent. Il ne dispose pas toujours des bons musiciens, mais il tire au mieux profit des moyens dont il dispose à l’instar de Girard.

Avant, je suivais les équipes où jouaient mes joueurs préférés : Saint Etienne, Marseille. Puis des clubs ont jalonné mon parcours : Ajax, Bayern Munich, Liverpool, Saint-Etienne, Milan, l’Auxerre de Guy Roux. Des équipes nationales étrangères m’ont marqué : après le Brésil de 70, la Hollande en 74 puis 88, l’Argentine de 78, un mélange de classe et de labeur toujours orienté vers la gagne. Je n’aime pas les vainqueurs « gagne petit » trop calculateurs. Le football est un jeu tactique et stratégique mais qui doit être au service du jeu d’attaque. Maintenant ce sont les entraîneurs que j’ai côtoyé et que j’apprécie, comme Rudy Garcia, René Girard, Philippe Montanier qui mobilisent mon attention. Je suis attentif à leur parcours et leur réussite me fait plaisir.  

Adolescent, aviez-vous déjà en tête de faire une carrière dans le secteur sportif ?

J’ai assez rapidement été motivé par une carrière dans l’enseignement et l’entraînement du sport. Le sport professionnel ne permettant qu’à très peu d’élus d’en vivre, c’est l’enseignement qui est devenu mon objectif. J’étais un bon petit joueur mais je suis passé à côté des opportunités qui auraient pu me permettre de franchir un cap. Ou bien tout simplement, je n’avais pas le potentiel pour parvenir au haut niveau. La pratique en parallèle de deux sports a sans doute joué un rôle car je me débrouillais bien aussi sur le tatami. Lors de ma formation à l’université, nos enseignants insistaient sur la nécessité de passer les brevets d’état dans notre spécialité. Le choix du football s’est imposé peu à peu. Puis j’ai subi ce qui était à l’époque une grave blessure et suis passé progressivement de joueur à éducateur, entraîneur, assez logiquement. Le monde du football professionnel étant difficilement accessible et ayant réussi mon CAPEPS, je suis devenu enseignant d’EPS et j’exerçais en parallèle dans les clubs de football (BE 1, puis BE 2, DEF).

PARCOURS PROFESSIONNEL

Enseignant / chercheur

Parcours

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Comment devient-on enseignant dans le domaine du sport ?

J’ai été enseignant d’EPS en LEP puis en collège et ma première inspection s’est traduite par un bon rapport sur une séance de natation. Je faisais partie de la Commission Technique de Football de l’Essonne où j’encadrais les sélections et quelques stages de formation. Les équipes de jeunes que j’encadrais ont eu de bons résultats. J’avais obtenu le BE 2 football et j’avais une seconde spécialité le judo (ceinture noire 1 dan). Un éducateur de Bris Limours, ancien footballeur professionnel Chilien qui exerçait à l’université d’Orsay, m’a informé que la Division STAPS recrutait un enseignant spécialiste de football avec une force bivalence natation. J’ai postulé et j’ai été recruté en 1989. J’exerçais essentiellement au service des sports et peu à peu je suis intervenu sur la formation à l’UEREPS1 pour les cours de football. Lorsque le département STAPS d’Evry s’est ouvert, j’ai postulé. Nous avons mis en place cette structure avec deux autres collègues et la directrice du service des sports de l’époque. J’y exerce donc depuis 1997.

« Et plus les années passent, plus mon ressenti grandit d’un immense gâchis de notre matière grise nationale »

Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans le métier. Si vous deviez retenir une anecdote, quelle serait-elle ?

Mon début professionnel comme enseignant, ce n’est que du bonheur. Faire un métier que l’on aime, que demander de mieux ? Des anecdotes j’en ai à la pelle. Mais je retiendrais la seconde partie de ma carrière d’enseignant-formateur à l’université. Au début, tout était beau et motivant. Je m’attendais à y trouver un lieu où la démocratie s’exprimait au mieux d’après les informations qu’on m’avait données. J’y ai découvert un panier de crabes où les luttes de clans et d’influences sont légion et où des personnes considérées comme intelligentes ne sont même pas capables de s’organiser et de faire des choix en privilégiant les intérêts communs. Et plus les années passent, plus mon ressenti grandit d’un immense gâchis de notre matière grise nationale.

