
La saison 2013-2014 a vu pour la première fois l’entrée en vigueur du Financial Fair Play mis en place par l’UEFA et son président Michel Platini. Dans le même temps, l’AS Monaco, tout juste promu en L1, s’est attiré les foudres de bon nombre de présidents de L1 concernant son avantage fiscal. En effet, les joueurs de Monaco non français sont considérés « tax free » ou presque. En d’autres termes, ils ne sont pas assujettis à l’impôt sur le revenu. C’est pour cette raison que la Ligue de Football Professionnel a décidé qu’à compter de Juin 2014, tous les clubs professionnels devront avoir leur siège social en France. Inutile de dire que le club princier n’est pas du même avis. Dernièrement, c’est la FIFPro emmenée par Philippe Piat qui entame une procédure au niveau européen concernant le caractère légal du système des transferts. Depuis la révolution du football européen par l’instauration de l’arrêt Bosman en 1995, c’est la première fois que le football joue une grosse partie de son avenir en dehors du rectangle vert.
Essayons, modestement de revoir chacune de ces trois évolutions, concrètes et potentielles, et de donner notre avis quant à leur pertinence afin de tendre vers un football professionnel plus responsable.
Le Financial Fair Play (F.F.P.)
Contrairement à l’idée reçue, l’objectif du F.F.P. n’est pas de rendre les compétitions européennes plus justes et plus compétitives. L’intérêt majeur de ce premier texte visant à réglementer le football professionnel en Europe est d’assurer la continuité de ses clubs dans le futur, d’éviter la faillite d’un grand club et de les forcer à satisfaire leurs obligations en matière de règlement vis-à-vis de ses salariés, des autres clubs et de l’Etat. Le principe est assez simple : un club ne peut pas dépenser plus qu’il ne génère comme recette. Objectif ? Contrôler plus qu’empêcher les gestions fantaisistes de certains mécènes.
Nous n’allons pas étudier en détails le F.F.P. Il existe énormément de blog ou website sur la question dont le meilleur est www.financialfairplay.co.uk. Il existe malgré tout l’excellent http://www.irsv.org, très utile pour toutes les questions relatives au sport professionnel.
Les règles de bases sont les suivantes :
- Sur 3 ans, les pertes maximales autorisées sont de 45M€ à la condition que le propriétaire injecte des fonds ou des actifs. Sinon la somme passe à 5M€.
- En cas de manque, on évoque souvent en France l’exclusion de la compétition car cette sanction marque l’esprit des supporters. Mais il existe en réalité 9 types de sanctions possibles : Le retrait de point, ou la suspension de joueur fraîchement recruté par exemple.
- Les premières sanctions arriveront pour la saison 2013-2014 sur la base des comptes déjà fournis.
Le F.F.P. ne tient compte que des dépenses et recettes liées directement à l’activité du football masculin. En d’autres termes, les dépenses liés aux investissements concernant les centres de formation, les stades ou la section féminine sont hors du scope. A ce titre, bon nombre de clubs possèdent des deals de sponsors globaux. Il est donc difficile de ségréguer l’allocation des dotations de sponsoring dans le cadre du contrôle « fair value » par le Club Financial Control Body (CFCB). Cet organe de l’UEFA a pour but de vérifier que la somme d’argent financée par un sponsor correspond à la valeur du marché. A titre d’exemple, pour Emirates sur 15 ans, cela correspond à 7M€ par an environ pour le naming quand Eithad offre 400M€ pour 10 ans à Manchester City. Cependant, la somme allouée par Eithad (propriété d’Abu Dahbi) correspond à un sponsoring global pour le club et non seulement à la section professionnelle.
De même, le deal Qatar Tourism Authority permet au PSG de recevoir une somme annuelle dont le montant n’a jamais été atteint et ce, sans présence sur le maillot parisien. Peut-on rapprocher ce deal avec les 20M€ annuels offert à l’Atletico Madrid pour la promotion de l’Azerbaïdjan? Combien coûterait une campagne de publicité mettant autant en valeur la Qatar comme c’est le cas grâce au PSG ?
