DOSSIER – La formation française : mythe ou réalité ?

La formation, un exemple de réussite…

Quand on aborde le sujet de la formation, il nous vient immédiatement en tête le FC Barcelone. En effet, le club catalan est devenu un modèle dans l’art de « fabriquer des joueurs » à son style de jeu « Tiki-Taka » et de les installer au plus haut niveau. Les postes aux clubs sont occupés par des personnes connaissant parfaitement la maison pour beaucoup formés au club à l’image de son entraîneur actuel Tito Vilanova ou son prédécesseur Josep Guardiola. Lors de la 14ème journée de Liga, le FC Barcelone se déplaçait à Levante. A la 14ème minute de jeu, Montoya entre en lieu et place de Dani Alves blessé. A cet instant, les 11 joueurs sur la pelouse sont tous issus de « la Masia », avec en prime 8 catalans. Le souhait de Van Gaal au début des années 2000 venait d’être exaucé. Mais l’idée d’avoir des joueurs du centre de formation n’est pas nouvelle. On oublie souvent qu’en France, la formation a longtemps fait partie des éléments de la réussite des clubs.

Si on analyse de plus près les épisodes français qui ont marqué le Football, on trouve d’abord le Stade de Reims et ses deux finales de coupe des clubs champions perdues contre le Real en 1956 et 1959. Au cours de ces deux rencontres, le Stade de Reims, entraîné par Albert Batteux (ancien joueur du club) compte 8 joueurs formés au club, avec notamment Robert Joncquet, Raul Giraudo, Bruno Rodzik en défense, Michel Leblond, Robert Siatka, Armand Penverne et Robert Lamartine au milieu, et René Bliard en attaque.

Si le Stade de Reims flirte à deux reprises avec la victoire en coupe d’Europe, la concurrence fait rage sur la scène hexagonale. En effet, la fin des années 50 voit poindre l’A.S.S.E., qui inscrit une première ligne à son palmarès avec un premier titre de champion de France de division I en 1957. sous la houlette de Pierre Faurand, entraîneur de l’époque, homme charismatique, de caractère et très attaché à la progression des jeunes*. La formation sera d’ailleurs la pierre angulaire de la réussite de Saint-Etienne. De 1957 à 1981, période durant laquelle l’ASSE obtiendra 10 titres de champion de France, 68 joueurs participeront aux triomphes, dont 43 seront formés au club. L’A.S.S.E dirigée par « le Sphinx » Robert Herbin (ancien joueur formé au club) atteindra la Finale de Coupe des clubs champions à Glasgow contre le Bayern-Munich en 1976. Parmi les joueurs présents au coup d’envoi, 9 joueurs sont issus du club : Repellini, Lopez, Janvion, Bathenay, Santini, Larqué, les frères Revelli, Sarramagna. Seulement deux étrangers compléteront l’équipe : L’argentin Piazza et le Yougoslave Ivan Curkovic.

Près de 20 ans plus tard, le FC Nantes réalisera un superbe parcours en coupe d’Europe en 1995/1996 avec un effectif fortement teinté de « Jaune et Vert » avec comme entraîneur Jean-Claude Suaudau (ancien joueur et ancien entraineur réserve). De nombreux joueurs formés composent l’effectif : Casagrande, Capron, Ferri, Guyot, Makélélé, Savinaud, Ouedec, Pedros, Da Rocha, Garcion, Renou, Le Paih. 5 d’entre eux prendront part à la ½ finale retour de Ligues des champions contre la Juventus : Casagrande dans les cages, Capron en défense, Makélélé au milieu, Ouedec et Renou en attaque.