L’anecdote c’est que je n’aurai jamais pensé, ni même envisagé me remettre à étudier et à obtenir un DEA puis un Doctorat. C’est une bouffée d’oxygène apportée par un groupe de collègues militants qui ont dynamisé mon accès à la recherche.

Comment enseigne-t-on le football dans une université ?

Tout évolue avec le temps et avec les orientations prises au niveau ministériel, ce qui transforme régulièrement les formations. Celles-ci progressent sur trois certifications : la licence en trois ans, le master avec deux années de plus, plus le Doctorat sur trois années supplémentaires. Ce modèle est celui qui s’applique au niveau européen afin d’établir des équivalences de diplômes étant donnée la libre circulation des travailleurs.

Notre licence Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) comporte deux options : « éducation et motricité » et « entraînement ». Une troisième orientée vers les « activités physiques adaptées » (APA) devrait être remise en place. Chaque année est divisée en deux semestres, ce qui donne 6 semestres pour la licence. En STAPS, tous les étudiants (es) bénéficient d’un accès à un maximum d’activités physiques et artistiques (APSA) différentes durant leur cursus. Pour chacune d’entre elle, ils ont une vingtaine d’heures (18 à 20) de pratique et une dizaine de cours de théorie (10 à 12). Chaque semestre comporte un certain nombre d’unités d’enseignements composées de plusieurs disciplines et est évalué sur sa globalité et l’année est accordée lorsque la moyenne de 10 est atteinte sur l’ensemble des notes de l’année. Le Règlement du Contrôle des Connaissances (RCC) précise les coefficients et les crédits accordés à chaque Unité d’Enseignement.

Les masters sont ensuite des formations plus spécialisées en fonction des objectifs professionnels visés, professeur des écoles, professeur d’EPS, préparateur physique, entraîneur ou autres débouchés dans les professions d’agents territoriaux ou d’intervenants auprès des personnes handicapées. Un RCC est aussi établi pour chaque formation et des concours existent au niveau national pour certains métiers.

Quel support utilisez-vous ? Quel est le pourcentage entre la théorie et la pratique ?

Pour la pratique, les contenus permettent aux étudiants(es) de découvrir pour certains, de s’améliorer pour d’autres. Ils sont aussi le moyen pour nous de leur présenter des contenus pertinents, objectivés, qu’ils pourront réinvestir ensuite lors de leurs interventions auprès des enfants à l’école ou en club. En théorie, les contenus évoluent avec les transformations de la pratique et nécessitent donc de perpétuels réajustements grâce à une analyse régulière des différentes formes de l’activité. Au niveau du mode de présentation de l’activité, nous sommes passés du cours au tableau noir, puis tableau blanc, à celui avec rétroprojecteur et maintenant vidéoprojecteur. Nos cours sont construits à partir d’une trame commune établie après concertation. Nous nous appuyons sur des diaporamas, illustrés par des séquences vidéo extraites de rencontres et/ou de compétitions du haut niveau.

Vous êtes parallèlement chercheur à l’Université d’Evry-Val d’Essonne au labo «Enseigner, transmettre, encadrer ». En quoi consiste votre activité ?

En fait c’est un laboratoire rattaché à une structure étiquetée en « sciences de l’éducation »  au Centre de Recherche sur les Formations (adossé au CNAM) et c’est la seule sur l’université. Mon problème c’est d’être un chercheur isolé et dont le domaine de recherche ne correspond pas aux laboratoires existants à Evry, plutôt orientés sur les « sciences de la vie ». Le laboratoire ETE m’a permis de me rattacher à une structure reconnue depuis peu. J’essaie donc, tant bien que mal, de poursuivre mes recherches mais mon environnement ne me facilite pas les choses et j’avoue être un peu en sommeil. J’essaie tant bien que mal de me motiver pour ouvrir de nouveaux domaines d’analyse permettant d’apporter de nouveaux savoirs, des informations importantes et pertinentes. J’ai commencé certaines études intéressantes qui n’ont pas abouti par manque de temps ou de confrontation aux idées d’autres collègues. C’est dans la polémique constructive et le partage des avis que se construit un travail de recherche répondant aux exigences scientifiques.

