PRO – Entretien avec Cédric ROUQUETTE (2/2)

Cédric Rouquette
Cédric Rouquette

Suite de l’interview avec Cédric Rouquette. Dans cette partie, il aborde sa vision du football et son évolution.

Comment définiriez-vous la culture foot ? Quel pays vous semble le mieux représenter la culture foot ? 

LA culture foot, ça n’existe pas. Il y a des cultures foot, des pays où le football a, traditionnellement, une place émérite dans l’espace public. Une place si importante qu’elle définit… une culture, c’est-à-dire une série de repères, de références, de savoirs, de convictions, de comportements, hérités de cette culture. Même si l’Europe compte pas mal de pays dotés d’une vraie culture foot (Angleterre, Espagne, Italie…), j’ai l’impression que les sociétés les plus habitées par le foot se trouvent en Amérique du Sud. En Argentine et au Brésil, le foot structure la vie des gens et n’est pas un sujet émotionnellement moins fort que la politique, le pouvoir d’achat ou la religion. Et je crois que je suis en-deça de la réalité quand je dis ça. Je ne dis pas que c’est mieux d’ailleurs. Quand je lis que 50 personnes se sont suicidées au Brésil après l’élimination contre la France en quart de la Coupe du monde, je ne dis pas que je m’y retrouverais complètement si je vivais dans une société pareille.

On évoque souvent l’absence de culture Football (et plus généralement de sport) en France. Partagez-vous ce sentiment ? 

Oui. La France n’est pas un pays de football. C’est une évidence. Elle n’est pas en soi gênante. Le football n’est pas l’alpha et l’omega de la vie sociale. On peut simplement regretter que de nombreux experts ou passionnés de foot autoproclamés foisonnent de façon débridée depuis 1998. Je trouve qu’on paie régulièrement ce souci-là : la France se sent comme un pays de foot parce que tout le pays a vibré récemment, ensemble, à un moment précis, autour du football, mais elle n’en a pas le background. Les sifflets récurrents au Stade de France, quoiqu’il se passe, sont le produit de cette situation. Siffler une équipe qui s’est bagarrée et qui en est à 0-0 à la pause, il faut vraiment de rien connaître au football pour être tenté de le faire. Mais je vais pas m’en plaindre. Le football est partout aujourd’hui et, pour mon métier, c’est plutôt une chance.

Est ce que l’absence de culture foot en France est une fatalité ? Une évolution est-elle possible et si oui, quelles mesures pourraient y contribuer ?

Il n’y a jamais de fatalité dans la vie sociale, mais je ne suis pas certain que les choses évolueront très vite. L’affaire Henry en 2009 a jeté une lumière crue sur la condescendance avec laquelle les élites de notre pays considèrent le football et les gens qui le pratiquent. Ce ne sont pas des « mesures » qui changeront la donne, c’est éventuellement le temps. Une chose est sûre : si une culture foot se développe en France, elle ne sera pas comparable dans sa nature avec celle de ses voisins. Elle sera moins empreinte de tradition. Le XXe siècle est passé. Ce sera une culture plus XXie siècle, dont j’ignore le contenu. Je peux mettre un bémol en soulignant qu’il y a une culture institutionnelle du football en France : la France a vu naître la FIFA, a créé la Coupe du monde, l’Euro, les coupes d’Europe de football, donné des présidents à la FIFA et à l’UEFA… C’est une culture d’élite, et ce n’est pas si étonnant : la France est plus un pays de passion politique et d’instabilité institutionnelle que de passion sportive.

En parlant de culture foot, évoquons un peu le dossier supporters. Plusieurs témoignages dénoncent les conditions dans lesquelles sont traités les supporters parisiens, notamment lors d’un récent Toulouse/PSG. Lors du match France/Allemagne du 6 Février 2013, des supporters se sont vus refuser l’accès du stade pour simple motif de porter des vêtements à l’effigie du PSG. Quelle est votre réaction ?

La question des supporters, ce n’est pas le sujet que je maîtrise le mieux. Et il faut toujours se méfier des jugements définitifs en la matière, car c’est un domaine à la fois hypersensible et très complexe car très mouvant. Concernant le PSG, si la question est devenue si sensible, c’est que le Parc est resté trop longtemps une zone trop peu contrôlée, où les supporters sincères ont longtemps été amalgamés avec une minorité activiste très très visible. Cela a abouti à des mesures très fortes, peut-être trop fortes, en tout cas très tardives, qui ont visiblement justifié quelques excès de zèle du côté des autorités. Autant je pense qu’il faut protéger les spectateurs de foot sans histoire de toute forme de violence dans un stade, autant il faut aussi protéger toutes les personnes, quelles qu’elles soient, contre le présomption de culpabilité et la notion de sanction a priori, qui est forcément insupportable. La voie me semble très étroite. Disant cela, je suis très « yaka, faukon ». Je n’aime pas beaucoup cela et je préfère laisser la parole sur le sujet à des gens plus qualifiés.