L’AJ Auxerre fait office d’exception dans le football professionnel. Guy Roux, ancien joueur amateur prend le poste d’entraîneur de l’AJA en 1961 et basera aussi la formation au centre de la réussite du club. Une réussite hors du commun lui permettant de franchir successivement les échelons, de la division d’honneur à la première division en un peu plus de 10 ans (de 1969 à 1980). Au fil des années, le club se construit un palmarès : 4 coupes de France (1994, 1996, 2003, 2005), un championnat de France en 1996, une coupe Intertoto en 1997, et des participations à la coupe d’Europe, notamment la ligue des champions avec ce fameux match aller contre Dortmund en 1997, avec le formidable retourné de Laslandes injustement refusé par Garcia Aranda, arbitre du soir. Lors du match retour à l’abbé Deschamps, 6 joueurs formés à l’AJA prennent part à la rencontre : Du gardien Charbonnier, à la défense Danjou/Goma en passant par les milieux Violeau/Diomède et au remplaçant LePaul.

La formation, au milieu d’un savoir-faire.

Dans les exemples cités ci-dessus, la formation a toujours été un élément important, découlant d’une culture et d’une histoire propre à chacun de ces clubs. Mais tous les clubs n’y sont pas sensibles. Les parcours du Paris-Saint-Germain et de l’Olympique de Marseille en coupe d’Europe nous montrent qu’il est possible de réussir sans attacher réellement d’importance à la formation. Aucun joueur de l’Olympique de Marseille présents sur la pelouse le soir du 26 Mai 1993 à Munich n’a été formé à l’OM. En 1996, Francis Llacer est le seul à avoir été formé au club lors de la victoire du Paris-Saint-Germain contre le Rapid de Vienne. Que doit-on en conclure ? La formation est un vraie savoir-faire, qui prend du temps pour se mettre en place. Cette politique de formation est dépendante de plusieurs facteurs : Il s’agit d’avoir une cellule de détection très performante, capable de superviser les jeunes le plus tôt possible, de les intégrer et de les faire progresser en les encadrant par des joueurs expérimentés. Ainsi, une politique de formation SEULE ne peut suffire à exister et doit forcément aller de paire avec une cellule de recrutement intelligente, capable de dénicher des joueurs brillants. Hidalgo, Kopa, et Giovacki au Stade de Reims, Piazza, Curkovic à l’A.S.S.E, Laslandes, Saïb, Lamouchi et Sibierski à Auxerre, Cauet, N’Doram et Kosceki à Nantes.

L’exemple le plus récent en France est Montpellier : Le club Héraultais est devenu, contre toute attente, champion de France 2011 avec un subtil mélange de joueurs expérimentés (Hilton, Dernis, Utaka, Jeunechamps) et d’une génération de jeunes issue du centre de formation dont 8 joueurs auront un rôle important dans l’effectif : Jourdren, El Kaoutari, Yanga-MBiwa, Saihi, Belhanda, Stambouli, Cabella, Aït-Fana.

De la formation choisie à la formation comme « système  D » ?

Si dans le passé, les clubs français arrivaient à garder leurs meilleurs éléments, il semble que l’arrêt Bosman ait compliqué les choses. En effet, comment retenir un joueur de 17 ans avec à peine 12 matchs en L1 quand un club étranger à la possibilité de faire une offre de 15 m€ d’indemnité de transfert et lui proposer un salaire multiplié par 5 ? Comment rivaliser avec les meilleurs clubs d’Europe, avec des moyens hautement plus importants ? Si on regarde le FC Barcelone, il serait réducteur de le faire passer uniquement pour un club formateur, qui dépense très peu d’argent. Ce serait oublier les sommes importantes consenties pour conserver les joueurs et les transferts réalisés sur les dernières années pour encadrer les jeunes du cru : Henry (24m€), Ibrahimovic (50m€), Eto’o (24m€) ? Villa (40m€), Sanchez (26 m€) …

Ainsi, la réalité est la suivante : Ne pouvant garder leurs meilleurs éléments très longtemps, les pépites des centres de formation en France sont condamnées tôt ou tard à partir, si possible contre une belle somme d’argent. Cette somme pourra être réinvestie dans la vie du club, le plus intelligemment possible. Mais tout ça n’a de sens sportivement que si les clubs ont une santé financière et sportive stable et sont donc dans une position favorable lors de la négociation pour valoriser les investissements du centre. En effet, la formation a un coût. L’acquisition d’un centre de formation coûte plusieurs millions d’Euro (l’Etrat, centre de formation de Saint-Etienne a coûté aux alentours de 6m€ à l’A.S.S.E.). Sur une promotion de jeunes, tous ne deviendront pas pros, aussi performante la détection soit-elle. Ainsi, le club investit toujours à perte, parce qu’une partie des joueurs ne rapporteront rien, ni sur le plan sportif, ni sur le plan financier. Une perte, que les ventes des pépites viennent combler.