Vous avez fait une thèse sur « Approche technologique de la récupération du ballon lors de la phase défensive en football, contribution à l’élaboration de contenus de formation innovants ». Comment les statistiques permettent-elles une amélioration de la formation des jeunes ?

A la base, mon but est de mieux connaître l’activité et de l’étudier dans ses moindres détails à partir de problèmes rencontrés dans le jeu ou de constats empiriques établis en observant la pratique de haut niveau. A partir des invariants ou des fortes tendances constatées et vérifiées statistiquement, nous pouvons préciser les logiques d’action pour atteindre un meilleur niveau de performance grâce à des comportements judicieux et des choix d’actions pertinents. Ces nouveaux savoirs et connaissances, critères établis de l’intelligence du jeu, nous permettent lors de la transposition didactique de construire et proposer de nouvelles situations d’apprentissages pour une meilleure formation des joueurs. Cela influe par ailleurs sur la formation des cadres (éducateurs, entraîneurs, formateurs) qui doivent évoluer avec leur temps et passer par l’appropriation de nouveaux savoirs.

Entraîneur d’une équipe de football de haut niveau

Vous devenez en 1993, l’entraîneur de l’équipe féminine de Juvisy. Comment cette opportunité s’est présentée à vous ?

Très tôt, j’ai encadré des féminines au football. Dès 1978 (CS Brétigny), j’ai participé à l’accès des jeunes et moins jeunes femmes à la pratique du football. J’ai toujours défendu le football au féminin. A l’université d’Orsay, les équipes de l’UEREPS étaient performantes dans beaucoup de sports. En foot, nous avions des équipes garçons et nous avons remporté le championnat de France Universitaire à trois reprises. J’ai monté une équipe féminine constituée de trois joueuses de Juvisy et d’étudiantes d’autres spécialités (judokate, handballeuses, basketteuses, athlètes, tenniswomen) intéressées par le projet. Nous avons participé plusieurs fois à la phase finale du championnat de France universitaire où nous accompagnions les garçons, et où brillait l’UEREPS de Lacretelle (où j’ai été formé) avec plusieurs joueuses de Juvisy. En dehors de l’ambiance, la dynamique créée était bénéfique pour tous nos étudiants(es) footballeurs(euses). En mai 93, nos joueuses de Juvisy m’informent du départ de l’entraîneur et me demande si le poste m’intéresse. Je rencontre donc le Président et nous voilà parti pour quatre années de découverte, de travail et de bonheur avec les trois titres à la clef. La FNSU me confiera même la responsabilité de constituer la première sélection nationale universitaire de football féminin en 1995, il me semble. J’exercerai ensuite à la VGA Saint Maur après sa descente en 2ème division, puis à Bagneux avec un nouveau titre de DH et un titre de champion de France de troisième division avec une montée en D2. En 2006, le président de Juvisy refait appel à mes services (participation à la Women’s Cup) et j’y resterai jusqu’en 2009 avec un départ douloureux.

 « J’ai rencontré des entraîneurs nationaux dont Aimé Jacquet, des CTR, des anciens pro, et toutes les conversations étaient pour moi sources d’informations et de questionnements »

Des modèles vous ont-ils inspiré dans le métier ?