Comment jugez-vous le niveau de la L1 ?

Je pense que le niveau moyen « absolu » est meilleur que ce qu’on nous raconte. Le niveau tactique et physique est assez haut. L’homogénéité des équipes est probablement sans équivalent en Europe et cela fait de la L1 un championnat où il est difficile de s’adapter mais où un grand talent va pouvoir cristalliser ses compétences avant de partir à l’étranger. Je pense cependant que l’écart de niveau technique moyen avec le top, à savoir la Premier League, la Liga, la Serie A et la Bundesliga, et bien sûr la Ligue des champions, est en train de croître. La L1 ne prend pas le virage du football vers l’avant. Il reste trop d’épicerie dans les matches. Le niveau technique moyen est très ordinaire, ne permettant pas les changements de rythme ou des combinaisons rapides dans la phase offensive. Je suis assez pessimiste sur ce que pourrait devenir la L1 d’ici quatre ans. l’Euro 2016 pourra relancer la machine, mais d’où la machine partira-t-elle ?

La taxe à 75 % n’a pour le moment toujours pas été votée. Une bonne chose selon vous ?

Bof. Les gens qui veulent gagner plus d’argent n’ont pas attendu la taxe à 75% pour partir et j’étais contre le fait qu’il puisse y avoir une exception pour les footballeurs. Elle est censée revenir de toute façon. Et ce n’est pas comme si la fiscalité avait été hyper incitative avant cela non plus. C’est un symbole pour l’Etat. Ce sera aussi un symbole pour les acteurs du football.

L’ambition des clubs français est-elle en adéquation avec la compétence et les moyens financiers associés ?

La principale ambition des clubs français en ce moment est de ne pas disparaître et de boucler leurs budgets. Qui est vraiment ambitieux aujourd’hui en France en dehors du PSG ? Lille avait un projet agressif mais a tout remis entre parenthèses. Lorient a un beau projet, mais ce n’est pas (encore?) une place forte de la L1. De façon générale, le constat à faire sur les dix ou quinze dernières années est que le football français sous-performe plutôt par rapport à ses moyens économiques sur la scène européenne. La France n’a pas le niveau économique pour présenter un candidat au titre tous les ans, mais elle l’avait pour faire mieux : plus de quarts ou de demi-finales, moins d’accidents au premier tour. Il n’est plus possible de voir, notamment en Ligue Europa, des clubs ayant des budgets de L2 donner des leçons de football à des ambitieux de L1. A la décharge du foot français, la vertu financière de la DNCG crée plutôt un déséquilibre de moyens contre ses concurrents.

Après la L1, place à l’équipe de France. Que vous inspire l’équipe de France et son parcours depuis 2002 ?

2002 : Un échec « typiquement français ». Excessif dans ses proportions mais causé par un aveuglement général.

2004 : Sûrement le plus grand gâchis de la période. Les stars étaient à maturité mais avaient dissout tout lien collectif. A ceux qui me disent souvent que la finale de la Coupe du monde 2006 doit tout à Zidane, je réponds non : en 2004, Zidane était là, plus jeune entouré aussi de Thuram, Henry, Vieira, Makelele plus jeunes aussi…

2006 : La France était la meilleure équipe de la Coupe du monde mais la réussite qu’elle avait eue en 1998 et 2000 s’est retournée contre elle. Il faut l’accepter. Il aurait été presque immoral que tout bascule toujours de notre côté.

2008-2010 : Un échec monumental de management, qui est parti du sommet de la FFF, et qui a permis de faire croire au bout de la chaîne aux joueurs qu’ils pouvaient privatiser le maillot. Le triomphe absolu du court-termisme et de l’individualisme à tous les niveaux.

2012 : Un gâchis et surtout une immaturité invraisemblable. C’est le match contre la Suède à l’Euro qui gâche tout, un match abordé avec une légèreté qui me laisse pantois.

Actuellement, Didier Deschamps n’est pas loin de tirer le potentiel maximal de cette génération. La place naturelle de l’équipe de France, vu son effectif, n’est plus dans le dernier carré des grands tournois mais il faut arrêter de donner l’impression de sortir des compétitions trop tôt. 2002, 2004, 2008, 2010 : sur quatre des six dernières phases finales, la France fait clairement beaucoup moins bien que ce pour quoi elle était programmée. En 2012, les Bleus étaient peut-être plus à leur place en quart, mais elle a été en-deça du niveau minimal qu’on attendait pendant au moins un match et demi sur quatre. C’est dommage et trop récurrent pour qu’on s’en contente.

Un mot sur le football féminin. Le club féminin de Lyon a recruté récemment deux grandes joueuses du football mondial (Ohno et Rapinoe). Qu’est ce que ça vous inspire ? Quel regard portez-vous sur le football féminin ?