Seulement, quand les clubs sont dans des situations financières moins confortables, la formation est la solution de facilité pour combler un manque de profondeur : C’est exactement la politique de l’OL à l’heure actuelle. Si l’OL a toujours été un bon club formateur, et a longtemps laissé de belles pousses germer ailleurs (Balmont, Remy, Mounier),  les soucis financiers du club ont incité le club à se tourner vers les jeunes avec Rémi Garde à la baguette. Gonalons, Grenier, Umtiti, Lacazette ont un rôle important, et Benzia, pointe le bout de leur nez.

Dans des cas extrêmes de grosses difficultés financières, la formation devient une monnaie d’échange, indispensable à la survie du club. C’est ainsi que Coupet, formé à Saint-Etienne a été poussé à la porte de l’Olympique Lyonnais pour assainir les finances des Verts en Janvier 1997 (contre 9m Francs et Jean-Luc Sassus en échange). Le transfert de Varane au Real Madrid a permis d’éclaircir un peu la situation financière du RC Lens.  Si Lyon ou Montpellier prouvent que la formation peut être une réussite, beaucoup de clubs s’enferment dans ce modèle. La formation n’est donc plus un LABEL ROUGE mais souvent un moyen pour pallier les carences, et souvent au détriment des joueurs concernés. Au Paris-Saint-Germain, Mamadou Sakho est vite apparu en équipe première pour combler un manque flagrant de solutions défensives. Très rapidement, il est devenu le meilleur défenseur central, aux coté de joueurs comme Traoré ou Bourillon, incapables de réellement l’accompagner dans sa progression. A-t-il réellement progressé pendant toutes ces années ?

De la qualité « Laguiole » à la polyvalence « couteau suisse » …

Dès 1998, certaines sélections nationales comme l’Allemagne sont venues voir ce qui se faisait dans nos centres. En effet, la victoire de 1998 est la victoire d’un collectif tactiquement très bien rodé et composé de très bons footballeurs. Or l’inconscient collectif a retenu principalement l’approche tactique et la solidité du bloc défensif, en oubliant presque les qualités techniques de joueurs comme Blanc, Lizarazu, Petit, Karembeu, Zidane ou Djorkaeff.

Hasard ou coïncidences, les centres de formation ont petit à petit privilégiés la qualité physique à la qualité technique. Loin de moi l’idée de revenir sur la polémique aussi maladroite que stupide lancée par Laurent Blanc. Reste néanmoins, que les spécialistes du poste ont globalement disparu à l’image du 5, du 10 ou de l’ailier. Pour quelles raisons ? Ces postes pâtissent d’un déficit d’image dans un foot où la lumière est constamment braquée sur les joueurs offensifs (cf. le Ballon d’Or). Le manque de profondeur de banc peut être un second élément de réponse. En effet, beaucoup de jeunes pâtissent du manque de solutions en équipe première et viennent dépanner à des postes très différents de leur poste de formation. Gouffran, Briand, Lacazette, Remy sont tous des attaquants axiaux de formation. Pourtant, ces joueurs ont tous à un moment ou un autre joué sur l’aile, dans un rôle que Govou tenait parfaitement. Mais ont-ils les qualités pour le faire ? Le poste de milieu offensif droit (ou ailier) est un poste spécifique, qui demande des qualités de dribbles, et de technique au dessus de la moyenne. Un poste (comme le poste de 10, de libéro ou d’arrière gauche) est finalement trop « cher » à produire pour notre football. On préfère donc mettre un joueur moins spécialiste, moins bon mais qui dépannera. On est donc passé d’une formation « qualité Laguiole » à une formation « couteau Suisse ». Dans une interview, le latéral gauche Ghoulam expliquait son parcours et l’importance de son formateur. A l’époque, Ghoulam jouait attaquant. Un jour, son entraîneur vient lui expliquer que le poste d’arrière gauche correspond davantage à ses qualités et qu’il a plus de chance de passer professionnel malgré ses volontés de jouer attaquant. Ghoulam a accepté. En se stabilisant à ce poste, il est devenu un joueur intéressant et a progressé. Cela fait parti de la qualité d’un club et d’un centre de formation de déterminer le meilleur poste de ces éléments et de les stabiliser. Je crois qu’il y a très peu de joueurs polyvalents, capables de jouer à différents postes avec la réussite associée. La polyvalence nécessite une approche tactique et une intelligence de jeu qui s’acquiert avec le temps et qui est rarement compatible avec des jeunes professionnel.