Des modèles ? Non en dehors de Kovacs peut-être (Ajax, puis équipe de France) et encore. Des personnalités, oui. Mon professeur à l’UEREPS Lacretelle Paul Filippi (entraîneur au PUC) le déclencheur de tout le processus qui m’a fait découvrir la richesse tactique de l’activité dès 1977. Des auteurs d’ouvrages comme Justin Tessié, Eric Batty, Barodi, Jean-Francis Gréhaigne, Marcel Dugrand, André Menaut. Des anciens joueurs professionnels enseignants, cela m’est arrivé à l’UEREPS d’Orsay avec Raoul Delafuente, puis avec Bernard Guignedoux et une année Yannick Stopyra. Nous avions des conversations très riches et fructueuses et j’ai complété mon bagage au niveau offensif surtout avec Yannick. Dans le cadre de la commission technique de l’Essonne, nous avions aussi des échanges très intéressants. Le DTN actuel François Blaquart était notre CTR à l’époque et la dynamique, la diversité des genres des avis, étaient très fructueuses. D’anciens joueurs professionnels sont passés dans cette commission : José Garcia le père de Rudy, Coustillet, Guesdon, Gonfalone, Desbouillons, Touret. Tous ces échanges, toutes ces conversations ont jalonné mon parcours et ont complété mes diverses expériences, lectures et analyses. Durant les formations fédérales, j’ai rencontré des entraîneurs nationaux dont Aimé Jacquet, des CTR, des anciens professionnels, et toutes les conversations étaient pour moi sources d’informations et de questionnements. Durant mes recherches, j’ai bénéficié de l’aide des personnels du CTNF de Clairefontaine au centre de documentation, de l’avis de Jean François Jodar et des entraîneurs de l’INF Clairefontaine Dusseaux, Mérelle etc. J’ai confronté mes travaux aux avis et remarques des mes collègues de l’université, Daniel Bouthier en tête, et j’ai reçu l’aide de Jean-Pierre Cleuzioux pour les statistiques. En fait, il y a ceux qui ne sont pas des spécialistes de football mais sans qui mon parcours ne serait pas le même et tous les spécialistes de l’activité : ex joueurs, entraîneurs, éducateurs comme Daniel Charlot, chercheurs comme Gréhaigne, Menaut, Lemoine,  qui ont apporté leur pierre à l’édifice.

Dans la revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme, vous revenez sur le métier d’encadrant en citant les travaux de Mispelblom qui discerne les « sept secrets de l’encadrement ». Pourriez-vous nous présenter rapidement ses « sept secrets », et donner un exemple ?

Je crois que l’article présente bien les relations que j’ai pu établir entre le monde du travail et le management d’un entraîneur de football. Je vous convie donc à le lire car il n’est pas très long et difficile à résumer en quelques lignes. Précisons que je n’ai pas exercé au niveau professionnel, je ne peux donc en parler, c’est un terrain réservé et je le regrette. J’aurais vraiment aimé collaborer avec un ou plusieurs anciens joueurs professionnels dans la fonction d’entraîneur. Je pense que mon regard et mes connaissances pourraient compléter à merveille toute l’expérience dont ils bénéficient. Mon plus grand regret et de ne pas avoir pu travailler avec l’un d’entre eux sur un club professionnel car je suis convaincu que la performance aurait été au rendez-vous.

Quelles différences faites-vous entre un enseignant, un formateur, un entraîneur et un manager ? Ces métiers sont-ils interchangeables ?

Question complexe que je vais essayer de traiter succinctement. La première différence c’est que l’action d’un enseignant, quelle que soit sa spécialité, s’inscrit dans un processus global d’éducation. Il fait référence à des savoirs qu’il doit transmettre dans un cadre institutionnalisé. Il apporte sa pierre à l’édifice pour assurer la capacité de chacun à devenir autonome et à nager dans l’eau trouble de notre société. Il ouvre accès à un choix de métiers. Si c’est un enseignant d’EPS, il s’appuie sur les différentes APSA pour développer les apprentissages moteurs des élèves. Il est d’ailleurs surprenant qu’il n’apparaisse qu’au niveau du collège. C’est une des aberrations de notre système éducatif. L’éducateur de football a aussi cette fonction mais dans le domaine du sport, d’une spécialité. Même s’il transmet des valeurs humaines au niveau de la vie de groupe, son intervention reste limitée et il s’appuie plus souvent sur l’expérience et les connaissances que sur les savoirs. Il n’a pas de cadre, sauf très rarement, au niveau de ses objectifs d’apprentissages.