Par ailleurs, le F.F.P. ne prend pas en compte les disparités en matière de droit TV. On évoque souvent le dumping financier par des mécènes comme Abramovitch, le Sheikh Mansour ou Rybolovlev pour Chelsea, City ou Monaco mais qu’en est-il des droits TV comme ceux de la Premier League dépassant les 3 milliards d’euros ? Comment l’UEFA peut pondérer la fiscalité, comme la taxe « Hollande » dont le projet est de taxer la quote part des revenus supérieure à 1M€ à 75% ? Qu’en est-il des fluctuations de devises majeures en Europe (British Pounds, le Franc Suisse) quand en Europe nous avons l’Euro ? Quel est le pouvoir de l’UEFA si un club du moyen orient achète Cristiano Ronaldo et le prête au PSG et supporte une grosse partie du salaire?
A une époque où le football professionnel (en Europe) est une des rares voire unique activité économique totalement libre de toutes régulations, le F.F.P. est une bonne chose pour notre football. Il se doit d’évoluer avec le temps mais la base semble très intéressante. N’oublions pas que le F.F.P. cible surtout les clubs qui participent aux compétitions européennes. Pour les autres, libres aux fédérations nationales d’agir comme il se doit. L’Angleterre a adopté son F.F.P. pour toutes les divisions professionnelles. Je vous invite à consulter l’excellent blog cité plus haut.
Le cas AS Monaco, vers un nouvel arrêt Bosman ?
Depuis que l’AS Monaco est l’AS Monaco, il n’a cessé d’être jalousé, envié par les autres clubs français. La raison est bien simple : si le joueur français est traité fiscalement de la même manière en France, pour le joueur étranger, Monaco est un vrai paradis fiscal. Un avantage considérable pour le club princier envers ses concurrents de L1 ou L2 surtout en matière de recrutement avec en plus, des prélèvements sociaux inférieurs sur l’économie du football. Longtemps toléré grâce à des transferts plus ou moins au-dessus du marché hexagonal, le statut du club de la principauté est au cœur d’une polémique franco-française pouvant avoir des conséquences sur le marché du football européen. A compter de juin 2014, le siège social de tous les clubs de football professionnels devra être situé en France si les clubs veulent évoluer en L1. L’AS Monaco sera donc dans l’obligation de déménager son siège social en France afin que tous ses joueurs supportent la formidable fiscalité made in France. Bien entendu, l’AS Monaco ne l’entend pas de cette oreille. Le FFF et la LFP ne veulent pas non plus aller vers une bataille juridique et auraient proposé la somme plus ou moins farfelue de 200M€ afin de clôturer le dossier. Vexé, le club rouge et blanc a décidé de choisir la voie légale pour être libéré d’un poids dont le football européen se serait bien passé.
Il n’est pas question ici de débattre du caractère moral de ce conflit dont les raisons sont surtout financières pour les clubs dit importants en France. Avec la domination du PSG et l’arrivée de l’AS Monaco, il ne resterait plus qu’une place disponible pour la lucrative Ligue des Champions. Comme disent les anglais, anyway…
L’excellent article du cercle les échos de Charles le Lez nous éclaire un peu mieux sur cette affaire. Au niveau européen, au regard du droit communautaire, beaucoup d’observateurs considèrent que l’AS Monaco part avec un avantage significatif sous réserve que Monaco est, de droit au-delà de fait, un pays où le droit communautaire s’applique (il y a déjà l’Euro monégasque). A ce stade, le club princier mettrait en lumière l’entrave à la liberté de circulation des personnes morales et physiques. Le Traité de Rome garantissant la liberté d’installation au sein de l’Union Européenne serait remis en cause par le règlement de la LFP. Ainsi, le règlement de la LFP serait hors la loi. Pire, ce traité s’appliquant à toutes les entreprises ou clubs de football professionnel, qui pourrait empêcher un club (français ou européen) d’installer son siège social à Monaco ?
L’analyse de l’AS Monaco est un cas intéressant. Au delà de la spécificité fiscale, on peut s’interroger sur la capacité de ce club, doté d’un stade de 25000 places, à équilibrer ses compte eu égard aux sommes versées en transferts et en salaires. Encore une fois l’excellent blog d’Ed Thompson nous informe via le podcast Beyond the Pitch et Gabriele Marcotti que l’AS Monaco prévoit d’offrir 6000 sièges TOP CLASS à 2000 euros le match et des places de luxes à 200 euros la rencontre à Louis II.
Aussi fascinant soit-il, le cas de l’AS Monaco n’est qu’une loupe de plus sur la médiocrité de notre football en termes de management (sous-développement de la marque des clubs en France, performances européennes désastreuses induisant un coefficient UEFA ridicule) et la complète incompétence de nos politiques à promouvoir un sport d’élite (taxe Hollande, suppression du Droit à l’Image Collective). Le football français a beaucoup plus à gagner avec la présence de l’AS Monaco en L1, que ce soit en point UEFA, droits TV, attractivité avec le PSG, exposition de la L1…
La réforme du régime des transferts par la FIFPRO ?