Quelles solutions ?

La qualité de la formation aux yeux du monde passe par le très haut niveau et la sélection nationale. Les résultats de l’Espagne mettent en lumière avant tout la réussite de la formation Espagnole. Exceptée l’année 2006, les résultats de l’équipe de France sont très insuffisants depuis 2002. Années après années, les lacunes se font sentir à tous les postes : Absence de n°5 de qualité ou de n°10 performants : Seul le poste de n°6 a été pointé du doigt. Si certains clubs français montrent des choses assez intéressantes, le résultat global est moyen. La colonne vertébrale 5-6-10 n’existe pas à l’image de ce qui se passe en coulisse. Censée régir le football français,  la colonne vertébrale (FFF, LFP, DTN) est trop absente. Il est temps que celle-ci travaille main dans la main avec comme objectifs majeurs :

1 – De Déterminer l’exigence de notre football (FFF) et de la sélection nationale (FFF+DTN)

2 – De Déterminer une politique de formation pour avoir à terme des joueurs de bon niveau en sélection (DTN, FFF)

3 – De Réfléchir à la meilleure formule de notre championnat pour avoir un championnat le plus compétitif, de manière à garder les meilleurs éléments le plus longtemps possible (DTN + LFP + FFF)

 * « Oui, Pierre Faurand a bien pris en main les premières destinées glorieuses de l’ASSE. En sept ans, cet homme exceptionnel devait placer l’ASSE sur l’orbite d’un grand club professionnel. Chef d’entreprise, organisateur et gestionnaire exigeant, Pierre Faurand savait communiquer sa foi et son enthousiasme. Homme actif par excellence, il partageait son temps entre ses importantes activités professionnelles et ses activités au club. Il se donnait totalement aux deux. Mais il faut dire qu’il était célibataire, ce qui en ce domaine arrange les choses « je connais bien des présidents de club qui ne me contrediront pas …). Grand, de stature forte, il incarnait l’autorité et savait l’exercer. Quand je pense que certains se sont plaints de l’autorité de Roger Rocher, je puis affirmer, pour l’avoir bien connu, que Pierre Faurand en avait plus que moi. Mais oui ! Ce qui le caractérisait surtout, c’était la grande, la dévorante passion qu’il portait à l’ASSE. Le premier titre de champion de France du club en 1957, a été son œuvre. Ce titre, il l’a voulu ! Et ce fut l’une de ses plus grandes joies. Il était, d’autre part, très attaché à la progression et à l’épanouissement des jeunes talents. Il a été l’un des précurseurs en matière de formation des joueurs du club. Je pourrai même dire que c’est pierre Faurand qui l’a inventée, sachant bien que ce qu’on appelle aujourd’hui un « centre de formation » est indispensable à un grand club. Plutôt bourru de nature, il savait montrer sa vraies sensibilités vis-à-vis des jeunes joueurs dont il suivait l’évolution et souvent la réussite..

Rocher Roger « Président pour l’Amour d’un club »

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