Cela m’inspire que le retard économique qu’on a chez les hommes n’existe pas chez les femmes. Ce n’est pas plus mal parce que je pense que le foot féminin va développer sa notoriété. Les gens ont faim de foot, le foot féminin se professionnalise très vite et on voit, au niveau international, de superbes matches, comme l’a montré la dernière Coupe du monde, dont la finale Japon – Etats-Unis était magnifique. Je ne vois aucun obstacle à ce qu’à terme, le foot féminin soit au foot masculin ce que le tennis féminin est au tennis masculin. Ce ne sera pas la même chose, pas la même façon de jouer, mais ça n’empêchera ni le spectacle, ni l’émergence de quelques stars, ni un impact public de plus en plus important.

Que pensez vous de l’arrivée des paris en ligne dans le foot ?

J’en pense qu’on ne peut pas s’en étonner. D’abord car il y a des perspectives de gains importants et immédiats. Dans nos sociétés contemporaines, très formatées par l’argent, une telle activité est condamnée à avoir beaucoup d’ampleur. Ensuite car la question du « que va-t-il se passer? » est au centre du spectacle sportif. Si on se surprend parfois à regarder des purges sans intérêt, c’est bien parce que la question de « l’instant d’après » nous fascine, et là je ne parle pas du parieur mais bien du spectateur lambda : y aura-t-il un but ? Pour qui ? Qui va marquer ? Comment ? Etc… Donc, on ne peut pas jouer les vierges effarouchées sur la puissance des paris en ligne : c’est dans l’ADN du sport et de l’appât « ordinaire » du gain, chez les gens, que se niche l’ampleur des paris. Maintenant, je souscris tout à fait à l’analyse selon laquelle les paris sont un danger pour le sport beaucoup plus mortel que le dopage. Un sportif dopé reste un sportif qui ira au bout de lui-même et qui jouera le jeu de la compétition. Un sportif corrompu pour faciliter un pari, c’est plus facile à « obtenir » : il ne joue pas avec sa santé, il se trouve dans une zone de confort plus évidente pour « réaliser » sa performance, le gain est a priori immédiat, mais la rupture de sincérité est totale et absolue. Il n’y a pas de combat. Ce qui m’étonne et que je trouve absurde, c’est le nombre de choses sur lesquelles ont peut parier. Elles sont à la fois facilement manipulables (la première touche…) et sans rapport avec le spectacle sportif. L’affaire Cesson-Montpellier le montre : quel intérêt de parier sur un score à la mi-temps? C’est comme si on pariait sur le temps de passage de Bolt à 50 mètres… Cela n’a aucun intérêt : ce qui compte, c’est le résultat final.

En parlant de dopage, Michel Platini a déclaré  « Je ne crois pas au dopage organisé dans le foot ». Qu’en pensez-vous ? Ce genre de déclaration n’est-il pas dangereux pour le football et le sport en général ?

Tout le monde sent bien que le football ne cherche pas énormément les dopés, donc effectivement ce genre de déclaration ne renforce pas forcément son crédit. Le plus gênant est que le patron de l’UEFA, futur patron de la FIFA, parle de sa « croyance », alors que vu son poste, il devrait plutôt avoir des informations béton. Néanmoins, comme lui, je ne pense pas qu’il existe de dopage organisé. Pour deux raisons essentielles. La première est qu’il n’y a pas de culture du dopage dans le foot. On critique souvent les entraîneurs et présidents qui geignent quand ils jouent tous les trois jours. Ils ne le feraient pas si le dopage était installé depuis longtemps, cela passerait comme une lettre à la Poste et personne ne se poserait de question. D’ailleurs on voit bien que l’accroissement du niveau général se fait par des solutions techniques plus que physiques. La deuxième raison est que toutes les équipes, chaque saison, ont des creux. De vrais creux visibles, d’ordre physique. Dans tous les championnats. Une équipe comme l’Angleterre, qui arrive essorée à chaque phase finale à cause du Boxing Day et de l’absence de trêve, paie cela en fin de saison. De façon générale, depuis 2002, les phases finales sont de moins en moins confortables pour les grosses nations, celles qui ont des joueurs sur tous les fronts pendant la saison et qui arrivent là avec 55, 60, 65 matches au compteur. Si le dopage était généralisé, leur puissance économique et scientifique leur permettrait d’en faire leur affaire, voire de pousser jusqu’à 70, 75 matches par saison. Pour cela je ne crois pas au dopage organisé à grande échelle. Mais en-deça de cette situation, il reste beaucoup de scénarios possibles sur la réalité du dopage dans le foot. Je ne vois pas pourquoi il y échapperait complètement.

Quel livre de football nous conseilleriez-vous ?

L’Etonnante Saga du Mondial de Peter Seddon. Toutes les petites et grandes histoires de la Coupe du monde depuis son origine, compilées, très documentées et racontées avec beaucoup d’esprit. On comprend à chaque chapitre pourquoi le football fascine autant, et autant de monde, depuis si longtemps et pourquoi ça va durer.

L’équipe de SoccerPopulaire tient encore à remercier Cédric Rouquette. Vous pouvez retrouver la première partie de l’interview.

 

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