Le monde du football tremble. Le président du syndicat des footballeurs, Philippe Piat, veut initier l’abolition du système des transferts qui est selon lui, illégal. Pour quelles raisons ? Sa vision est la suivante : un footballeur professionnel est un salarié comme un autre avec ses droits. Il doit être considéré comme un employé lambda, d’une entreprise X au sein d’un secteur économique obéissant à des règles normales de marché. Les personnes favorables à l’abolition de ce système font souvent référence au système existant dans les sports américains. Problème, la structure même du sport en Europe et l’accès au professionnalisme sont complètement différents de ceux pratiqués aux US. Sans parler des différences de structuration du pays. Ainsi, l’analogie est difficilement envisageable.
Par ailleurs, un joueur de football est-il un salarié lambda ? A mon sens, le joueur de foot est un mix entre un salarié et une immobilisation corporelle pour le club. L’amortissement du contrat en fonction du nombre d’années se fait à l’image d’un système d’amortissement dit linéaire. Il génère des revenus et est un asset. Qui plus est, si on veut considérer le contrat comme un CDD, en droit français cela voudrait dire qu’un joueur serait dans l’impossibilité de faire plus de 18 mois dans le même club. Cela sous-entend qu’il faudrait un contrat « type » dont la structure juridique nécessiterait une harmonisation avec les majeurs pays européens.
Enfin, l’indemnité de transfert permet à des clubs de survivre, de vivre et de se développer. Supprimer les indemnités de transferts provoquerait une ruine d’un nombre incalculable de club et/ou générerait une inflation des salaires pour une catégorie de joueurs et qui s’ajouterait à l’inflation provoquée par la nature du contrat en CDD évoqué par Roger Rocher dès 1981 « La décennie 1970 est à marquer d’une pierre blanche ou noire, selon la place occupée : joueurs, club ou football professionnel. A juste raison, le contrat du joueur le liant à son club a changé pour devenir un contrat à durée déterminée, ce qui veut dire qu’en fin de contrat le joueur est libre de négocier celui ci, avec la possibilité d’exercer son métier où il le souhaite. Il fixe la barre en fonction de ses talents…Il ne faut pas se voiler la face, la preuve est flagrante que le contrat à durée déterminée a provoqué et provoquera encore plus une inflation de la masse salariale des clubs »1
Que ressort-il de toutes ces volontés et règlements ? Le football, qui ne peut pas être considéré comme un secteur d’activité normale par l’Union Européenne, a un besoin vital de régulations. Quoi qu’on pense du F.F.P. il semble absolument nécessaire.
Comment peut-on aider le football ?
Essayons d’imaginer quelques idées afin d’améliorer le football :
- A l’image du salary cap, on pourrait imaginer un cap sur les montants des transferts pour une somme de 40 ou 50M€ (montant à définir). Tout euro dépensé au-dessus de ce montant pourrait être « taxé » du même montant et dont la somme servirait à alimenter un fonds de soutien pour club en difficulté
- Augmentation du lobby au sein de la Commission Européenne afin de rendre le football professionnel spécifique en termes de secteur économique et social. Ceci rendrait possible l’établissement de quotas de joueurs non nationaux et permettrait d’avoir une meilleure balance qualitative entre les équipes en Europe.
- Réduction des ligues de 16 à 18 clubs maximum afin de resserrer les élites
- Création d’un MIFID2 du football, un EMIR du football, capitalisation des clubs, obligation de reporter chaque transaction auprès du régulateur détaillant chaque coût d’une transaction, obligation pour l’agent de reporter chaque détail de l’opération servant à réconcilier avec les informations fournies par les clubs, réconcilier chaque opération de trading-joueur permettant plus de transparence. Ceci est indispensable afin d’encadrer les structures financières des clubs et prévenir des dérapages éventuels
- Obligation pour chaque club dépassant un certain montant de budget d’offrir un pourcentage compris entre 5 et 10 % de son capital à ses supporters dans le but de prévenir le risque de perte d’identité d’un club, la plus grande peur des supporter face à l’arrivée d’un gros investisseur.
1 – Extraits du livre Roger Rocher, Président pour l’amour d’un club
The Swindler, JM
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