Le terme de formateur peut être utilisé dans différents domaines. Le formateur en STAPS à l’université apporte des savoirs et connaissances pour former aux métiers de l’intervention dans le cadre de l’organisation, l’enseignement, l’entraînement, des activités physiques et sportives. Il s’adresse à des adolescents qui, pour certains, n’ont pas encore déterminé leur projet de vie. L’université est obligée de les accueillir lorsqu’ils ont obtenu leur baccalauréat. Le formateur en centre de formation d’un club professionnel prépare les joueurs au métier de footballeur professionnel. Il n’y a qu’un seul débouché possible et la concurrence est très élevée. Les joueurs qu’il encadre n’ont qu’un objectif. Ils entrent dans la structure plus jeune, et après il y a une sélection. S’ils échouent, le risque est grand, d’où la nécessité de poursuivre les études dans ce cadre afin de pouvoir rebondir en cas d’échec malgré la déception.

L’entraîneur est un spécialiste de l’activité qui doit rendre son groupe le plus performant possible. Certains excellent dans la gestion du groupe et dans l’exploitation des potentiels dont ils disposent. D’autres restent toujours un peu formateur et s’appliquent à bonifier chacun des éléments dont il dispose pour rendre l’équipe plus forte. Quand on n’a pas la main sur le choix des joueurs, comme c’est souvent le cas dans le football amateur, alors on est un peu obligé de prendre la deuxième solution. Mais cela nécessite d’autres compétences et n’est pas permis à tout le monde. La manager a quant à lui un regard sur les finances et donc sur le recrutement. Il a le pouvoir de choisir ses joueurs en fonction des moyens dont il dispose. C’est un rôle plus complet qui demande des compétences dans le domaine du football, de la gestion des hommes mais aussi de l’argent. C’est plus complexe mais plus riche dans les possibilités offertes. Je pense que Wenger en est un bon exemple, c’est ce qui explique sa longévité.

Vous devenez entraîneur de Juvisy en 1993. Quel était le budget et les moyens du club à cette époque ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les techniciens ne sont que très rarement au courant du budget précis des clubs dans lequel ils évoluent. Ils participent parfois aux assemblées générales, mais n’ont pas vraiment accès aux affaires financières. De plus, nous sommes passés des francs aux euros et la comparaison, vu l’évolution du club, me semble difficile à faire. Aujourd’hui, le budget de Juvisy doit tourner autour de 700 000 euros, il va bientôt atteindre le million d’euros je pense. Disons que nous sommes entrés dans une période de semi professionnalisation du football féminin comme le handball, le basket et le volley au féminin. Bien sur, comme chez les garçons, le football sera peu à peu au dessus des autres au niveau des rémunérations.

Je crois que Loulou Nicollin a été le premier à dédommager les filles pour leurs efforts. Jean-Michel Aulas a suivi, mais avec une vision avant-gardiste des choses qui lui permet de conserver l’image européenne de l’Olympique Lyonnais malgré les difficultés actuelles au niveau masculin. Sa méthode et son parcours méritent vraiment d’être étudiés. Il sait très bien où il va et aucun autre club n’est capable de le suivre. Nous verrons si son projet aboutit sachant la concurrence qui se dresse devant lui avec le PSG. Pour les autres, en dehors de Juvisy avec son histoire et sa notoriété et des clubs dépendant d’une section masculine professionnelle (Saint-Etienne, Guingamp, Toulouse, Le Mans en D2), le parcours est vraiment très compliqué. Ils ne tirent pas dans la même catégorie.

Quelles étaient les ambitions de Juvisy à l’époque ?

Tout simplement le titre de champion de France, puisqu’il n’y avait pas de coupe nationale (challenge de France aujourd’hui), ni de coupe d’Europe des clubs champions (women’s cup plus tard). Nos plus sérieux adversaires étaient le FC Lyon déjà, Saint-Brieuc (aujourd’hui Guingamp), Soyaux, Strasbourg et à un degré moindre Saint-Maur et Hénin les clubs historiques du football féminin après Reims. Pour les deux derniers titres, Toulouse est devenu l’adversaire le plus coriace et a pris la relève au palmarès.

« Des aventures comme celle-là laissent des traces indélébiles »

Entre 1993 et 1997, vous remportez trois titres de champion de France de D1 féminine. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ? A quoi attribuez-vous cette réussite ?

Malgré quelques tensions la première année avec certaines joueuses qui avaient du mal avec la rigueur de ma méthode, j’ai bénéficié d’un groupe exceptionnel. Sept internationales en 1993-94, puis un recrutement qui nous permettait de palier les quelques départs et de renforcer le groupe. Beaucoup de joueuses étaient étudiantes à l’UEREPS ce qui permettait d’avoir un peu d’avance sur nos adversaires d’un point de vue physique. Elles pouvaient supporter la charge physique des entraînements, et pour la première saison, où nous sommes passés à deux fois 45 minutes de jeu, cela nous permettait de faire la différence sur les matchs serrés. Beaucoup de joueuses venaient de province et se côtoyaient pour leurs études, le football mais aussi en dehors. Un groupe solidaire malgré des individualités marquées et une volonté d’apprendre sur le plan tactique avec une disponibilité exceptionnelle. Je me suis régalé même si tout n’a pas toujours été facile pour gérer ces demoiselles et femmes. Le fait qu’elles soient de la même génération a sans doute facilité les choses. Nous sommes toujours très heureux de nous retrouver quand nous pouvons nous regrouper ou nous croiser. Des aventures comme celles-là laissent des traces indélébiles. Du bonheur pour tout le monde, staff, joueuses, dirigeants, famille, club, on en a tous profité.

Après quatre saisons, vous ne poursuivez pas l’aventure. Pour quelles raisons ?

Être performant n’est pas simple, mais le rester est encore plus difficile. Après notre titre de 93-94, nous avons eu du mal à démarrer la saison suivante, nous n’avions pas digéré le succès. Nous avons appris à le faire ce qui nous a permis de gagner ensuite deux saisons d’affilée. Mais cela nécessite beaucoup d’investissement, d’énergie dépensée tant sur le plan physique que nerveux. La pression de l’environnement, la gestion du groupe, le ressenti d’une fin de cycle : tout cela a contribué à mon départ. Je l’avais déjà envisagé l’année précédente mais la pression des joueuses m’a fait rester une saison de plus pour encore un peu plus de bonheur. En fait, il nous manquait aussi une autre compétition, coupe ou challenge européen, un autre défi pour relancer la motivation et le challenge pour un groupe gourmand de victoires et de confrontations nouvelles.

Vous signez votre retour sur le banc de Juvisy en 2006, pour trois saisons. Pourquoi un tel retour ? Quels étaient les objectifs ?

Le président m’a contacté pour calmer les tensions existantes au sein du groupe qui venait de remporter le titre. L’entraîneur n’était pas conservé malgré les performances et nous devions jouer la coupe d’Europe que je n’avais pas connue à l’époque. Challenge intéressant, mais le départ n’a pas été simple vu les problèmes et le fait qu’on ne disposait pas de notre gardienne de but nouvellement recrutée pour le premier tour de cette Women’s cup. Le challenge de France (coupe) avait été créé et nous avions donc plusieurs objectifs : championnat coupe et éventuellement coupe d’Europe. A l’époque, il n’y avait qu’un seul club qualifié et Jean-Michel Aulas venait de recruter les meilleures internationales évoluant à Montpellier. L’objectif était de remporter un titre, quel qu’il soit. On termine deuxième, donc pas de coupe d’Europe et l’année suivante on termine troisième alors qu’une deuxième place est accordée à la France pour la Women’s cup. Eliminé en Challenge de France, le bilan était mitigé. La troisième année est un gros gâchis sur la fin, coupe et championnat, alors que nous sommes second et tout près de la coupe d’Europe.

« Marinette était une attaquante imprévisible et sans état d’âme… Sandrine, un exemple pour les jeunes… Gaëtane est très complète, technique et intelligente »

Vous avez managé des joueuses internationales françaises, de Marinette Pichon, Sandrine Soubeyrand en passant par Gaëtane Thiney. Que pourriez-vous nous dire sur chacune d’entre elles ?

Il y avait plus d’internationales lors de mon premier passage à Juvisy : Sandrine Capy, Martine Combes, Sandrine Fusier, Hélène Hillion, Aline Riera, Brigitte Olive, Laurence Richoux, Florence Freyermuth, puis Stéphanie Mugneret, Marielle Breton, Sarah M’Barek, Sonia Haziraj, du beau monde à l’époque. Pour ce qui concerne les joueuses dont vous parlez, je ne vais pas dévoiler certains éléments qui restent entre elles et moi. Disons que Marinette et Sandrine étaient des connaissances de mon premier passage à Juvisy, mais comme adversaires. Marinette à St Mesmie et Sandrine à Caluire, mais à l’époque nous étions une équipe phare et elles évoluaient dans des clubs moins performants. Gaëtane est arrivée pour ma dernière saison. En fait, son statut naissant d’internationale l’a un peu contrainte à muter dans un club de l’élite. Elle venait de Compiègne avec beaucoup d’ambition et a eu quelques pépins physiques pour ses débuts avec l’élite. Elle est très complète sur le plan physique, technique et intelligente, ce qui lui permet de s’adapter rapidement sur le plan tactique. Son intégration a été facilitée car le cercle de footballeuses de haut niveau était assez restreint à l’époque et qu’elle connaissait déjà certaines joueuses. Marinette était une attaquante imprévisible et sans état d’âme. Surprenante avec sa patte gauche, très rapide et qui semblait ne pas douter. Son passage aux Etats–Unis l’avait encore plus renforcée surtout sur le plan tactique et elle était au top à son retour en France. Je regrette de ne pas voir pu collaborer plus longtemps avec elle car ses petits bobos l’ont obligée à arrêter. Humainement c’est une femme très attachante et elle est toujours restée humble. Sandrine Soubeyrand est plus réservée et elle bénéficie d’un physique hors du commun. Très solide, gauchère aussi, avec une qualité sur le jeu long qui est très importante dans le football féminin, comme chez les garçons d’ailleurs. Un exemple pour les jeunes, même si elle ne le souhaitait pas particulièrement. J’aurais aimé qu’elle soit encore plus déterminante dans la gestion du groupe.

Vous avez activement participé à la création du centre de formation de Juvisy. Comment est né le projet ? Combien de temps a nécessité la réalisation du centre ? Combien de jeunes accueille le centre de formation ?

Le centre de formation de Juvisy est, je pense, resté un projet ou a trouvé un palliatif. La crise est passée par là. L’idée première dès les années 90 était d’ouvrir une classe promotionnelle pour le football féminin dans un collège proche du club. Puis une section sport-études au niveau d’un lycée. Mais la nécessité de bénéficier d’un internat et les démarches administratives complexes n’ont pas permis d’aboutir. La classe promotionnelle a vu le jour, mais son succès fut limité et je crois qu’elle a fermé. Lors de mon second passage à Juvisy, alors que Lyon a commencé à mettre beaucoup d’argent sur la table, nous avons projeté de mettre en place une structure d’accueil pour filles et garçons en relation avec le Conseil Général. Il nous a semblé que travailler sur la formation était notre seule chance pour continuer à rivaliser. Je me suis attelé à la tâche et mis sur papier les grandes lignes concernant cette structure qui aurait pu servir pour le football et l’athlétisme, car située sur les installations sportives de Bondoufle. Les clubs phares du Département en jeunes et en seniors auraient pu en bénéficier. Le projet initial a obtenu l’accord de la municipalité puis du club et devait se poursuivre au niveau des négociations avec le Conseil Général de l’Essonne. Je ne sais pas ce qu’est devenue cette initiative après mon départ, mais je crois que la création du Championnat national des 19 ans a dû favoriser les démarches. Je sais que nous accueillons des étudiantes de l’équipe fanion sur l’université d’Evry car j’avais déjà ouvert quelques portes. Lorsque Sandrine Mathivet pour l’équipe première ou Peggy Provost (19 ans), voire Sandrine Roux (FFF) m’ont contacté pour les aider, j’ai toujours fait mon possible malgré mon départ.

Eric Duprat reviendra sur sa vision du football féminin et masculin. A suivre très prochainement dans la seconde partie.

1 – UEREPS : Unité d’Enseignement et de Recherche d’Éducation Physique et Sportive

 

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